La planète agricole et alimentaire en 2030 : quels horizons ?
Face à l’urgence d’une planète alimentaire et agricole en surchauffe secouée de toutes parts par les crises et les chocs, il est essentiel de s’interroger sur la manière dont les systèmes agro-alimentaires du monde vont se transformer à l’horizon 2030. Lors de la Conférence de la Fondation FARM « Agriculture(s) : le temps des mobilisations » à l’OCDE le 17 janvier 2023, les transformations futures en matière de démographie, géopolitique et dérèglement climatique ont été évoquées.
Le monde de 2030
En 2015, l’ONU lançait l’ODD 2, objectif fixé pour 2030 et visant à éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable. La hausse globale de l’insécurité alimentaire, aggravée par la crise sanitaire et le conflit russo-ukrainien[1], montre à quel point ces défis seront difficiles à relever.
Face à la menace de la faim, les inquiétudes se tournent vers la capacité des systèmes alimentaires à nourrir une population humaine en croissance[2]. D’après François Moriconi-Ebrard[3], géographe et directeur de recherche au CNRS, cette croissance se concentrera à l’avenir principalement « en Afrique, notamment en Afrique subsaharienne […]. Le record de fécondité le plus élevé, c’est le Niger avec 6,82 enfants par femme […]. Et dans quelques pays d’Asie comme l’Afghanistan et le Pakistan. ».
La population mondiale tend toutefois à s’amortir durant le siècle, d’autres territoires ayant une fécondité faible, comme la Corée du Sud, le Japon, l’Europe… Le géographe alerte davantage sur un futur marqué par l’urbanisation de l’humanité. La multiplication et la consolidation d’aires métropolitaines géantes, avec déjà « sur la terre 70 mégapoles de plus de 10 millions d’habitants », posent les risques d’un grignotage des espaces de production alimentaire et du déséquilibre politique territorial.
Cette tension entre centre et grande périphérie est définie par Tania Sollogoub comme primordiale. Économiste et Responsable de la coordination des pays émergents et des risques géopolitiques au Crédit Agricole, elle fait le portrait d’un monde instable, organisé en « archipels » d’interdépendances. Y règne une « montée de la conflictualité sur tout ce qui est ressources naturelles et essentielles et leurs chaînes de valeurs ». En effet, le contrôle d’une ressource revient à avoir la capacité de verrouiller mondialement des chaînes de production. Un pouvoir que les pays peuvent manier pour défendre leurs intérêts géopolitiques et économiques. L’actualité récente a montré que la ressource agricole faisait partie de ces ressources essentielles à la sécurité d’un pays.
Paxina Chileshe-Toe[4], Spécialiste Adaptation au changement climatique au FIDA (Fonds international de développement agricole) livre quant à elle le portrait d’un monde de 2030 où le réchauffement impacte les territoires de manière contrastée, réduisant la capacité des populations à produire de la nourriture face aux sécheresses, aux précipitations plus violentes et imprévisibles, et aux catastrophes naturelles plus fréquentes.
Comment s’adapter à ces transformations ?
La construction de la résilience des acteurs agricoles et alimentaires dans ce monde chahuté est multiforme. Forte de son expérience en tant que coordinatrice du Mouvement Scaling Up Nutrition[5] et de Ministre de l’agriculture des Pays-Bas, Gerda Verburg appelle à passer à une approche en système alimentaire[6], mêlant les politiques agricoles et alimentaires aux stratégies en matière de « santé, climat, biodiversité, éducation » et les ouvrant à des approches collectives et multisectorielles.
Tania Sollogoub encourage aussi à plus de solidarité et de collaboration, face à un monde où le chacun pour soi a tendance à primer dans une course pour contrôler des ressources limitées. Elle constate une importante activité en matière de collaborations à l’échelle régionale, avec la construction d’infrastructures transnationales et la signature de traités commerciaux, notamment en Asie[7]. Toutefois, l’économiste s’inquiète du format pris par l’effets occasionnés par les indicateurs ESG (environnemental, social, et gouvernance) en matière de direction des investissements : ils avantagent les pays possédant « les meilleurs niveaux de gouvernance » et les infrastructures nécessaires pour obtenir des bons scores, laissant de côté les pays défavorisés, pourtant plus vulnérables.
Pour Paxina Chileshe-Toe, la construction des capacités d’adaptation des producteurs agricoles des zones rurales impactées par le changement climatique se base sur la diversification de leurs cultures, mais aussi de leurs sources de revenus. D’après elle, l’approche du FIDA est de soutenir l’installation de systèmes agricoles localement adaptés aux conditions géographiques et aux besoins des communautés, par la mise en accessibilité de ressources et semences adaptées aux conditions locales, l’amélioration des infrastructures rurales, et par le développement « d’analyses du risque climatique plus ciblés » pour renseigner les agriculteurs dans leurs investissements.
Une planète dominée par l’urbain : quid des mondes ruraux ?
François Moriconi-Ebrard nous dit que la répartition de la population humaine sera marquée par la formation et l’extension d’aires métropolitaines géantes. Les limites exactes de ces zones de peuplement sont floues et changeantes, n’étant pas toujours maîtrisables par les États, notamment dans des contextes institutionnels où la priorité foncière n’est pas formalisée[8]. Ces circonstances ne rendent pas impossibles la production agricole, l’aire métropolitaine restant émaillée de zones cultivées[9]. Mais celles-ci rentrent en compétition avec la construction d’habitations et d’infrastructures. François Moriconi-Ebrard y voit un paradoxe. « Depuis le milieu des années 70, les institutions internationales appuient la décentralisation » en Afrique, ce qui a engendré l’émergence de nouvelles agglomérations et la croissance de petites villes, sans pour autant parvenir à créer des territoires équilibrés, faute d’une échelle locale ayant « le contrôle de ses propres outils de développement ».
L’absence de villes assez grandes pour servir de relais et contrebalancer le pouvoir métropolitain peut créer de grandes tensions et conduire en à l’appauvrissement et la désertification du monde rural et des villes moins importantes. Le géographe donne l’exemple du Pérou, où avec « un territoire de 1,250 million km2 », « un tiers de la population vit à Lima ». L’aire métropolitaine de Lima représente « 42% du PIB », mais seulement « 0,6% de la superficie » du pays.
Les défis démographiques, géopolitiques et écologiques sont nombreux. Ils devront être relevés pour transformer les systèmes agro-alimentaires de sorte à nourrir durablement la planète.
[1] L’insécurité alimentaire grimpe en flèche dans 20 « points chauds de la faim » | ONU Info (un.org)
[2] L’évolution démographique | Nations Unies
[3] François MORICONI-EBRARD | Institut E-Geopolis
[5] Working together in the fight against malnutrition in all its forms (scalingupnutrition.org)
[7] Quinze pays d’Asie et du Pacifique signent un accord de libre-échange autour de la Chine (lemonde.fr)
[8] ONU-Habitat en bref | UN-Habitat (unhabitat.org)
[9] Aires alimentaires métropolisées : une solution pour l’Afrique ? – Fondation FARM (fondation-farm.org)
Un commentaire sur “La planète agricole et alimentaire en 2030 : quels horizons ?”
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Bonjour à tous,
La problématique posée est très intéressante. C’est une bonne alerte. La crise alimentaire semble pointer à l’horizon. Cette situation a été aggravée par trois chocs d’importance: les changements climatiques, la guerre russo-ukrainienne et la pandémie de la COVID-19. Déjà, des pays émergents et développés comme la Russie, le Brésil, la Chine, … prennent des mesures pour préserver la sécurité alimentaire de leurs populations en faisant notamment des restrictions sur les exportations de denrées alimentaires et des intrants agricoles. Malheureusement, les Etats africains (surtout l’Afrique subsaharienne) peinent à adopter les stratégies qui conviennent pour attribuer au moins 10% de leurs budgets à l’agriculture et accroître la productivité agricole de 6% par an comme le stipule l’Accord de Maputo de 2003 dans le cadre de la mise en oeuvre du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA) du NEPAD.
Le grand défi s’avère donc être comment changer de paradigme pour éviter le pire dans cette région du monde. Le développement de l’agrobusiness et la promotion de l’occupation spatiale équilibrée des territoires de ces pays africains sont nécessaires. Vivement que les décideurs en prennent conscience au plus tôt.
Merci.
Dr Emile N. HOUNGBO
Agroéconomiste
Enseignant-Chercheur à l’Université Nationale d’Agriculture de Porto-Novo, Bénin