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Pakistan : quels enjeux pour la relance agricole ?

Publié le 23 juin 2024
par Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation FARM
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Cinquième pays le plus peuplé du monde avec plus de 235 millions d’habitants, le Pakistan fait face à un enjeu clé pour son avenir : le développement de son agriculture et la sécurité alimentaire de sa population. Après une mission à la rencontre des acteurs du secteur à la demande de l’Ambassade de France à Islamabad, la Fondation FARM analyse les dynamiques complexes qui façonnent l’agriculture du pays.

 

Pakistan, un géant agricole endormi ? Le pays présente des atouts significatifs en termes de dotation en terres relativement fertiles, en particulier dans la vallée de l’Indus, d’une diversité de zones agro-climatiques, allant des plaines chaudes aux zones montagneuses, permettant une grande diversité de productions. Le pays rivalise ainsi avec d’autres puissances agricoles majeurs comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Union européenne ou les États-Unis sur plusieurs productions comme le blé, le riz, la canne à sucre ou encore le coton. Pilier majeur de l’économie du pays, le secteur agricole contribue à plus de 22 % du PIB[1] et 38 % des emplois.

Le pays s’illustre aussi en matière d’élevage de bovins, d’ovins, de caprins (15ème rang mondial pour la production de viande) mais aussi dans l’aviculture (9ème producteur mondial d’œufs, plus de 21 milliards chaque année pour près de 50 millions de poules) . Plus de la moitié du PIB agricole est générée par les activités d’élevage et de production de produits laitiers. L’aviculture a connu aussi une croissance significative avec une production importante de viande et d’œufs.

Le secteur agricole, s’il apparaît prometteur, fait pourtant face à de nombreux défis qui pèsent largement sur son futur. 5ème pays le plus peuplé au monde (derrière la Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Indonésie), entre 2023 et 2030 le Pakistan accueillera près de 35 millions de nouveaux habitants alors que la population est déjà massivement jeune. La pauvreté est un problème important (36 % de la population) et est concentrée en zone rurale (75 % de la population pauvre).

De plus, selon les Nations Unies (FAO/PAM), l’insécurité alimentaire s’aggrave dans le pays qui est classé au 92ème rang sur 116 de l’indice mondial de la faim. La situation actuelle est en grande partie due aux conséquences des inondations de l’été 2022 qui ont touché près d’un tiers du pays. N’oublions pas d’ailleurs que la sécurité alimentaire est autant une question de quantité disponible que de capacité économique à acheter la nourriture. Or l’inflation alimentaire est en hausse depuis 2021 (8,3 %) et dépassait en janvier 2023 les 35 % en sachant que le salaire d’un travailleur journalier est d’environ 2 $ par jour.

Le pays connaît aussi un creusement de sa balance commerciale alimentaire et agricole. Les réserves de change appauvries et la dépréciation de la monnaie réduisent les capacités du pays à importer de la nourriture. Or, le Pakistan est un importateur net de denrées alimentaires, pour un montant de 9 milliards $ en 2020 (contre 1,2 milliard en 2000). Il dépend en particulier d’huiles et de protéines végétales (3,5 milliards $), essentiellement issues de la palme et du soja. La dépendance à l’Indonésie sur l’huile de palme est très importante et n’est pas sans conséquence sur la sécurisation des approvisionnements du pays. Compte tenu de la hausse de la consommation de produits issus du complexe huiles et protéines, un investissement dans ce secteur apparaît plus qu’important. D’autant plus qu’au niveau mondial les autres pays émergents sont très dépendants de l’huile de palme et que la règlementation de lutte contre la déforestation au sein de l’UE pourrait entraîner des conséquences sur la disponibilité de ces produis avec un risque de renchérissement de leur prix.

Le pays exporte pour 5,3 milliards$ de produits agricoles, essentiellement du riz, mais depuis 2008 le montant des exportations stagne. A noter que si l’on ajoute les produits issus du coton et de sa transformation la balance agricole devient excédentaire. La situation économique du pays est d’autant plus préoccupante qu’entre 2023 et 2026 le Pakistan est censé rembourser une dette extérieure de 77,5 milliards $. Une somme colossale étant donné que le PIB du pays était de 350 milliards $ en 2021 (en croissance depuis 20 ans).

L’instabilité politique et économique du pays liée notamment aux résultats des dernières élections législatives[2] en février 2024 limite ses capacités à importer et a des conséquences sur sa production industrielle nationale. En raison du manque d’investissements publics et privés et en raison de défis structurels, l’agriculture ne remplit pas sa mission de locomotive de l’économie nationale[3]. Les services et l’industrie tirent la croissance économique bien qu’ils n’aient pas offerts suffisamment d’emplois pour les habitants des zones rurales. Il y a d’ailleurs un débat important aujourd’hui au Pakistan sur la transformation de ces espaces, certains experts appelant à organiser la migration des campagnes vers les villes pour éviter le morcellement du foncier[4].

Des ressources naturelles fortement sollicitées

Les ressources naturelles sont inégalement réparties sur le territoire alors que les impacts du changement climatique sont très forts. Les infrastructures qui permettent de gérer ces ressources, notamment le système de canaux dans le bassin de l’Indus datant de la colonisation britannique, sont d’ailleurs mal adaptées. La quasi-totalité des eaux de surface sont utilisées pour l’agriculture et bien qu’il y ait eu des épisodes violents de mousson notamment en 2022, le Pakistan manque d’eau dans certaines régions.

Bien que le réseau d’irrigation de l’Indus soit une ressource précieuse, la dépendance excessive à l’irrigation entraîne des problèmes de salinité des sols et d’épuisement des ressources à long terme. Le Pakistan fait partie des pays les plus durement exposés au stress hydrique[5]. A la faible disponibilité de ressource s’ajoute une mauvaise gestion générant du gaspillage qui fait peser un risque à long terme sur la durabilité de l’agriculture. 

Agriculteurs dans les environs de Lahore. Le Pakistan est le 5ème producteur de blé dans le monde. (FARM).

Plusieurs facteurs influent négativement sur la productivité agricole du Pakistan, en particulier lorsque les performances du secteur sont comparées à celles d’autres pays similaires. Les rendements céréaliers moyens au Pakistan sont de 35 quintaux par hectare contre 59 au Viet Nam ou 63 en Chine. La proportion de la main d’œuvre active en agriculture est aussi très importante au Pakistan (38 %) contre 29 % au Viet Nam où elle a considérablement diminué depuis 30 ans. Ceci interroge la structuration de l’agriculture et les outils disponibles pour assurer sa modernisation et son adaptation aux défis contemporains.

En effet, l’agriculture pakistanaise est globalement divisée en deux blocs socio-économiques distincts, des petits paysans très nombreux d’une part et de grands propriétaires fonciers latifundistes[6] d’autre part. 45 % des terres arables du pays sont détenues par 2 % des propriétaires terriens. Ces derniers disposent d’un accès privilégié aux intrants (engrais) et aux subventions du gouvernement, notamment sur le blé, le coton ou encore le sucre.

A l’inverse, les petits producteurs produisent avant tout pour leur subsistance et vendent éventuellement un excédent sur les marchés locaux. Ils possèdent quelques animaux (buffles ou vaches le plus souvent) qui produisent du lait (la moitié du lait produit est autoconsommé) et représentent une forme d’épargne de précaution, pouvant être décapitalisée en cas de chocs. On notera cependant l’émergence de propriétaires de fermes de taille moyenne qui produisent une grande diversité de cultures (riz, maïs, pomme de terre, fruits, tabacs, troupeaux ne dépassant pas 50 têtes) [7].

L’agriculture reste cependant majoritairement de petite taille et est déjà fortement intensive en ressources et en travail humain. Par exemple, à peine la récolte de riz est-elle réalisée que les producteurs sèment la culture suivante. Pour répondre à l’enjeu de sécurité alimentaire, il ne peut donc pas y avoir d’intensification verticale (nombre de cultures par an) et il sera difficile d’imaginer que plus de foncier soit mobilisé dans le futur. La taille des parcelles est elle aussi une limite notable pour permettre l’investissement des producteurs. Les propriétaires fonciers disposant de moins de 5 ha (12,5 acres) représentent plus de 80 % de la population agricole, selon le recensement agricole de 2010.

Les auteurs du chapitre sur les enjeux fonciers au Pakistan de Rethink Pakistan, a 21st Century perspective insistent sur le fait que ces producteurs agricoles n’ont pas la capacité de produire de façon efficiente et qu’ils seraient coincés dans une trappe à pauvreté[8]. La question foncière apparaît comme un nœud clé dans les relations de pouvoir au Pakistan entre les petits exploitants et les grands propriétaires. Ce serait aussi un des obstacles majeurs à l’élargissement et à la consolidation de la démocratie. En effet, l’aristocratie foncière est très active pour conserver ses privilèges et s’érige contre toutes les tentatives de réforme foncière. Les propriétaires fonciers forment un lobby très représenté dans les instances de gouvernance, notamment l’Assemblée nationale.

Une productivité agricole freinée par de multiples contraintes

D’autres dynamiques freinent fortement la productivité du pays, notamment techniques et agronomiques (salinisation des sols, perte de matière organique, pratiques de fertilisations inadaptées, pollution des eaux, semences de faible qualité, etc.). La faiblesse des infrastructures agricoles entraîne des pertes post-récoltes importantes alors que l’accès à la médecine vétérinaire demeure limité dans un pays où l’élevage est pourtant un pilier économique et social.

En outre, il apparaît que l’action publique en matière agricole (prérogative des provinces dans cet Etat fédéral), globalement orientée vers la sécurité alimentaire, a tourné le dos aux agricultures familiales. Souvent considéré comme un secteur de rente et rarement comme une activité profitable, l’agriculture n’a pas été transformée pour s’intégrer à des chaînes de valeurs, à quelques rares exceptions près comme le coton dans une certaine mesure où la pomme de terre aujourd’hui[9]. La faible organisation, en coopératives par exemple, et la connexion limitée des producteurs aux marchés, conjuguée à la faiblesse du tissu des entreprises de transformation ou de service, ne favorisent pas la juste rémunération des producteurs ni leur capacité d’investissement.

En matière de financement, de nombreux petits agriculteurs ont un accès limité aux services financiers, en particulier au crédit en raison de l’absence de garanties suffisantes et de la complexité des procédures de prêt. Par conséquent, beaucoup se tournent vers des prêteurs informels qui imposent souvent des taux d’intérêt élevés, causant un endettement excessif et mettant en péril la viabilité financière des exploitations.

L’accès au financement pour les petits agriculteurs est trop restreint. (FARM).

Enfin, les soutiens publics sont insuffisants, inefficaces et/ou mal orientés. Bien que nous ne disposions pas de données précises, il semblerait que le soutien total apporté aux producteurs soit négatif. Le soutien total comprend les soutiens issus du budget des provinces sous la forme de subventions aux producteurs ou d’investissements dans la formation ou les infrastructures d’une part et les soutiens au prix du marché permettant de contrôler les différences de prix entre les marchés locaux et internationaux. De plus le prix payé aux producteurs pakistanais est globalement inférieur aux prix mondiaux, ce qui ne leur permet pas d’investir suffisamment. Il s’agit ici d’une forme de prélèvement indirect ou de taxation implicite auprès des producteurs pour garantir des prix faibles aux consommateurs. Ainsi le peu de subventions ou d’aides qui atteignent les producteurs sont négativement compensées par des prix trop bas.

Le techno-solutionnisme comme perspective ?

Devant les défis démographiques, climatiques et géopolitiques auxquels devra faire face le Pakistan, la vision de la trajectoire de transformation des agricultures n’est pas claire. Que vont devenir les millions de petits fermiers pakistanais qui n’ont que très peu accès aux financements, à la formation ou au foncier ? Une réponse souvent apportée par les interlocuteurs que nous avons rencontrés lors de la mission d’étude tient à l’usage des nouvelles technologies pour le développement et l’adaptation de l’agriculture : drones, big data, IoT (Internet of things) avec l’usage de capteurs, etc.

Le progrès technique dans une « climate smart agriculture »[10] – telle qu’elle est largement promue par les autorités et les centres de réflexion au Pakistan – peut apparaître comme une partie de la solution, mais cela doit rester un outil au service d’une transformation décidée collectivement dans un cadre plus globale de transformation des économies. En effet, la vision techno-solutionniste du développement agricole ne peut passer sous silence les dimensions sociopolitiques inhérentes à l’utilisation de ce type de solutions comme les conditions d’accès ou la dépendance technologique, notamment pour les agricultures familiales.

En outre, l’usage de ces technologies requiert une grande quantité de données, des parcelles délimitées, une capacité d’investissement, des connaissances techniques, des dépenses importantes d’énergie (l’accès à l’électricité demeure un problème au Pakistan). Ce type de progrès sera-t-il accessible à tous les agriculteurs ou seulement aux plus productifs et participera-t-il au développement des zones rurales ? Ce sont là des questions essentielles auxquelles il faudra répondre alors que le gouvernement pakistanais a lancé le « Special Investment Facilitation Council » qui vise à opérer une « transition de la tradition à l’innovation » en attirant des investisseurs privés pour le financement de structures de grandes tailles à forte intensité capitalistique.

 

Notes :

[1] Hors élevage, la contribution de l’agriculture au PIB ne dépasserait pas les 10 % selon les enquêtes économiques 2016-2017 du gouvernement pakistanais.

[2] Voir notamment Interview de Karim Pakzad, « Pakistan : un pays enlisé dans une instabilité politique et sécuritaire ? », IRIS, 25 octobre 2023 (en ligne) ; Laurent Gayer, « Au Pakistan, le retour des bruits de bottes », Le Monde diplomatique, novembre 2023.

[3] Voir à ce sujet le rapport du Pakistan Business Council, « The state of Pakistan’s agriculture – 2023 : setting agriculture on the path of growth », publié en mars 2023 (en ligne).

[4] Voir à ce sujet Daud Khan, « The need to prioritize agricultural development, one way forward is thorough a movement of labour out of rural areas »The Express Tribune, 8 août 2022 (en ligne).

[5] voir à ce sujet les conclusions d’une conférence « Climate Change and Water-related Challenges in Pakistan: Tangible Solutions » organisée par l’Aga Khan University’s Institute for Global Health and Development et le SDSN en novembre 2022 (en ligne).

[6] Definition : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/latifundios#:~:text=Le%20latifundisme%20d%C3%A9signe%20les%20structures,modes%20de%20culture%20tr%C3%A8s%20extensifs.

[7] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2023/12/01/l-economie-agricole-pakistanaise-entre-conservatismes-et-modernisation

[8] I.A Rehman, « Land reforms: key to social justice and progress » dans Rethinking Pakistan, sous la direction de Bilal Zahoor et Raza Rumi, Folio Books

[9] Voir ici le programme d’approvisionnement de PepsiCo pour la fabrication des chips Lays (en ligne)

[10] Sébastien Treyer, Matthieu Brun et Pierre-Marie Aubert, « Ensuring transparency and accountability of the Global Alliance for Climate Smart Agriculture in the perspective of COP21 », Policy Brief de l’Iddri, Juillet 2015.

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Fiche-pays Pakistan réalisée par Précila RAMBHUNJUN

 

 

 

 

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