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Le coton au Pakistan : un "lien vital entre les champs et la scène mondiale"

Publié le 24 juin 2024
par la Fondation FARM
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Le pays est le 5ème producteur mondial de la fibre textile. Dans l’économie du pays, sa culture revêt une importance cruciale. La Fondation FARM a rencontré Muhammad Javed [1], conseiller « Coton » de l’APTMA, une association pour l’industrie textile regroupant plus de 350 entreprises du secteur au Pakistan[2].

Le coton Bt, génétiquement modifié, est la principale variété cultivée au Pakistan. (FARM).

Pour une analyse du secteur agricole pakistanais et de ses défis en termes social, économique et environnemental, retrouvez ici l’analyse de la Fondation FARM

 

FARM : Quelle est l’importance de la chaîne de valeur du coton au Pakistan ? Comment évaluer sa contribution, en tant que fibre et aliment, à l’économie et à la sécurité alimentaire ?

Muhammad Javed : La chaîne de valeur du coton au Pakistan joue un rôle essentiel, en s’insérant dans le tissu de l’économie du pays et dans la vie de ses habitants. Ce lien historique avec le coton est profondément ancré dans le passé du Pakistan. Avec un héritage remontant à 5 000 ans avant J.-C., le coton fait partie intégrante de l’identité nationale. Le coton est plus qu’une simple culture, c’est un lien vital entre les champs et la scène mondiale. Le coton règne en maître sur les cultures de rente, représentant 65 % des recettes en devises.

C’est une ressource vitale pour près de 26 % des agriculteurs, qui occupent plus de 15 % des terres cultivées et contribuent à hauteur de 4,5 % au PIB agricole. C’est un moteur important de la prospérité nationale. Le voyage du coton ne s’arrête pas aux champs. Il alimente le puissant moteur de l’industrie textile pakistanaise, le plus grand secteur agro-industriel du pays. Ce secteur, étroitement lié au coton, emploie 17 % de la population, génère 65 % des devises étrangères et contribue à hauteur de 8,5 % au PIB. Aujourd’hui, le Pakistan est le cinquième producteur de coton et le troisième consommateur/producteur de fil de coton dans le monde.

Mais la valeur du coton va bien au-delà de ses fibres. La graine de coton est un monde à part entière, qui regorge d’utilisations diverses. L’huile de coton, un aliment de base sain, nourrit les familles et ajoute une valeur économique supplémentaire. Mais ses utilisations dépassent la poêle à frire ; l’huile entre dans la composition du savon, de la margarine, des cosmétiques et même des produits pharmaceutiques. Le rôle du coton en matière de sécurité alimentaire ne doit pas être occulté. Même les restes du cotonnier jouent leur rôle. Les tiges deviennent un combustible dans les zones rurales. Elles sont même explorées comme source de biocarburant, offrant un aperçu d’un avenir plus durable.

Malgré ses contributions indéniables, l’industrie du coton est confrontée à de nombreux défis. Les fluctuations du marché, les avancées technologiques et la concurrence internationale exigent une adaptation et une innovation constantes. L’adoption de pratiques agricoles avancées, la priorité donnée à la recherche et au développement et la recherche de partenariats stratégiques seront essentielles pour assurer la croissance et la compétitivité continues de l’industrie.

FARM : Pourriez-vous préciser les enjeux sociaux qui touchent le secteur, y compris les questions liées aux conditions de travail et aux moyens de subsistance des agriculteurs ?

Muhammad Javed : Si le secteur du coton a toujours été confronté aux problèmes du travail des enfants et de travail forcé, des efforts considérables ont été déployés au niveau du gouvernement et des ONG pour lutter contre ces pratiques. Il y a eu de nombreux programmes comme Better Cotton, des projets avec l’Organisation mondial du travail et la FAO, etc. Aujourd’hui, selon moi, ce ne sont plus des préoccupations courantes dans le secteur grâce au travail réalisé (ndlr : dans la plupart des provinces du Pakistan, il est légal de travailler à partir de 14 ans, voir notamment les travaux du projet CLEAR Cotton).

Toutefois, il reste des défis à relever pour garantir des conditions de travail équitables et sûres à tous les travailleurs, améliorer les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles et promouvoir des pratiques durables qui profitent à la fois aux communautés et à l’environnement.

Certaines préoccupations persistent concernant les bas salaires, l’emploi irrégulier et l’accès limité aux équipements de base pour les travailleurs adultes. Des initiatives sont en cours pour promouvoir de meilleures conditions de travail, garantir des revenus stables aux travailleurs et renforcer les mécanismes de protection des droits des travailleurs.

Le secteur est aussi confronté à des défis majeurs pour les petits exploitants. Ils ont un accès limité au crédit, des techniques agricoles dépassées et dépendent des méthodes traditionnelles. Cela peut nuire à la productivité et aux revenus. Les fluctuations des prix ajoutent aussi à l’instabilité. Des programmes sont mis en œuvre pour permettre aux agriculteurs d’accéder au financement, à la technologie et à la formation en matière de pratiques durables. Ces initiatives visent à améliorer la productivité, à augmenter les revenus et à créer un secteur agricole plus résistant. Des investissements sont réalisés dans les soins de santé, l’éducation et d’autres services essentiels afin d’améliorer le bien-être général des communautés.

FARM : Compte tenu des préoccupations mondiales en matière de durabilité environnementale, comment l’industrie du coton au Pakistan relève-t-elle les défis environnementaux ?

Muhammad Javed : Comme c’est le cas partout dans le monde, l’utilisation de l’eau est l’une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Certains experts affirment que le coton est le plus grand consommateur d’eau de tous les produits agricoles. Pour y remédier, des efforts ont été déployés pour améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’eau en adoptant des techniques d’irrigation plus économes, telles que l’irrigation au goutte-à-goutte ou les systèmes de collecte des eaux de pluie. Des recherches sont en cours pour développer des variétés de coton plus résistantes à la sécheresse, réduisant ainsi les besoins globaux en eau pour la culture.

En outre, le changement climatique a entraîné des phénomènes météorologiques imprévisibles et des catastrophes naturelles telles que les inondations et les sécheresses, qui peuvent également affecter la production.

Un autre défi est la prévalence des ravageurs et des maladies qui peuvent affecter les cultures du coton. Le pays a été confronté au ver rose du cotonnier, qui peut réduire considérablement les rendements. De nombreuses régions productrices de coton, dont le Pakistan, ont encouragé les pratiques de lutte intégrée contre les ravageurs. Il s’agit d’une combinaison de lutte biologique, de pratiques culturales et d’une utilisation judicieuse des pesticides afin de minimiser l’impact sur l’environnement.

Les agriculteurs sont formés à ces pratiques afin de réduire la dépendance à l’égard des pesticides chimiques et de minimiser leur impact sur les écosystèmes. En outre, les pratiques de rotation des cultures sont encouragées afin de préserver la santé et la fertilité des sols, réduisant ainsi la nécessité d’utiliser des intrants chimiques excessifs.

L’agriculture de conservation et les cultures de couverture sont mises en œuvre pour prévenir l’érosion des sols, augmenter la rétention d’eau et améliorer la structure générale des sols. Certains agriculteurs s’orientent également vers des pratiques d’agriculture biologique, en évitant les engrais et les pesticides de synthèse pour favoriser la santé des sols.

Il existe également des politiques publiques telles que des réglementations visant à contrôler l’utilisation de l’eau et des pesticides dans l’agriculture, des subventions ou des incitations financières et des certifications qui peuvent aider l’industrie, et en particulier les agriculteurs, à faire face aux défis environnementaux. Les producteurs de coton peuvent par exemple participer à des programmes de certification tels que la Better Cotton Initiative citée plus haut (BCI), qui fixe des normes mondiales pour la production durable de coton, englobant des critères environnementaux et sociaux.

FARM : Les avancées technologiques sont présentées comme une solution face à ces défis, comment procédez vous et en quoi cela permet-il d’augmenter la productivité, réduire l’impact sur l’environnement et améliorer les conditions socio-économiques générales des producteurs ?

Muhammad Javed : Cela se fait aujourd’hui avec une approche à multiples facettes. Consciente de la nécessité d’innover en permanence, l’industrie du coton au Pakistan cherche à obtenir des transferts de technologie des pays développés, en particulier d’Europe. L’accent est mis sur l’adoption de pratiques d’agriculture régénératrice, en tirant parti des progrès réalisés dans l’utilisation des biofertilisants et des biopesticides.

La collaboration avec des experts et des institutions de régions développées facilite l’échange de connaissances, promouvant des pratiques durables et respectueuses de l’environnement dans la culture du coton.

Nous connaissons l’importance de la qualité des semences pour la culture du coton, en particulier dans le contexte du changement climatique. Un système de semences centralisé avec des règles claires a été mis en place pour régir la production, leur multiplication et leur distribution. De solides processus de certification des semences ont été mis en œuvre pour vérifier la maturité et l’authenticité des variétés commercialisées.

La participation active du secteur privé, y compris des sociétés semencières et des coopératives agricoles, à la production et à la distribution des semences est encouragée. Un système transparent et responsable garantit la fourniture de semences de haute qualité aux agriculteurs.

Le système de certification des semences existant est renforcé afin d’empêcher la diffusion de variétés immatures et pour contrôler la vente de fausses semences. Des tests ADN effectués dans des laboratoires d’essais de semences accrédités au niveau international garantissent la pureté physique et génétique des semences.

Les technologies agricoles modernes, telles que les drones et les cueilleurs mécaniques, sont aussi encouragées afin d’améliorer l’efficacité de la production de semences. Les investissements dans les processus mécanisés réduisent les coûts de main-d’œuvre et augmentent la productivité globale. Des usines de traitement des semences ultramodernes garantissent l’efficacité de leur nettoyage, de leur triage et de leur emballage.

Depuis les années 2000, la technologie des OGM est utilisée pour la production. Le coton Bt, une variété génétiquement modifiée, est la principale variété cultivée au Pakistan. Elle vise à résoudre les problèmes liés aux parasites, à améliorer les rendements et à réduire la dépendance à l’égard des pesticides chimiques dans la culture. L’adoption du coton génétiquement modifié a joué un rôle important dans l’évolution des pratiques au Pakistan.

Propos recueillis par Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation FARM.

[1] Dr Muhammad Javed supervise les activités de recherche et de développement sur le coton pour l’APTMA au Pakistan. Il a une longue expérience dans la sélection et le développement de variétés de coton, résistantes aux stress biotiques et abiotiques.

[2] La All Pakistan Textile Mills Association (APTMA) est une organisation commerciale pakistanaise qui représente le secteur textile, elle comprend 350 entreprises textiles. L’association est engagée dans la sauvegarde des intérêts commerciaux de ces entreprises, ainsi que de la filière coton.

 

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