La lourde empreinte climatique des agricultures africaines
Contrairement à ce que l’intuition suggère, les systèmes alimentaires en Afrique émettent globalement beaucoup plus de gaz à effet de serre qu’en Europe et aux Etats-Unis, à cause notamment de la faible productivité de l’agriculture et de l’importance de la déforestation. La transformation des filières agricoles africaines pour réduire leur empreinte environnementale, tout en assurant la sécurité alimentaire du continent, est un défi majeur.
A l’occasion de la 26ème Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26), qui s’est tenue en novembre dernier à Glasgow, la FAO a publié des statistiques détaillées sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) des systèmes agroalimentaires[1]. L’intérêt de ces chiffres est qu’ils offrent un panorama complet de l’empreinte carbone des différents maillons de la chaîne agroalimentaire, de la fourche à la fourchette, en tenant compte du changement d’utilisation des terres dû par exemple à la déforestation causée par l’expansion des cultures. Qui se plonge dans les données en revient avec quelques idées-forces sur les enjeux du changement climatique pour les filières agricoles africaines.
En premier lieu, et contrairement à ce que l’intuition suggère, l’Afrique était à l’origine, en 2019, de 17 % (15 % pour l’Afrique subsaharienne et 2 % pour l’Afrique du Nord) des émissions mondiales de GES liées aux systèmes agroalimentaires, soit plus que les Etats-Unis (9 %) et l’Union européenne (7 %) combinés (tableau 1). Son poids reste pratiquement le même (16 %) si l’on considère uniquement la production agricole, sans tenir compte des activités d’amont (fabrication d’engrais) et d’aval (transformation, transport, distribution de denrées), ni de la déforestation. Il est donc hautement souhaitable, pour lutter efficacement contre le changement climatique, que l’augmentation de la production agricole en Afrique – impérative pour nourrir une population en voie de doublement – repose sur des systèmes de production relativement peu gourmands en énergie fossile et capables de stocker davantage de carbone dans les sols. Formidable défi si l’on songe que l’utilisation d’engrais minéraux dans cette région reste en moyenne très inférieure à la moyenne mondiale et que de larges pans de l’agriculture sont encore peu mécanisés.
En second lieu, et c’est ce qui explique en partie le constat précédent, l’empreinte carbone des systèmes agroalimentaires africains, relativement à la population et à la production alimentaire, est lourde. Certes, en Afrique subsaharienne, ces systèmes émettent, par habitant, un peu moins de GES (2,3 tonnes équivalent CO2) que dans l’Union européenne (2,6) (tableau 2). Mais la production alimentaire par habitant y est aussi beaucoup moins élevée, ce qui explique en partie l’insécurité alimentaire de la sous-région. En proportion de la valeur de la production alimentaire, les quantités de GES, au sud du Sahara, sont plus de deux fois plus grandes que dans l’UE27. Elles sont même cinq fois supérieures si l’on tient compte du changement d’utilisation des terres. En Afrique, en effet, notamment dans le bassin du Congo, la déforestation et la mise en culture des pâtures relâchent dans l’atmosphère des quantités de CO2 doubles de celles de protoxyde d’azote et de méthane rejetées par les sols cultivés et l’élevage. D’où l’enjeu d’une meilleure productivité des agricultures du continent, nécessaire pour que la production agricole croisse plus vite que la consommation d’intrants et que les agriculteurs soient moins enclins à étendre la superficie de leurs fermes au détriment de l’herbe et de la forêt, même si ce n’est pas la seule cause du déboisement.
Ces chiffres globaux masquent une grande diversité géographique. L’Afrique centrale est responsable de 35 % des émissions de gaz à effet de serre liées aux systèmes alimentaires du continent, devant l’Afrique de l’Ouest, 28 %. L’Afrique du Nord ne représente que 12 % du total. Sur les 51 pays africains listés par la FAO, 10 rejettent plus de 60 % des GES liés à la production agricole. En tête vient l’Ethiopie (11 %), devant le Nigeria (8 %). De même, la République démocratique du Congo cumule à elle seule plus de la moitié des émissions dues au changement d’utilisation des terres et près du quart de l’ensemble des rejets de GES liés aux systèmes alimentaires en Afrique.
Il reste que ces données sont édifiantes. Elles plaident pour une intensification écologique des agricultures africaines, permettant de relever les défis conjoints du changement climatique et de la protection de la biodiversité, tout en améliorant le revenu des paysans et en créant des emplois dans les secteurs d’amont et d’aval des filières agricoles. Encore faut-il, pour impulser cette évolution, mettre en place des politiques publiques appropriées, dotées de budgets conséquents et poursuivies dans la durée. Alors que s’impose l’exigence d’une transition écologique, il serait incompréhensible que les systèmes alimentaires soient laissés pour compte dans la transformation des économies du continent.
Un commentaire sur “La lourde empreinte climatique des agricultures africaines”
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
Cet article soulève beaucoup d’interrogations qui méritent d’être analysées de plus près.
Ces questions en effet méritent d’être posées et les solutions proposées pourraient être plus concrètes.
Pour ma part et regard de la configuration actuelle des politiques agricoles en Afrique, les systèmes exécutifs sont dans l’incapacité de face faire à ces défis. Et la situation persiste en s’aggravant.
En tant qu’entrepreneur africain, je pense qu’une autre voie privilégiant des partenariats privés direct Nord-Sud et Sud-Sud seront plus efficaces.
Cette perspective est primordiale et beaucoup d’entreprises agricoles comme les nôtres sont déjà dispose à ce sujet.