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Dépendance aux importations de potasse : comment l’Afrique de l’Ouest peut-elle renforcer sa résilience agricole ?

Publié le 20 juin 2025
par Thibaut Soyez et Matthieu Brun (Fondation FARM)
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En Afrique de l’Ouest, la sécurité alimentaire dépend d’un intrant invisible mais clé : la potasse. Pourtant, la région reste à la merci des marchés mondiaux et de la géopolitique. Le potassium (aussi appelé potasse), symbolisé par le « K » dans la formulation NPK des engrais minéraux, est en effet essentiel pour la production agricole. L’engrais potassique participe à la croissance de la plante et renforce la résistance aux maladies. Il augmente le taux de sucre des fruits et réduit également le stress hydrique, ce qui en fait un élément indispensable pour optimiser les rendements agricoles et garantir la sécurité alimentaire, tant en Afrique de l’Ouest qu’à l’échelle mondiale. FARM livre une première analyse sur les enjeux liés aux flux de potasse entre l’Afrique de l’Ouest et le reste du monde.

Méthodologie

Cette analyse explore l’évolution des échanges et de la consommation annuels moyens de potassium, exprimés en éléments minéraux purs (K) pour leur usage agricole entre l’Afrique de l’Ouest et sept grands ensembles géographiques sur trois décennies (1990-2022). Les données, issues de FAOSTAT (2024), sont représentées par des cartes illustrant trois périodes distinctes : 1990-2000, 2001-2011 et 2012-2022. Les importations sont visualisées par des histogrammes, les exportations par des flèches proportionnelles aux volumes et la consommation par des aplats de couleur reflétant l’intensité.

Une répartition inégale des réserves de potasse à l’échelle mondiale qui fragilise l’Afrique de l’Ouest

La répartition inégale des réserves de potasse dans le monde pose de grands défis de souveraineté pour les pays qui n’en ont pas. Les plus grandes réserves du monde sont détenues par le Canada (33 %), la Biélorussie (23 %) et la Russie (12 %), qui contrôlent collectivement près de 70 % des réserves totales opérationnelles, laissant de nombreux pays fortement dépendants des importations.

En 2022, 82 % de la consommation mondiale de potasse est importée. Dans un contexte de forte volatilité, les pays en développement et notamment l’Afrique de l’Ouest, de part leur fragilité économique et politique, éprouvent des difficultés plus importantes que d’autres pays importateurs à supporter les hausses de prix de la potasse, les rendant très vulnérables aux chocs d’approvisionnement et aux crises mondiales. En outre, comme nous l’avons montré dans une précédente publication (https://fondation-farm.org/engrais-et-fertilite-des-sols-en-afrique-de-louest-tout-comprendre/), le bilan de la disponibilité en potasse dans les sols d’Afrique de l’Ouest est négatif, et cette dégradation s’accentue au fil des ans. Selon l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (AGRA) qui a examiné 37 pays africains sur trente ans, en moyenne, plus de 450 kg de potassium par hectare ont été perdus dans les terres cultivées. Cette dégradation résulte essentiellement d’un usage insuffisant d’engrais minéraux et organiques, mais aussi d’une détérioration climatique observée depuis les années 1970. L’appauvrissement des réserves de potasse entraîne une baisse des rendements et accélère la dégradation des sols.

D’autre part, l’absence de gisements exploitables dans la région oblige les pays à importer massivement des engrais potassiques, entrainant des répercussions économiques et logistiques.

Cette situation crée un cercle vicieux : la faible productivité agricole accentue l’insécurité alimentaire, alors que le coût élevé des intrants (notamment en temps de crise) limite leur accessibilité pour les petits exploitants. La quasi-impossibilité de restituer des quantités significatives de potasse aux sols sans recourir aux engrais minéraux vient aggraver la situation de dépendance de la région et exerce une pression croissante sur la sécurité alimentaire ouest-africaine.

 

+130 % de consommation en 30 ans mais une dépendance totale aux importations

La consommation de potasse a cependant considérablement augmenté en Afrique de l’Ouest, passant d’une moyenne annuelle de près de 110 000  tonnes en 1990-2000 à plus de 250 000 tonnes en 2012-2022. Compte tenu du fait que la potasse est utilisée en très grande majorité pour la production d’engrais, cette hausse de 130 % reflète une intensification des pratiques agricoles et une prise de conscience accrue du caractère limitant de la potasse pour l’augmentation des rendements (à l’instar du phosphore). On observe des écarts importants entre les pays de la région ouest-africaine en termes de consommation et de commerce de potasse. Le Nigéria, la Côte d’Ivoire et le Ghana sont devenus les principaux consommateurs au début des années 2020. Cependant, l’Afrique de l’Ouest reste un acteur mineur de la consommation d’engrais potassique dans le monde. En 2022, la sous-région représentait 0,75 % de la consommation mondiale. A titre de comparaison, la Chine, le Brésil et les Etats Unis consomment à eux trois 70 % de l’offre mondiale.

 

Diversifier les approvisionnements face au poids croissant de la mer Noire

Si l’Afrique de l’Ouest consomme peu de potasse, elle représente, de fait, une infime fraction des importations mondiales, avec une part de 0,84 % en 2022 selon la FAO. Les sources d’approvisionnement en potasse ont évolué depuis 30 ans comme le montre l’infographie. On observe une part croissante de l’origine mer Noire (Russie et Biélorussie) ainsi qu’une baisse des importations en provenance d’Europe sur la dernière période. La zone de la mer Noire, à la veille du conflit russo-ukrainien, représentait 43 % des importations de potasse en Afrique de l’Ouest (l’Europe arrive en deuxième position avec 20 % du total des importations de la zone). Cette situation est liée à la diminution de la production d’engrais potassique en Europe et au renforcement de la production dans la zone de la mer Noire.

La dépendance envers un nombre limité de fournisseurs de potasse, contrairement à l’azote, expose la région à un risque accru de rupture d’approvisionnements en cas de chocs ou de pénurie. Car le marché de la potasse au niveau mondial est dominé par un nombre limité d’exportateurs. La Russie et la Biélorussie par exemple concentre 35 % de la production mondiale de potasse en 2020. Les perturbations dans la région de la mer Noire et les sanctions imposées à la Russie et à la Biélorussie ont entraîné une hausse des prix des engrais, aggravant les problèmes de sécurité alimentaire et les tensions budgétaires dans de nombreux pays importateurs, dont les pays d’Afrique de l’Ouest.

Depuis la pandémie de COVID-19 et l’agression russe en Ukraine, entre mai 2020 et mai 2022, le prix du chlorure de potassium (MOP), principale forme de potasse échangés sur les marchés, a été multiplié par 2,7. Cependant, au-delà de la hausse récente, il apparaît que le prix du MOP est structurellement volatile et fortement influencé par les différentes crises mondiales, à l’image de la crise de 2008 qui avait déjà conduit les prix à des niveaux historiquement élevés. Cette sensibilité du marché aux événements internationaux accentue la difficulté des exploitants ouest-africains à accéder aux engrais, alors même que leur accès reste déjà limité en temps normal. De plus, les pays africains sont confrontés à des infrastructures de transports peu efficientes et des couts de distributions élevés qui restreignent davantage l’accès des engrais potassiques aux petits producteurs.

Cette situation confirme l’importance de diversifier les sources d’approvisionnement en potasse afin de renforcer la résilience de la région. Le Canada par exemple, est devenu le premier producteur mondial de potasse en 2022 avec 32 % de la production mondiale représentant, à lui seul, plus de 23 % des importations ouest-africaine sur cette année. En réponse à la réduction de l’offre due à la guerre en Ukraine, le Canada a annoncé son intention d’accroitre sa production de potasse. Cependant, les principaux débouchés de la potasse canadienne sont les Etats-Unis, le Brésil et la Chine, qui, à eux trois, captent 73 % des exportations canadienne, rendant la concurrence difficile pour les pays d’Afrique de l’Ouest.

 

Conclusion

 

En définitive, la situation de l’Afrique de l’Ouest vis-à-vis de la potasse illustre les défis majeurs d’une dépendance accrue aux importations pour un intrant agricole stratégique et limitant. Ce contexte mondial, marqué par la concentration des réserves, la volatilité des prix et les tensions géopolitiques, rend la région particulièrement vulnérable aux chocs extérieurs, ce qui fragilise la sécurité alimentaire et la stabilité économique des exploitants ouest-africains.

Si les réserves de potasse sont inexistantes en Afrique de l’Ouest, d’autres pays d’Afrique en recèlent, (Congo, Éthiopie, Érythrée, Égypte, Maroc) ouvrant la voie à de nouveaux marchés et opportunités susceptibles de faire baisser les prix à l’échelle mondiale. Cependant, même si les ressources disponibles augmentent, les prix quant à eux restent difficile à prédire.

Dans ce contexte, comment l’Afrique de l’Ouest peut-elle renforcer durablement sa résilience face aux fluctuations du marché mondial de la potasse ? Faut-il privilégier une diversification des partenaires commerciaux, sachant que les fournisseurs majeurs restent limités ? Investir dans des alternatives locales semble complexe, faute de réserves exploitables dans la région. Il apparaît donc essentiel de penser les trajectoires de développement des agricultures afin de limiter la dépendance aux engrais importés. Des pistes telles que la biostimulation et la bio fertilisation (permettant l’optimisation de l’usage des engrais potassiques) ou le recyclage des éléments minéraux issus des milieux urbains pourraient ainsi être explorées.

Ces différents axes appellent à une réflexion stratégique collective, pas seulement en Afrique de l’Ouest mais aussi à l’échelle mondiale, afin de garantir la sécurité alimentaire des régions dépendantes, dans un environnement international de plus en plus incertain.

Si cette thématique vous intéresse, retrouvez l’analyse de FARM sur l’azote et le phosphate.

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