Artisanat minier, un filon pour le développement agricole
L’exploitation minière artisanale et à petite échelle connait un développement important au niveau mondial depuis les années 2000. Elle est souvent perçue comme négative pour l’agriculture et le pastoralisme. Or, activités minières et agricoles entretiennent une relation complexe. L’essor de ces mines est à la fois la conséquence d’une pauvreté rurale significative mais peut aussi être un réel levier de financement agricole et de développement territorial. Une équipe de recherche fait le point sur le sujet pour la Fondation FARM.
L’exploitation minière artisanale peut contribuer au développement agricole[1]. Au regard des effets environnementaux, sanitaires et sociaux des activités minières – largement documentés – l’assertion peut prêter à critiques. Toutefois l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAP) participe aussi à une distribution de richesse qui peut répondre à la demande d’emplois dans un contexte de croissance démographique et peut contribuer au financement agricole. Ce constat appelle cependant à des politiques publiques d’accompagnement adaptées.
Présente dans plus de 80 pays, l’EMAPE est une activité économique en plein essor dans les Suds. En vingt ans, le nombre de travailleurs directement impliqués dans les mines artisanales, en particulier des jeunes ruraux en quête d’activités, a été multiplié par trois pour atteindre près de 45 millions de personnes dans le monde[2]. Près d’un tiers d’entre eux travaillent dans l’orpaillage, l’exploitation artisanale de l’or. Des centaines de millions de personnes vivent ainsi directement ou indirectement des revenus des mines artisanales. Dans certains pays, notamment en Afrique subsaharienne, plus de 10% de la population est dépendante de ce secteur économique[3].
L’EMAPE fournit une variété de produits qui intègrent des filières mondialisées : métaux, pierres précieuses, minerais industriels… Une partie de ces minerais est considérée comme critique pour la transition énergétique et numérique[4], mais la composante artisanale de leur production est rarement appréhendée. L’exploitation minière artisanale joue également un rôle majeur dans l’extraction des « minéraux de développement » (minéraux industriels et de construction : sable, terre, pierres…).
L’artisanat minier fournit une part importante de la production mondiale de certains minerais : 80 % de la production de saphir, 20 % des diamants, 26 % du tantale, 20 % de l’or. En 2022, la production artisanale de l’or en Afrique subsaharienne a atteint entre 443 et 596 tonnes, soit plus de la moitié de l’or extrait sur le continent et près d’un sixième de la production mondiale[5].
L’essor récent de l’EMAPE est favorisé par la hausse importante du prix des minerais depuis les années 2000 tirée par la croissance économique mondiale et une hausse de la demande. À titre d’exemples, entre 1990 et 2018, le cours de l’argent en valeur courante a connu une croissance de 226 %, le cobalt 251 %, le tungstène 441 %[6]. Valeur-refuge et support de spéculation dans une période marquée par la multiplication de crises (sanitaire, environnementale, géopolitique), l’or a vu son prix multiplié par 5 entre 1990 et 2023 !
D’autre part, l’amélioration des techniques et des investissements croissants dans le secteur facilitent l’exploitation minière et permettent d’augmenter la productivité par travailleur. Enfin, l’essor de l’EMAPE répond à une forte demande d’emploi dans des contextes marqués par une croissance démographique importante, un faible nombre d’emplois dans le secteur formel et une prévalence de la pauvreté rurale.
Une diversité de situation
L’EMAPE présente une diversité de situations qui varient notamment en fonction de la ressource et des modalités de son exploitation. À titre d’exemple, l’orpaillage, exploitation artisanale de l’or, connait une dynamique de mécanisation et un usage croissant de traitement chimique du minerai[7].
L’extraction du minerai se pratique selon une variété de formes qui s’étagent selon un continuum allant d’un travail uniquement manuel (puits creusés à la pioche, lavage du minerai à la batée…) à l’utilisation de petits équipements (détecteurs de métaux, marteau-piqueurs, explosifs, lances à haute pression…) jusqu’à la constitution de petites mines creusées avec des pelles hydrauliques. L’usage croissant de dragues permet également l’exploitation du lit des cours d’eau. Après extraction, différentes modalités de traitement du minerai existent. Si certains acteurs ne pratiquent qu’un simple lavage à l’eau du minerai pour concentrer l’or, d’autres utilisent du mercure et du cyanure pour augmenter le taux de récupération d’or[8].
Différentes situations de gouvernance des ressources se distinguent également. En réponse à l’essor récent de l’activité, des États ont développé des politiques contrastées qui couvrent un continuum entre interdiction et accompagnement[9].
Dans les États d’Afrique subsaharienne, la tendance est généralement à la tolérance, laquelle fluctue notamment en fonction de l’intensité de production et du développement de mines industrielles. Ainsi, les codes miniers récents prévoient généralement des dispositions spécifiques pour l’EMAPE. Toutefois, l’activité se pratique majoritairement de manière non-déclarée et hors du cadre légal. Contrairement aux mines industrielles, l’État joue, en pratique, un faible rôle dans la gouvernance de l’EMAPE.
Différents systèmes de régulation existent à l’échelle des sites miniers. Ils permettent à des acteurs locaux (autorités coutumières, collectivités locales, comptoirs d’or, big men – ndlr : individu qui a un statut et une grande influence au sein de sa communauté – …) de bénéficier de retombées sur l’exploitation au travers de mécanismes de taxation qui échappent à l’État central et peuvent, dans certains cas, être une source de financement de groupes armés, souvent sous la contrainte.
Non durable par nature, l’exploitation minière artisanale et à petite échelle est source de pollutions. L’usage non contrôlé de produits chimiques dans le traitement du minerai porte atteinte à l’environnement et à la santé. L’orpaillage est ainsi la première cause de rejets de mercure au niveau mondial[10].
L’EMAPE est également source de pollutions physiques. Le traitement du minerai et le dragage des cours d’eau augmentent fortement la turbidité de l’eau et favorisent l’ensablement des fleuves et rivières. L’essor de l’activité minière artisanale s’accompagne de pressions accrues sur les ressources naturelles : bois utilisés pour l’étayage des puits, forêts coupées lors de la mise en exploitation minière, augmentation de la chasse à proximité des sites miniers…
Par ailleurs, l’expansion territoriale des sites d’exploitation minière produit un changement d’usage des sols qui peut être durable[11]. En effet, pendant les phases d’extraction et de traitement du minerai, l’espace est occupé par l’activité minière. Ensuite, les possibilités d’usage des sols dépendent de l’ampleur des transformations liées à la mine et des actions, rarement menées, de réhabilitation des sites. Par ailleurs, l’essor de l’EMAPE se traduit par une dynamisation locale de l’économie et l’émergence de mobilités dirigées vers les régions minières, ce qui a des conséquences sur le foncier entraînant une intensification de l’urbanisation.
Complémentarités mines-agriculture
Les relations entre agriculture et EMAPE sont ambivalentes. Les effets environnementaux de l’EMAPE pénalisent les activités agricoles et pastorales. Par ailleurs, l’activité minière peut représenter une concurrence sur la main-d’œuvre. En effet, les opportunités – réelles ou supposées – de revenus dans les mines sont souvent supérieures aux revenus agricoles.
Parfois perçue comme la simple conséquence d’une recherche de richesse rapide, l’essor récent de l’EMAPE résulte d’abord et avant tout d’un besoin d’emplois[12]. En Afrique subsaharienne, l’agriculture, premier secteur d’emploi, fait face à plusieurs défis. La rémunération des activités agricoles est notamment pénalisée par les règles commerciales internationales et l’absence de soutiens aux prix des produits agricoles ; les services publics d’appui à l’agriculture sont souvent insuffisants.
La forte croissance démographique se traduit par une diminution moyenne des surfaces disponibles par actif qui touche en premier lieu les cadets sociaux[13]. Bien que les économies se transforment, l’offre d’emploi dans le secteur industriel est très faible et peine à offrir des sources de revenus. L’EMAPE représente alors une opportunité intéressante. La création de richesses par les mines artisanales constitue une source de revenus directs et indirects pour de nombreuses personnes, notamment des femmes et des jeunes, participant à leur plus grande autonomisation[14].
La mine n’est pas qu’une alternative économique à l’agriculture. De nombreuses personnes pratiquent les deux activités, successivement au cours de leur vie ou en parallèle[15]. Certaines unités familiales pratiquent une pluriactivité mine-agriculture, utilisant les revenus d’une activité pour financer l’autre.
De manière ponctuelle, les activités minières permettent un apport momentané de financement en réponse à une perte de revenus ou qui peut être utilisé comme investissement. De manière chronique, ce type d’exploitation minière fournit des revenus complémentaires ou principaux pour les personnes qui ont de faibles revenus agricoles. Enfin, dans les régions minières, elle fournit des débouchés locaux, directement à travers la demande en produits maraichers, indirectement à travers les dynamiques d’urbanisation associées.
Le modèle minier, un enjeu de politiques publiques
Dans les Suds, l’exploitation minière industrielle se développe en parallèle de l’expansion de l’EMAPE. Certaines ressources, très faiblement concentrées et à faible valeur, sont quasi exclusivement exploitées de manière industrielle, par exemple la bauxite, le fer ou le cuivre. Pour d’autres (or, diamant), à plus forte valeur, l’exploitation peut se faire selon plusieurs modèles. Les deux formes d’activités sont donc en interaction : concurrence pour l’accès aux minerais, utilisation de la présence de l’un ou l’autre des modèles comme indicateurs de disponibilité de ressources…
Certains états tendent à favoriser le modèle industriel[16]. Plusieurs facteurs expliquent cette orientation. Elle s’inscrit dans des systèmes rentiers[17] où l’État perçoit un revenu sur la production et les exportations industrielles. Les formes industrielles bénéficient d’un « paradigme de modernité ». En d’autres termes, pour l’État, l’investissement dans les formes techniques les plus abouties serait facteur de développement économique en jouant un effet de levier sur les autres secteurs de l’économie et en créant des emplois formels.
Toutefois, comparées aux activités artisanales, les mines industrielles sont très peu intensives en emploi. À titre d’exemple, en Guinée, pour des volumes de production comparable, l’exploitation industrielle de l’or emploie plus de 40 fois moins de personnes que l’orpaillage[18].
Par ailleurs, les investissements industriels, basés sur le modèle d’enclave[19], ont de faibles effets sur la diversification des économies, tout en ayant un ensemble d’impacts négatifs parfois rassemblés sous le terme de malédiction des ressources naturelles[20]. Les capitaux sont majoritairement étrangers, les investissements reposent sur des importations (notamment d’énergie) et la richesse créée est peu investie dans le pays.
L’exploitation minière artisanale et à petite échelle peut cependant jouer un rôle positif dans le contexte actuel d’une demande croissante en matière première et d’un important besoin d’emploi lié à l’évolution démographique. Elle le fera à condition qu’un cadre et des politiques publiques adaptées soient mis en œuvre afin de limiter les effets négatifs de l’activité sur l’environnement et la santé. En effet, bien que les codes miniers s’élargissent aux enjeux de régulation de l’EMAPE, l’encadrement de l’activité demeure faible. L’enjeu porte notamment sur la nécessité de prévoir l’après-mine en menant des actions de réhabilitation des sites. Ces politiques publiques devraient également permettre d’améliorer la distribution indirecte des revenus miniers – via des prélèvements sur la production artisanale – aujourd’hui peu transparents.
Si les effets négatifs sur l’environnement et la santé ne doivent pas être négligés, la contribution de l’EMAPE au développement agricole et rural doit être étudié de façon globale et au regard du contexte économique et démographique des pays dans lesquels elle se déploie. Les activités minières ne doivent pas être réduites à des concurrentes de l’agriculture. Leur essor est à la fois conséquence d’une pauvreté agricole et d’un manque de financement à mobiliser.
Il apparaît aussi nécessaire de prendre en compte la diversité des situations techniques, économiques, sociales et environnementales de l’exploitation minière artisanale à petite échelle et de renforcer, avec le soutien de l’aide internationale, les politiques publiques nationales, régionales et internationales en matière d’accompagnement de l’EMAPE.
Une voie de formalisation adaptée aux situations des artisans mineurs doit permettre d’accompagner l’évolution de l’EMAPE en conjuguant préservation de l’environnement, réhabilitation des sites, amélioration des conditions de travail, soutien à l’emploi, transparence dans les chaînes de valeur et mobilisation des revenus miniers artisanaux comme levier de développement territorial.
[1] Afin d’approfondir ce sujet, dans le prolongement d’un partenariat de recherche en Guinée, l’Iram et le laboratoire Prodig organisent une journée d’étude « Artisanat minier et développement rural : un filon à risques ? » le 26 juin 2024 en format hybride. Renseignements et inscriptions et pour en savoir plus retrouvez le Bulletin de veille thématique d’Inter-Réseaux “Artisanat minier et développement rural : un filon à risques ?”
[2] Banque mondiale, (2020), 2020 State of the Artisanal and Small- Scale Mining Sector, Banque mondiale, Washington, 170 p.
[3] Fritz, W. M., McQuilken, J., Collins, N. & Weldegiorgis, F., (2018), Global Trends in Artisanal and Small-Scale Mining (ASM): A review of key numbers and issues, Intergovernmental Forum on Mining, Minerals, Metals and Sustainable Development (IGF) – The International Institute for Sustainable Development (IISD), Winnipeg, 91 p.
[4] Bosse, P., Gourdon, J., Lapeyronie, H. & Normand, E., (2023), Les minerais de la transition énergétique et numérique : une opportunité pour l’Afrique ? (Synthèse des études et recherches de l’AFD no 68), AFD, Paris, 4 p.
[5] Ummel, M. & Schulz, Y., (2024), Sur la piste de l’or africain. Quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites (Rap. de rech.), Swissaid, Lausanne, 140 p.
[6] Données : USGS, Historical Statistics for Mineral and Material Commodities in the United States, 2024
[7] Bikubanya, D.-L. & Radley, B., (2022), Productivity and profitability: Investigating the economic impact of gold mining mechanisation in Kamituga, DR Congo, The Extractive Industries and Society, vol. 12, p. 101162.; Bohbot, J., (2023), L’essor de l’activité minière à l’Ouest du Kenya : Imbrication des pratiques et des acteurs au service d’un développement local, EchoGéo, n°66, .; Cortés-McPherson, D., (2019), Expansion of small-scale gold mining in Madre de Dios: ‘capital interests’ and the emergence of a new elite of entrepreneurs in the Peruvian Amazon, The Extractive Industries and Society, vol. 6, n°2, p. 382‑389. ; Dessertine, A., Chevrillon-Guibert, R., Gagnol, L., Betabelet, J. R., Diallo, L., Petit-Roulet, R., … Magrin, G., (2022), Orpaillage et développement des territoires en Afrique : une équation difficile ?, In : E. PEYROUX, C. RAIMOND, V. VIEL et E. LAVIE (éd.), Développement, changements globaux et dynamiques des territoires: théories, approches et perspectives de recherche, ISTE Éditions, Londres, p.178‑196.
[8] Gagnol, L. & Afane, A., (2019), De sable, d’or et de mercure: Note sur la production urbaine contrastée de la ruée vers l’or au Sahara, Afrique contemporaine, vol. 1, n°269‑270, p. 225‑248.
[9] Chevrillon-Guibert, R., Gagnol, L. & Magrin, G., (2019), Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel. Ferment de crise ou stabilisateur ?, Hérodote, vol. 1, n°172, p. 193‑215. Chevrillon-Guibert, R. & Magrin, G., (2018), Ruées vers l’or au Soudan, au Tchad et au Sahel : logiques étatiques, mobilités et contrôle territorial, Bulletin de l’association de géographes français. Géographies, vol. 95, n°2, p. 272‑289.
[10] UNEP, (2019), Global mercury assessment 2018, United Nations Environment Programme Chemicals and Health Branch, Genève.
[11] Petit-Roulet, R., (2023), Effets du développement et de la transformation de l’orpaillage sur les dynamiques foncières en Guinée, Comité Technique « Foncier & Développement » (AFD, MEAE), Paris, 123 p.
[12] Hilson, G. & Garforth, C., (2012), ‘Agricultural Poverty’ and the Expansion of Artisanal Mining in Sub-Saharan Africa: Experiences from Southwest Mali and Southeast Ghana, Population Research and Policy Review, vol. 31, n°3, p. 435‑464.
[13] Cette notion désigne un statut qui ne permet pas d’hériter et d’accéder au foncier.
[14] Bolay, M., (2022), Miners on the move, American Ethnologist, vol. 0, n°0, p. 1‑15.
[15] Hilson, G. & Garforth, C., (2013), ‘Everyone Now is Concentrating on the Mining’: Drivers and Implications of Rural Economic Transition in the Eastern Region of Ghana, Journal of Development Studies, vol. 49, n°3, p. 348‑364. et Ouédraogo, L., (2019), Orpaillage artisanal et développement rural (Thèse de doctorat en Agroéconomie), Québec, Université de Laval, 167 p.
[16] Diasso, Y. & Mainguy, C., (2022), Exploitation minière et pauvreté : le mode d’exploitation est-il déterminant ?, Les Cahiers de l’Association Tiers-Monde, n°36, p. 21‑34.
[17] Magrin, G., (2013), Voyage en Afrique rentière: une lecture géographique des trajectoires du développement, Publications de la Sorbonne, Paris, 424 p.
[18] Enerteam, (2023), Rapport assoupli ITIE 2021, ITIE Guinée, Conakry, 150 p.
[19] Magrin, G., (2013), Voyage en Afrique rentière: une lecture géographique des trajectoires du développement, Publications de la Sorbonne, Paris, 424 p.
[20] Auty, R., (1993), Sustaining Development in Mineral Economies: The Resource Curse Thesis, Routledge, London, 288 p.