Togo, l'agriculture biologique au défi du financement
Même si elle est encore très minoritaire, les autorités togolaises ont favorisé l’émergence d’une filière en Agriculture biologique (AB) tournée presque exclusivement vers l’export. Le point avec Gustav Bakoundah, fondateur de Label d’Or, une entreprise qui fédère des centaines de petits producteurs. La société a mis en place un système de contrôle pour surveiller la qualité des sols et l’usage des intrants. Mais malgré des succès, le problème du financement demeure.
« Nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos producteurs ». D’emblée, Gustav Bakoundah donne le ton. L’entrepreneur togolais est à la tête de Label d’Or, une société qu’il a créée en 2012. Au départ, Label d’Or fédérait un large réseau d’agriculteurs qui se spécialisaient principalement dans la culture de l’ananas avec la certification AB sur des petites parcelles. Le Togo offre des conditions propices à la production de ce fruit garantissant un approvisionnement constant presque tout au long de l’année. La production annuelle d’ananas dans le pays s’élève à plus de 40 000 tonnes par an (2022), dont plus de 30 000 tonnes en agriculture biologique. Mais les petits exploitants ne sont pas toujours en mesure d’accéder au marché. Label d’Or les soutient dans l’obtention de la certification AB et leur apporte une assistance technique pour améliorer leurs pratiques, notamment agroforestières. Une méthode qui permet aux bénéficiaires à la fois de trouver des débouchés et de pérenniser leur production. Mais les projets se heurtent souvent à des problématiques de financement.
FARM : Quel a été votre objectif de départ en fondant Label d’Or ?
Gustav Bakoundah : Au début, nous nous intéressions principalement à la production d’ananas. Puis sont venus la papaye et les oléagineux comme la graine de soja. Nous ne faisions que la culture et la récolte. En 2017, nous nous sommes lancés dans la transformation avec la mise en place de l’usine Jus Délice. Nous y produisons tous les ans 4 000 tonnes de jus bio qui sont destinées aux embouteilleurs du monde entier. Nous produisons également du concentré d’ananas et de la purée d’ananas bio destinés à la nutrition infantile. Pour l’instant, nous ne sommes pas très actifs sur les marchés locaux et régionaux. On est sur une filière biologique, avec des produits de forte valeur ajoutée donc nous le valorisons à l’export.
En février 2023 nous avons lancé une seconde unité de transformation. Cette fois pour le karité. Le potentiel est grand, nous pouvons viser les 4 000 tonnes annuelles de beurre de karité biologique avec le label commerce équitable. La majorité de la production est elle aussi destinée à l’exportation. Nous avons mis au point un système de contrôle interne très robuste qui regroupe une centaine de techniciens pour environ 12 000 producteurs sur l’ensemble des filières.
FARM : Est-ce que produire en agriculture biologique représente un gros défi dans un pays comme le Togo ?
Gustav Bakoundah : Le Togo est un petit pays, on ne peut pas rentrer en compétition avec de grandes nations. Nous jouons la carte de l’avantage comparatif. Le pays a fait le choix de soutenir une agriculture biologique avec des filières de niche. En Afrique de l’Ouest, le Togo est parmi les premiers exportateurs de produits certifiés AB vers l’Union Européenne (voir encadré).
Mais le défi est complexe. En Afrique, il y a souvent un problème de productivité lié à la disponibilité de la main d’œuvre. Souvent, les paysans sont tentés d’aller au plus rapide. Et le plus rapide, ce sont des pesticides à bas prix. Parfois ils ne sont même pas homologués. Ils sont officiellement sortis du marché mais toujours en vente et les paysans ne le savent pas. Nous sommes souvent confrontés à ce type de problèmes. C’est là où le système de contrôle interne de Label d’Or joue son rôle : nous nous assurons de bien connaître l’historique des parcelles de nos producteurs et des traitements qu’elles ont reçus. Les techniciens sur le terrain veillent à ce qu’il n’y ait pas d’apport d’intrants chimiques. Dans le cas contraire, les parcelles sont exclues de notre liste. Parfois, ce sont mêmes les producteurs que nous sortons de notre dispositif. Cette veille permanente nous permet de maintenir l’intégrité biologique de nos produits.
FARM : Quels sont les leviers financiers que vous avez dû activer ? Quel genre de difficultés avez-vous rencontrées ?
Gustav Bakoundah : Le vrai problème du Togo, comme d’autres pays africains, c’est que ce sont des pays en développement qui sont encore en phase de construction. Les financements représentent un gros défi. Nous avons fait le choix d’une croissance individuelle lente, qui nous permet de réinvestir au fur et à mesure et petit à petit dans notre activité. Mais à un moment donné, il faut forcément qu’il y ait un appui financier. Les banques nous aident un tout petit peu pour le fonds de roulement. Mais c’est très difficile d’obtenir des financements pour des investissements. Pour l’usine Jus Délice par exemple, nous n’avions pas de soutien financier localement. Nous avons donc été obligés d’aller chercher de l’equity avec le fond Moringa qui nous a suivi (Equity : principe de financement en fonds propre qui revient à être soutenu par des associés à hauteur de la valeur de l’entreprise – ndlr). Aujourd’hui, nous recherchons des financements structurants pour développer l’activité, dégager les ressources nécessaires pour se diversifier et créer plus de valeur ajoutée avec d’autres filières que nous voulons intégrer. Soit seul, à notre échelle ; soit en nous associant avec d’autres usines de transformation.
FARM : Quelle relation avez-vous avec vos producteurs ?
Gustav Bakoundah : Nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos producteurs. Ce sont des gens avec qui nous avons construit notre démarche et nous nous engageons pour accompagner leur développement et leur autonomisation. Il y a deux défis principaux. Celui du volume. Et le défi de la qualité. Comment faire en sorte que l’agriculteur réussisse à s’autosuffire en produisant suffisamment tout en respectant les standards d’une agriculture biologique ? C’est une question centrale. Il faut amener l’agriculteur à gagner de l’argent. A partir du moment où il comprend que ce qu’il gagne peut lui permettre de se nourrir et de se soigner, mais aussi de scolariser ses enfants et même de les emmener à l’université, il saisit les enjeux et il adhère. Aller vers l’agriculture biologique, c’est une manière de valoriser nos exploitations en évitant les pesticides tout en gagnant plus.
Propos recueillis par FARM.