Méditerranée : quel bilan des récoltes en cette fin d'été ?
Les agricultures méditerranéennes ont connu plusieurs sécheresses et vagues de chaleur en 2023. Les pluies sont arrivées trop tardivement au Maghreb et dans la péninsule ibérique. Ailleurs, en Italie, Grèce, Slovénie et Croatie, des excès d’humidité ont pu être observés. Enfin, plusieurs canicules – exceptionnellement tardives pour certaines – ont touché l’ensemble des pays de la Méditerranée. La situation est donc très contrastée entre les différents pays du bassin. La Fondation FARM dresse un bilan de l’état des récoltes en cette fin d’été.
Cultures d’hiver entre sécheresses et orages
Les prévisions réalisées au début de l’été sur les grandes cultures d’hiver (blé, orge) se sont confirmées selon David Gasc, coordinateur du réseau MED-Amin au CIHEAM[1]. Les productions céréalières ont été plutôt satisfaisantes en Méditerranée, excepté pour le Maghreb et la péninsule ibérique affectés par les sécheresses. L’Italie, la Grèce, la Slovénie et la Croatie ont été confrontées à des épisodes orageux causant certains dommages sur les terres agricoles.
Au Maghreb, les sécheresses ont perturbé le développement des cultures de céréales – en particulier dans l’intérieur des terres – les pluies étant arrivées trop tardivement. Les productions de blé y sont inférieures à la moyenne quinquennale : -23 % au Maroc, -22 % en Algérie et -42 % en Tunisie[2] voire bien moins selon l’Office des céréales tunisien. D’après la FAO, une hausse des importations céréalières est à prévoir en Afrique du Nord – région fortement dépendante des marchés internationaux – bien qu’elle soit en partie compensée par la création anticipée de stocks pendant les campagnes précédentes. Certains pays de la sous-région tentent également de diversifier l’origine de leurs importations afin de limiter l’impact de chocs structurels tels que survenus avec la guerre en Ukraine. Cette diversification reste cependant limitée de par la forte concentration du marché du blé, l’Union européenne et la Russie restant les principaux fournisseurs de la région.
À l’instar du Maghreb, la péninsule ibérique a fait face à des sécheresses et de fortes chaleurs affectant les cultures de céréales. Les rendements en blé et orge sont très inférieurs à la moyenne quinquennale : -38 % et -34 % pour l’Espagne et -43 % pour les deux cultures au Portugal, d’après les prévisions du JRC MARS[3]. Une partie de ces cultures a été déclassée en fourrage ou laissée en pâturage dans plusieurs régions.
La Slovénie, la Croatie et une partie des Balkans ont été touchées par des pluies torrentielles et des épisodes de grêle causant inondations et destructions, et favorisant la prolifération de maladies. Ces deux pays enregistrent ainsi une baisse de rendement du blé et de l’orge : -8 % pour les deux cultures en Slovénie et respectivement -12 % et -11 % en Croatie. Les cultures céréalières d’Italie et de Grèce ont été impactées par cette sur-humidité de mai à la mi-juin, avec des phénomènes de verse, des maladies fongiques et une perte de qualité des grains. En revanche, les rendements de blé et d’orge devraient rester légèrement au-dessus de la moyenne quinquennale, avec respectivement +1 % et +2 % pour l’Italie et +5 % et +6 % pour la Grèce.
En France, principal pays producteur céréalier européen, les rendements de blé tendre et d’orge sont satisfaisants en qualité et en quantité – en hausse de +3 % et +7 % par rapport à la moyenne sur 5 ans. Cependant, dans le sud du pays, sécheresses et orages ont impacté la quantité et la qualité des blés durs[4]. D’après les observations de terrain, les grains sont parfois plus petits ou d’un aspect opaque et farineux (mitadinage)[5].
Sur la rive est-méditerranéenne, des précipitations bien réparties et proches, voire supérieures, aux normales de saison pendant le développement des cultures céréalières ont permis d’assurer une production supérieure à 2022, année de fortes sécheresses. La production de céréales devrait atteindre 3,3 millions de tonnes en Syrie, et 37,4 millions de tonnes en Turquie, soit 6 % de plus que la moyenne[6]. Pour cette dernière, les conditions d’humidité ont pu, par endroit, impliquer des cas de germination précoce.
À l’inverse de ces voisins maghrébins, l’Égypte affiche un niveau de production de blé supérieur à la moyenne sur 5 ans (+9 %), s’expliquant en partie par une hausse des surfaces cultivées de blé et du recours majoritaire à l’irrigation rendant les producteurs moins tributaires des variations des précipitations.
Cultures d’été et pérennes entre pluies et fortes chaleurs
D’après les prévisions du JRC MARS, en région méditerranéenne, les fortes pluies estivales – survenues à partir de début juin – devraient être globalement favorables aux cultures d’été, y compris en Espagne, Portugal, Tunisie et dans l’Est de l’Algérie. Cependant, certaines cultures d’été et vergers d’Italie, de Slovénie et de Croatie ont été endommagées par les pluies torrentielles et par les épisodes de grêle. Les vagues de chaleur récentes – parfois tardives comme en France – pourraient avoir causé brûlures et assèchement des cultures, bien que les pertes soient encore indéterminées. En parallèle, dans la première quinzaine de septembre, de fortes inondations ont frappé l’Espagne, l’Italie, la Grèce, la Turquie et la Libye et causé de nombreux dégâts sur les surfaces agricoles. Ces pertes sont encore difficilement quantifiables à l’heure actuelle et donc non prises en compte dans ce bilan. À titre d’exemple, 23 % des terres cultivables grecques pourraient avoir été affectées par la tempête Daniel, cyclone subtropical méditerranéen, ayant également submergé la Turquie et la Libye. En Libye, ces inondations – qui ont conduit à la rupture de deux barrages – ont causé des milliers de morts et d’innombrables dégâts. La région agricole du Cyrénaïque à l’est du pays a été particulièrement touchée.
En Grèce, les fortes pluies estivales ont freiné le cycle végétatif de certaines cultures d’été, mais les conséquences sur la qualité et la quantité des récoltes restent encore indéterminées. En Italie, où les orages ont également été très violents, les vignes et les vergers ont été endommagés, en particulier en Émilie-Romagne, en Frioul-Vénétie Julienne, en Vénétie, en Lombardie et dans le Piémont. Les productions de pêches seraient en baisse de 9 % sur un an et de 13 % par rapport à la moyenne quinquennale[7]. Globalement, la production de fruits à noyaux (nectarine, pêche, pêche plate, abricot, pavie) est prédite en baisse par rapport à l’an dernier par Europêch’ en Grèce et surtout en Italie[8].
Au Maroc, certaines régions dont le Souss-Massa – principale zone de production des fruits et légumes du pays – ont été affectées par les vagues de chaleur et les tempêtes de sable au mois d’août, provoquant des dégâts sur une partie des cultures (tomate, poivron, olive, fruit rouge, banane). Pour l’heure, les pertes n’ont pas encore été chiffrées. Selon David Gasc, les fruits à noyaux et les amandes devraient également connaitre une baisse de rendement en Tunisie. Il ajoute que les rendements oléicoles sont en baisse en Espagne et en Tunisie, principaux exportateurs mondiaux d’huile d’olive avec l’Italie. Les oliviers ont en effet subi de forts stress thermiques et hydriques entre mai et juin, pendant la floraison. En Andalousie, où se concentre plus de la moitié des surfaces oléicoles espagnoles, de nombreux villages dépendent de cette production souvent menée en monoculture, et sont d’autant plus vulnérables économiquement face à ces sécheresses répétées.
En France, les perspectives sont contrastées selon les vignobles, certains ayant été fortement touchés par les sécheresses quand d’autres ont pu compter sur des précipitations suffisantes ou sur le recours à l’irrigation pour limiter le stress hydrique. Dans certains secteurs, les récoltes s’annoncent même supérieures à l’an dernier. Les vignes, en particulier des vignobles de Bordeaux et du Sud-Ouest, ont souffert d’une recrudescence du mildiou favorisée par le temps humide et les températures élevées[9]. À l’échelle nationale, les estimations de production restent toutefois favorables, au niveau, voire au-dessus de la moyenne sur cinq ans.
Les pluies estivales ont assuré de bonnes conditions pour les grandes cultures de maïs et de tournesol sur les rives nord et est de la Méditerranée. La production devrait y rester stable par rapport à la moyenne quinquennale. Les vagues de chaleur de juillet ne semblent pas avoir eu d’impact sur la fertilité du maïs[10], principalement irrigué, en Espagne et au Portugal. En Turquie, France, Italie et Croatie, les rendements sur le soja devraient être bien meilleurs que l’an dernier. Cependant, les canicules tardives ayant eu lieu à la mi-août et début septembre ont pu avoir des conséquences difficilement mesurables à l’heure actuelle.
En Espagne, la production de fruits à noyaux (nectarine, pêche, pêche plate, abricot, pavie) sur l’année 2023 serait en hausse par rapport à l’an dernier (+50 %)[11]. La production de pomme y serait également très satisfaisante (+30 %) par rapport à l’an dernier[12]. La campagne 2023/2024 de citron pourrait atteindre un niveau supérieur aux cinq campagnes précédentes avec une hausse de 30 % en un an pour la variété « Fino », et ce, malgré des épisodes de grêle dévastateurs pour au moins 1000 ha dans la région de Murcie[13].
Dans les régions méditerranéennes françaises, des épisodes de grêle début juin ont causé quelques pertes dans les vergers mais les fortes températures et les précipitations qui ont suivi ont permis d’assurer une bonne qualité et un grossissement des fruits. La production nationale d’abricots serait supérieure de 20 % à la moyenne sur 5 ans, bien qu’en baisse de 3 % par rapport à l’an dernier[14]. La production de pêches, nectarines, brugnons et pavies serait supérieure à la moyenne quinquennale d’environ 3 % et proche de l’an dernier (+1 %)[15]. La production de pomme, bien que contrastée entre les régions, devrait suivre la même tendance à l’échelle nationale (+11 % en un an)[16].
Malgré des conditions plus favorables que l’été 2022 ponctué par de sévères sécheresses, les terres agricoles méditerranéennes ont été confrontées cette année encore à plusieurs phénomènes météorologiques intenses, causant, parfois simultanément, stress hydrique, stress thermique, sur-humidité, recrudescence de maladies ou détérioration des cultures. Point chaud du changement climatique, la région est d’ores et déjà touchée par des canicules records, épisodes de sécheresses ou violents orages, qui devraient s’intensifier et se faire plus fréquents dans les années à venir selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)[17]. L’actualité récente en Libye rappelle la fragilité des sociétés, parfois peu adaptées à l’intensification de ces aléas climatiques. La mobilisation de l’ensemble des acteurs, des agriculteurs aux consommateurs en passant par les pouvoirs publics est donc impérative pour penser et mettre en place des stratégies d’adaptation.
[1] MED-Amin, réseau de coopération autour des marchés agricoles méditerranéens, fournit des données qualitatives sur les cultures céréalières de 13 pays membres du Centre International de Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes (CIHEAM). Ils produisent trois bulletins sur la qualité des récoltes, basés sur des données de télédétection et des données de terrain recueillies par des observateurs locaux.
[2] FAO. Juillet 2023. « Rapport mondial trimestriel – Perspectives de récolte et situation alimentaire ».
[3] European Commission. Août 2023. « Crop monitoring in Europe – August 2023 ».
[4] FranceAgriMer, Arvalis, Terres Inovia. Août 2023. Qualité de la récolte 2023 des céréales à paille, colza et protéagineux.
[5] J. Papin, R. Borget et I. Escoffier (La France Agricole). Août 2023. « Une moisson dans la moyenne ».
[6] FAO. Juillet 2023. « Rapport mondial trimestriel – Perspectives de récolte et situation alimentaire ».
[7] Agreste. Août 2023. « Infos rapides – Fruits – Pêche ».
[8] Ministerio de agricultura, pesca y alimentación. 2023. « Boletín fruta de hueso. Resumen campaña 2023 ».
[9] Agreste. Août 2023. « Infos rapides – Viticulture ».
[10] European Commission. Août 2023. « Crop monitoring in Europe – August 2023 ».
[11] Ministerio de agricultura, pesca y alimentación. 2023. « Boletín fruta de hueso. Resumen campaña 2023 ».
[12] Agreste. Août 2023. « Infos rapides – Fruits – Pomme ».
[13] AILIMPO. Juillet 2023. « Preaforo de cosecha de limón fino en España próxima campaña 2023/2024 ».
[14] Agreste. Août 2023. « Infos rapides – Fruits – Abricot ».
[15] Agreste. Août 2023. « Infos rapides – Fruits – Pêche ».
[16] Agreste. Août 2023. « Infos rapides – Fruits – Pomme ».
[17] Ali et al. 2022. « Cross-Chapter Paper 4: Mediterranean Region ».