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COP28 : les enjeux des financements climatiques

Publié le 28 novembre 2023
par Precila Rambhunjun (Fondation FARM) - interview de David Levai (IDDRI)
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Alors que s’ouvre la COP28 et que le sujet du financement est au cœur des discussions, la Fondation FARM donne la parole à David Levai, chercheur associé à l’IDDRI et spécialiste des négociations climatiques.

Les enjeux du financement climatique : entretien avec David Levai (IDDRI)

La 28ème Conférence des parties à la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique se tient à Dubaï, aux Emirats arabes, jusqu’au 12 décembre 2023. Parmi les enjeux (voir l’édito de FARM en vidéo), ce rendez-vous est l’occasion de réaliser le premier bilan mondial des engagements pris à travers l’Accord de Paris lors de la COP21. Parmi eux, l’engagement des pays développés envers les pays en développement de fournir des ressources financières pour l’adaptation et l’atténuation – les financements climatiques – sera au cœur des discussions. Cette question touche directement le secteur agricole qui doit amorcer sa transition vers des modèles moins émetteurs de gaz à effet de serre, assurer sa résilience face aux conséquences du changement climatique, tout en garantissant l’accès à une alimentation durable. D’après la Climate Policy Initiative, sur le continent africain, l’agriculture serait le 2ème secteur prioritaire en termes de besoin de financement, aussi bien pour l’adaptation que pour l’atténuation où il est devancé par le secteur de l’énergie[1].

Fondation FARM : Dans l’Accord de Paris, les pays développés s’étaient engagés à fournir 100 milliards de dollars US ($) par an aux pays en développement à des fins d’atténuation et d’adaptation face aux conséquences du changement climatique. Ces financements climatiques ont-ils été atteints ?

David Levai : Nous savons avec certitude que nous n’avons pas atteint ces 100 milliards ni en 2020, ni en 2021. Selon les derniers chiffres de l’OCDE, les financements climatiques atteignaient 89,6 milliards en 2021, il manquait donc 10 milliards. Cependant, les pays développés – à qui incombent cette obligation – ont tenté de rassurer sur l’atteinte de l’objectif pour 2022 et 2023. Même si, en réalité, il n’y a aucun élément tangible pour l’affirmer, l’OCDE estime qu’il a été atteint en 2022[2][3]. Cela veut dire qu’il y a au moins 2 ans de retard sur l’objectif.

Source : OCDE 2023.

Fondation FARM : Est-ce que ces 100 milliards $ – s’ils étaient atteints – couvriraient l’ensemble des besoins de financement nécessaires pour faire face au changement climatique dans les pays en développement ?

David Levai : Cette enveloppe annuelle représente uniquement les financements climatiques des pays développés vers les pays en développement. Cet objectif a été fixé lors de la COP15 de Copenhague, puis renouvelé en 2020 pour la période 2020-2025 et arrive donc à échéance en 2025. Les discussions ont déjà débuté et se poursuivront pendant la COP28 sur la fixation d’un nouvel objectif et de ses modalités : comment sera-t-il chiffré, qu’est-ce qu’il englobera, comment l’atteindre, quels pays seront contributeurs ? Cependant, il faudra attendre la COP29 en 2024 pour conclure définitivement sur ces points.

Pour revenir sur les besoins chiffrés, ils sont très supérieurs aux 100 milliards $. L’étude la plus consensuelle sur le sujet est celle réalisée par Vera Songwe, Nicholas Stern et Amar Bhattacharya. Elle a été présentée à la COP27 en Egypte. Elle évalue les besoins en investissement des pays en développement (hors Chine) pour combattre le changement climatique et permettre un développement durable à 1 000 milliards $ par an, en excluant les besoins des pays développés[4].

Une autre question importante devra être soulevée : quels seront les pays en développement en 2025 ? Nous ne pouvons considérer ad vitam aeternam que les pays définis comme en développement en 1992 – année de naissance de la Convention climat au Sommet pour la Terre – le sont encore tous aujourd’hui. Plusieurs pays considérés comme en développement sont des puissances émergentes, majeures et organisées telles que l’Afrique du Sud, l’Indonésie, le Vietnam, la Chine, ou le Brésil. Il sera nécessaire de questionner leurs besoins en financements climatiques en provenance des pays du Nord ainsi que leur possible contribution à ces financements.

Fondation FARM : Quels sont les pays contributeurs et receveurs de ces financements climatiques ?

David Levai : Par définition, les pays contributeurs sont les pays développés. Les pays fournissant le plus de financements climatiques sont le Japon, l’Allemagne et la France[5]. En revanche, le Canada et les Etats-Unis restent loin derrière. Pour vous donner un ordre d’idée, les Etats-Unis ont fait la promesse à horizon 2024 – à la fin du premier mandat de Joe Biden – d’arriver à 5,7 milliards $ de financements climatiques. A titre de comparaison, dès 2019, l’Union européenne avait contribué à hauteur de 24,5 milliards.

En termes de destinations et de manière très générale, les financements climatiques, notamment les financements d’adaptation, vont en priorité vers les pays les plus vulnérables, c’est-à-dire les petites îles, les pays touchés par des vagues de chaleur, des sécheresses, des inondations, des ouragans, etc. Ils alimentent aussi des investissements publics, notamment vers les énergies renouvelables, et donc vers des pays qui développent leurs infrastructures de production et de distribution d’énergie solaire (éoliennes, en particulier).

Fondation FARM : Quelle est la répartition des financements climatiques entre atténuation et adaptation ? Et quels secteurs en bénéficient ?

David Levai : L’idée était de destiner environ 40 % des 100 milliards $ à l’adaptation. En réalité, seuls 23 milliards ont été versés en 2021[6], c’est-à-dire la moitié de l’objectif initial. Malgré le besoin et l’urgence, les financements de l’adaptation ont même diminué de 14 % entre 2020 et 2021. Pourtant, les décisions de COP appellent depuis plusieurs années à un doublement de ces financements.

Les types de financements alloués à l’atténuation vont être très différents de ceux destinés à l’adaptation. Ils vont financer des activités rentables, qui durent dans le temps et produisent des revenus tels que la conversion aux énergies renouvelables. A l’inverse, les activités liées à l’adaptation impliquent des changements systémiques difficiles à mettre en place et qui engagent des coûts importants à travers plusieurs petits projets, à l’image de la transition vers un système agricole adapté aux évènements climatiques.

Entre 2016 et 2021, 31% des financements climatiques sont dédiés au secteur « énergie », 14% au secteur « transport et stockage », 9 % au secteur « agriculture, sylviculture et pêche » et 8 % au secteur « eau, approvisionnement, sanitaire »[7].

Fondation FARM : Vous le disiez, il va être nécessaire d’augmenter les financements climatiques dans les années à venir. Quels seraient les nouveaux leviers à mobiliser pour cela ?

David Levai : Au-delà des négociations telles qu’elles ont lieu aux Nations Unies, il est indispensable de débloquer de nouvelles sources de financement.

Par ailleurs, il nous faut impérativement arrêter de financer ce qui est de l’ordre de la finance grise, c’est-à-dire les activités qui se font au détriment de l’action climatique. L’argent investi dans ces activités – par exemple, d’exploration pétrolière – annule les investissements liés à l’atténuation et à l’adaptation, puisque nous continuons à émettre des gaz à effet de serre. La reconversion des subventions aux énergies fossiles[8] est donc un axe prioritaire, bien que les pays vulnérables et la société civile se battent sur ces questions depuis des années sans véritablement de succès.

Une des questions soulevées à la dernière COP par Mia Mottley – Première ministre de la Barbade -, et reprise par Emmanuel Macron lors du « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial » les 22 et 23 juin 2023, est celle de la taxation internationale. Il y a plusieurs options : la taxation des fossiles et la suppression des subventions fossiles, la taxation des transports aériens et des transports maritimes, etc.[9]. Si nous souhaitons lever davantage de fonds, il est nécessaire de mettre en place des mécanismes qui produisent automatiquement ces financements plutôt que de compter sur la prétendue générosité des dirigeants des grandes économies. Ce n’est pas un geste de bonne volonté mais une obligation existentielle. Cependant, il faudra sûrement attendre la COP30 pour voir ces discussions aboutir. Le décalage est patent entre d’une part les besoins mis en avant par l’ampleur des évènements climatiques et les besoins de transition, et d’autre part la capacité à lever des fonds.

Fondation FARM : Justement, quelles sont les possibilités de financement pour les pays en développement, les pays les moins avancées et les petits pays insulaires dans un contexte de crise de la dette des pays du Sud, d’une faible capacité à emprunter et d’une architecture financière mondiale qui n’est pas adaptée à ces besoins comme nous le rappelle l’Initiative de Bridgetown annoncée à la COP 27 et portée par Mia Mottley [10] ?

David Levai : En effet, depuis la dernière COP, ces questions autour de la dette et de la réforme des institutions financières ont été au cœur de l’agenda. Bien qu’elles n’aient pas encore abouties, le FMI et la Banque mondiale ont réussi à mobiliser davantage de financements. La question d’alléger les conditions financières imposées à ces pays, de rééchelonner ou de réallouer les dettes, de suspendre le service de la dette en cas d’évènement climatique majeur, est toujours à l’étude, et des systèmes commencent à se mettre en place. Pendant des années, les négociations internationales étaient davantage un combat politique de posture : les pays du Sud voulaient plus d’argent, alors que les pays du Nord voulaient en donner moins. Depuis peu, nous sommes entrés dans une phase de discussions beaucoup plus subtiles et abouties, concernant la mise en œuvre concrète.

Fondation FARM : Le risque est l’une des principales barrières à l’investissement pour la transition dans les pays en développement. Comment est-il possible de créer la confiance des marchés en faveur de ces pays, comme vous le suggérez dans votre note concernant le « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial », tout en mobilisant les investissements privés ?

David Levai : Une première étape consiste à se doter de mécanismes techniques, soit assurantiels, ou de mise en commun des risques. Autrement dit, de diluer le risque entre plusieurs pays, plutôt que de n’investir que sur un pays. Il est également nécessaire de changer la perception du risque politico-économique. Par exemple, le Nigéria a un taux d’emprunt sur les marchés 3 à 5 fois plus élevé que la Grèce, qui a pourtant fait défaut. Les deux pays n’ont évidemment pas la même situation sécuritaire et de contexte d’investissement.

L’idée de la réforme du système financier est de mettre en place des moyens, des instruments et des outils pour éviter les trappes de financement et de crise de la dette des pays du Sud. Cela va prendre du temps et sera difficile à mettre en œuvre, mais une fois que ces systèmes seront là, les investisseurs privés s’engageront davantage.

Il y a également des innovations telles que les JET-P (Just Energy Transition Partnership). Le premier a été accordé à l’Afrique du Sud afin de financer un grand plan de transition, puisque le pays est fortement dépendant des énergies fossiles (charbon)[11]. Il s’agissait à la fois de mobiliser l’argent public des pays développés tout en amenant des investisseurs privés. Le JET-P annoncé pour l’Indonésie à la COP27 comprenait 10 milliards $ de financement public, couplés à 10 milliards de financement privé[12]. L’ambition était d’investir massivement afin d’amplifier la transition, de convaincre des investisseurs privés de suivre et de mobiliser des financements domestiques, c’est-à-dire de l’argent qui existe déjà dans le pays. En effet, la financiarisation de l’économie s’est mise en place à travers les énergies fossiles, et ces dernières tirent l’économie dans leurs directions. Néanmoins, à partir du moment où les investissements iront vers des secteurs plus propres, ils soutiendront davantage la transformation. Evidemment, ce mécanisme n’est pas applicable aux pays les plus vulnérables mais plutôt aux économies émergentes comme le Brésil, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, l’Inde ou le Vietnam, là où résident d’importants financements domestiques.

Fondation FARM : En conclusion, quels engagements pouvons-nous attendre de cette COP28 concernant les financements ?

David Levai : Dans l’agenda formel, c’est-à-dire ce qui doit être décidé pendant la COP, il y aura :

  • La question du fonds « pertes et dommages », dont le projet de résolution validé par le comité de transition doit être discuté à la COP. La crainte des pays développés est de créer un mécanisme similaire au fonds vert pour le climat, qui a été à la fois très compliqué et très long à mettre en place, tandis que les pays en développement souhaitent que la gouvernance de ce fonds revienne aux bénéficiaires. En cas de résolution, il s’agira d’une victoire politique mais qui ne comportera pas plus d’informations sur les contributeurs, les contributions, la fréquence, etc.
  • Le nouvel objectif quantifié des financements climatiques, bien que cette discussion n’aboutisse que l’année prochaine.
  • Et enfin, le bilan mondial des engagements pris à la COP21 qui intègre une dimension financement. C’est là que nous pouvons espérer entendre des messages politiques forts sur la mobilisation des financements domestiques dans l’ensemble des pays, sur la réforme des institutions multilatérales, en faisant résonner des travaux ayant lieu en dehors de la COP.

Au-delà de ces négociations formelles, la COP a une tout autre portée. Nous devrions voir émerger des demandes fortes des pays vulnérables, principalement pilotées par Mia Mottley, Première ministre de la Barbade et William Ruto, Président du Kenya, voire par Luiz Inácio Lula da Silva, Président du Brésil[13], concernant la nécessité de réformer les finances internationales, d’intégrer les besoins pour l’adaptation et l’atténuation et pour le développement – indissociable des questions climatiques. C’est là que réside le véritable enjeu de la COP, au-delà des négociations : quelle sera la portée des messages politiques notamment en matière de financement et de justice climatique en dehors des murs de la COP pour aller agiter d’autres institutions, à l’image de l’initiative de Bridgetown ?

La Conférence FARM se tiendra à la Cité internationale

Si vous souhaitez approfondir les sujets de financement pour la transformation de l’agriculture dans le monde, inscrivez-vous dès à présent à la Conférence Internationale de la Fondation FARM sur les financements qui aura lieu le 13 février 2024 à Paris.

Sources

[1] D’après leur analyse sur 29 pays africains (hors Afrique du Sud) ayant déclaré leurs besoins de financement par secteur, 27 % des besoins de financement de l’atténuation et 8% des besoins de financement de l’adaptation concernent le secteur « Agriculture, foresterie et autres utilisations des terres » (AFOLU). Pour plus d’informations : https://www.climatepolicyinitiative.org/wp-content/uploads/2022/06/Climate-Finance-Needs-of-African-Countries-1.pdf

[2] Cette estimation repose sur « des données préliminaires et non encore vérifiées dont dispose l’OCDE à ce jour ». Source : https://www.oecd.org/environment/growth-accelerated-in-the-climate-finance-provided-and-mobilised-in-2021-but-developed-countries-remain-short.htm

[3] Dans leur rapport de 2022, Vera Songwe, Nicholas Stern et Amar Bhattacharya affirment quant à eux que l’objectif pourrait être atteint seulement en 2023. Source : https://repository.uneca.org/bitstream/handle/10855/49154/b12021660.pdf?sequence=1

[4] Dans son dernier rapport, l’UNEP estime même que le déficit de financement de l’adaptation se situe aujourd’hui entre 194 et 366 milliards de dollars US par an, et que les besoins en financement en matière d’adaptation sont 10 à 18 fois supérieurs aux flux actuels de financement publics internationaux dédié à l’adaptation. Source : https://reliefweb.int/report/world/un-manque-de-financement-et-de-preparation-linsuffisance-des-investissements-et-de-la-planification-en-matiere-dadaptation-au-climat-expose-le-monde-au-danger-resume-analytique

[5] Source : https://www.wri.org/insights/developed-countries-contributions-climate-finance-goal

[6] Pour une moyenne de seulement 17,6 milliards de dollars US sur la période 2016 – 2021 selon les chiffres de l’OCDE. Source : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/b0878862-en/1/3/2/index.html?itemId=/content/publication/b0878862-en&_csp_=f5a4cedc035a681198e27d36241cf301&itemIGO=oecd&itemContentType=book

[7] Source : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/40558351-fr/1/3/1/index.html?itemId=/content/publication/40558351-fr&_csp_=d8e1e5e8865d39c464f957a14f83ae40&itemIGO=oecd&itemContentType=book

[8] https://www.imf.org/en/Blogs/Articles/2023/08/24/fossil-fuel-subsidies-surged-to-record-7-trillion

[9] Oxfam propose également un impôt sur la fortune climatique ou une taxe sur les dividendes pour les entreprises ne respectant par l’Accord de Paris, d’après les résultats de leur dernier rapport sur les inégalités climatiques. Source : https://www.oxfamfrance.org/rapports/egalite-climatique-une-planete-pour-les-99/

[10] L’initiative de Bridgetown a été initiée par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley à la COP27 à Charm El-Cheikh et est portée aujourd’hui par de nombreux pays du Sud. L’initiative contient plusieurs propositions pour réformer l’architecture financière mondiale afin qu’elle réponde mieux aux enjeux climatiques et de développement des pays du Sud.

[11] Un partenariat pour une transition énergétique juste (Just Energy Transition Partnership ou JET-P) a été conclu en novembre 2021 lors de la COP26 entre la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Union européenne et l’Afrique du Sud – bénéficiaire de ces financements. Les premiers engagements financiers ayant été conclus lors de la COP27. Pour plus d’informations : https://www.afd.fr/fr/actualites/afrique-du-sud-300-millions-euros-soutenir-transition-energetique-juste

[12] Source : https://www.undp.org/indonesia/projects/indonesia-just-energy-transition-partnership-jetp

[13] Le 23 novembre 2023, la ministre de l’Environnement brésilienne a d’ailleurs annoncé que le président brésilien proposera un fonds destiné à préserver les forêts tropicales lors de la COP28. Source : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/24/cop28-le-bresil-propose-la-creation-d-un-fonds-visant-a-proteger-les-forets-tropicales_6202030_3244.html

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