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Josephine Francis (Libéria) : « L’agroforesterie est une solution qui a fait ses preuves »

Publié le 29 août 2023
par La Fondation FARM
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Depuis près de 20 ans, Josephine Francis – vice-présente du Liberian Farmers Union Network (organisation de producteurs) et du ROPPA – élève des animaux et produit sur sa ferme du cacao, du café et du palmier. Après avoir participé au séminaire régional sur l’avenir des sols forestiers en Afrique de l’Ouest, notre interlocutrice originaire du Libéria partage sa vision des enjeux agricoles et ses convictions.

Josephine Francis : “L’agroforesterie apporte une solution intéressante”

À propos du ROPPA

Le Réseau des organisations paysannes et des producteurs d’Afrique de l’Ouest (ROPPA) compte 3 millions de membres agriculteurs, dont de nombreuses femmes. Il se positionne comme un outil de promotion et de développement des exploitations familiales. Le réseau s’appuie sur 15 organisations nationales de producteurs en Afrique de l’Ouest. Un exemple : au Liberia, le Farmers Union Network regroupe 55 000 membres agriculteurs, éleveurs et maraichers, répartis sur les 15 comtés du pays.

Fondation FARM : Vous avez participé au séminaire international sur la protection des sols forestiers à Abidjan. Pourquoi ce sujet est-il important pour vous et pour les agriculteurs en Afrique de l’Ouest ?

Josephine Francis : La santé des sols est un sujet important pour tous les agriculteurs. Tout d’abord, beaucoup ne savent pas comment protéger les sols qu’ils cultivent et dont ils dépendent. Par exemple, la pratique d’une agriculture d’abattit-brûlis est encore très répandue et provoque un problème généralisé de dégradation des sols. Cette pratique consiste à déplacer régulièrement les zones de cultures, dès qu’elles ne sont plus assez fertiles, en abattant et brulant des parcelles de forêt.

Les agriculteurs et les agricultrices ont besoin d’être formés pour comprendre l’impact négatif de certaines pratiques sur l’environnement et sur leur capital naturel. Quand on leur explique qu’ils peuvent adapter leurs pratiques en utilisant la rotation des cultures sur une même parcelle et ainsi la cultiver pendant plusieurs années, sans déforester de nouveaux espaces, ils demeurent sceptiques. Mais quand ils essaient ou quand ils voient que ça marche chez d’autres agriculteurs, ils changent d’avis.

Au Libéria, nous allons ainsi à la rencontre des petits producteurs, dans les communautés rurales forestières isolées, pour les former à la rotation des cultures et à la protection des forêts. Nous leur montrons également qu’ils peuvent tirer de multiples avantages, ainsi que des revenus, de l’exploitation et de la conservation de la forêt : utiliser les bambous pour faire des paniers, récolter des produits à usage pharmaceutique ou des épices pour les vendre… Ils peuvent donc y trouver des moyens de subsistance variés.

Nous avons la chance d’avoir des sols de bonne qualité qui ont été peu exposés aux fertilisants de synthèse importés. Pour autant, il faut maintenir leur fertilité grâce à l’apport de matières organiques. Avec le ROPPA, nous montrons ainsi aux communautés comment fabriquer du compost avec les résidus des céréales et des cultures  maraichères, le fumier des petits animaux qu’ils élèvent, etc. Économiquement, c’est aussi beaucoup plus intéressant pour les producteurs de fabriquer leur compost que d’acheter de l’engrais importé qui est très cher.

F.F. : Quels sont les messages clés que vous avez retenus de votre participation au séminaire d’Abidjan sur la protection des sols forestiers ?

J.F. : Tout d’abord que nous devons investir davantage dans la recherche en Afrique de l’Ouest, notamment dans mon pays au Libéria, pour trouver des solutions aux problèmes des agriculteurs et les aider à les mettre en œuvre !

Nous avons également besoin de mieux protéger les agriculteurs sur le plan législatif. Nous devons renforcer nos lois, notamment en ce qui concerne la définition de l’agroécologie et de l’agroforesterie, pour guider les petits producteurs et les aider à transformer leurs pratiques. Cela peut s’avérer compliqué car il faut les aider à prendre conscience de ces enjeux. Cela passe par l’utilisation des bons canaux de communication, dans les langues locales, via les médias locaux.

Mais je suis pleinement convaincue que l’action parle plus fort que les mots, en particulier quand elle vient des autres producteurs. Quand vous parlez d’agroforesterie, vous devez montrer une parcelle de démonstration au sein des communautés. Après la première récolte, puis une autre, ils verront la différence et commenceront à suivre. La clé pour transformer les agricultures, c’est la preuve concrète. 

F.F. : Justement, avez-vous identifié des solutions qui vous paraissent à la portée des producteurs pour résoudre ce problème de fertilité des sols ?

J.F. : L’agroforesterie apporte une solution intéressante car elle limite la déforestation. Nous en avons fait l’expérience dans un projet où le Farmers Union Network du Liberia a participé à l’installation de 1 000 productrices de cacao. Il faut savoir qu’au Libéria les femmes sont très actives dans le secteur de la production et de la transformation du cacao, mais elles ne sont jamais propriétaires de leur terrain. Dans le cadre de ce projet, chaque femme a démarré sa propre plantation sur une petite surface.

Dès la plantation des cacaoyers, elles ont semé également de grands arbres forestiers mais aussi des céréales et des légumes comme des arachides et des pois qui apportent des nutriments au sol. Avec cela, elles ont pu obtenir des revenus, le temps que les cacaoyers grandissent et produisent. Ce système est aujourd’hui bien en place et les productrices continuent de bénéficier de cette diversité de cultures dans leur champ.

F.F. : Quels leviers pouvez-vous activer, au niveau régional et via les organisations de producteurs, pour faciliter la diffusion de ces pratiques ?

J.F. : À l’échelle du ROPPA, nous travaillons avec la CEDEAO pour faciliter ces changements, aménager les dispositifs règlementaires et les politiques publiques. C’est très important de diffuser toutes ces connaissances et de décliner ces pratiques dans les différents pays. Par exemple, au Libéria, nous travaillons avec l’autorité foncière pour faciliter l’installation des femmes en leur permettant d’acquérir des parcelles à cultiver. La loi les y autorise mais les habitudes traditionnelles et le manque de ressources les en empêchent.

F.F. : S’agissant des ressources et des priorités des gouvernements, quels sont les résultats des engagements pour le développement de l’agriculture pris par les États africains à Maputo en 2003 et à Malabo en 2014. Sont-ils à la hauteur des enjeux ?

J.F. : Non, ils sont décevants. Seulement 7 ou 8 pays africains ont atteint leurs objectifs. Au Libéria, par exemple, on ne produit que 25 % de nos besoins alimentaires et les importations se font au détriment d’un soutien aux producteurs locaux. Le pays est classé 113e sur 121 selon l’indicateur mondial de la faim (Global Hunger Index). Comment l’expliquer alors que nous avons encore des terres arables et de quoi produire ? Il est important pour le ROPPA de pouvoir réaffirmer le rôle essentiel des agriculteurs africains pour répondre à ces enjeux de sécurité alimentaire. Ce sont eux qui détiennent les solutions pour subvenir à nos besoins.

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