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Céréales ukrainiennes : après le statu quo sur l’accord, quelles conséquences ?

Le 4 septembre dernier, la rencontre entre Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine n’a pas permis de relancer l’accord sur les exportations des céréales ukrainiennes en mer Noire*. Dans le même temps, la prolongation de l’embargo sur les céréales mis en place par la Pologne et ses voisins** au-delà du 15 septembre provoque de vifs débats entre les Etats membres de l’Union européenne. Quelles sont les véritables conséquences de ce statu quo, notamment pour l’Afrique ? Quel rôle va jouer l’UE dans les prochaines semaines ? La Fondation FARM fait le point.

Un corridor qui a perdu de son intérêt avant même son arrêt

Depuis le 17 juillet dernier, la non-prolongation du corridor en mer Noire fait grand bruit sur la scène diplomatique internationale. Mais, de manière paradoxale, ce corridor a, depuis plusieurs mois, perdu de son utilité sur les marchés agricoles. Avant la suspension, deux fois moins de produits alimentaires transitaient par le corridor (près de 40 000 tonnes/jour entre mai et juillet contre 90 000 t/jour entre mars et mai 2023). La suspension de l’accord est en effet intervenue alors que la campagne commerciale s’achevait. Dans le même temps, la voie maritime, du fait des doutes autour de la reconduction du corridor, devenait de moins en moins fiable. 

De plus, le conflit a gagné en intensité. Plusieurs infrastructures (ponts et barrages) ont été la cible de bombardements. Et, ces dernières semaines, les attaques envers les infrastructures de stockage des céréales ukrainiennes ont gagné en fréquence et en ampleur.

Pourtant, face à cela, les prix du blé sont restés très calmes, en dépit de quelques oscillations, preuve que ces événements ont eu peu de répercussions sur les marchés agricoles.

De bonnes récoltes à venir ?

Les récoltes de blé arrivent à leur fin dans l’hémisphère nord. En dépit de stocks qui se tendent, la production mondiale de blé est une nouvelle fois en hausse (d’après les dernières estimations de l’USDA datant du mois d’août). Par ailleurs, l’Ukraine a quasiment récolté autant de blé que l’année dernière (21 millions de tonnes), malgré des conditions de culture et de marché de plus en plus difficiles en lien avec le conflit. Elle a également réussi à résorber les stocks de céréales qui s’étaient accumulés au cours des premiers mois de guerre.

À ce stade, le statu quo est toujours de mise. Les disponibilités agricoles suffisantes sur le marché n’occasionnent, pour l’instant, pas d’inquiétudes, tandis que les premiers volumes de blé exportés d’Ukraine transitent par les corridors de solidarité (solidarity lanes).

Un jeu d’équilibriste pour l’Union européenne

Depuis le début du conflit, l’Union européenne accorde un soutien important à l’Ukraine, que ce soit via de l’aide aux infrastructures de stockage ou des chaînes logistiques. La montée en puissance régulière des solidarity lanes, notamment via le fluvial depuis la fin du corridor, est un succès. L’UE a donc récemment affiché sa volonté d’augmenter les capacités de ces voies de manière à se passer du corridor maritime. L’objectif est d’acheminer 4.7 Mt par mois de récoltes ukrainiennes, dont la majeure partie – soit 4 Mt – via les “routes” du Danube.

Cependant, un problème de prix persiste. Depuis le début du conflit, ce sont près de 50% des céréales ukrainiennes qui transitent ou achèvent leur parcours dans l’Union européenne. Or, ces céréales affichent un prix beaucoup plus bas que le blé produit en UE, notamment dans les pays d’Europe centrale. 

Cela a causé l’ire des producteurs polonais au printemps dernier. Une solution temporaire, qui devrait se prolonger au-delà de sa date butoir fixée au 15 septembre, a été mise en place avec l’embargo des cinq pays**.

Aujourd’hui, en cette fin de période de moisson et début de campagne de commercialisation, il appartient désormais à la Commission européenne de statuer, la seule compétente pour déterminer les règles de fonctionnement du marché communautaire. Elle est par ailleurs soucieuse de maintenir la cohésion interne de l’UE en incluant les diverses positions des Etats membres. En l’absence de la reconduction du corridor maritime dans un futur proche, la ré-exportation effective des grains ukrainiens dépendra des arbitrages opérés à son niveau.

Afrique : la sécurité alimentaire (pour l’instant) loin des enjeux ukrainiens

Avec des prix bas et des disponibilités suffisantes, l’approvisionnement des principaux pays importateurs, notamment africains, ne fait pas l’objet d’inquiétudes majeures. L’UE et la Russie restent toujours les principaux fournisseurs de l’Afrique. Ces deux puissances disposent toutes deux de disponibles exportables historiquement élevés (48 Mt pour la Russie et 38,5 Mt pour l’UE pour la campagne 23/24).

Après sa récolte historique de l’année dernière et des reports de stocks importants, la Russie est en position très avantageuse sur les marchés avec des prix très compétitifs. La promesse de Vladimir Poutine de livrer gratuitement des céréales à six pays africains « dans les prochaines semaines » s’inscrit dans ce contexte.

Tant que les prix des céréales ne remontent pas, la sécurité alimentaire mondiale n’est donc pas menacée par la situation en Ukraine. Car, rappelons-le, l’un des principaux déterminants de l’insécurité alimentaire reste l’inflation des prix de l’alimentation qui contribue, partout dans le monde, à réduire l’accessibilité à l’alimentation des franges de population les plus pauvres. 

Dans les zones où les crises alimentaires sont les plus aiguës, la hausse des prix de l’alimentation est conjuguée à des conflits armés ou des accidents climatiques (sécheresses, extrêmes, innondations, etc.). Cela entraîne des déplacements de population qui perdent de fait leur capacité à assurer leurs besoins alimentaires. Pour l’heure, l’Afrique est fragilisée par de nombreux facteurs, dont plusieurs conflits et catastrophes naturelles. Cependant, son premier enjeu pour améliorer l’accessibilité de sa population à l’alimentation est de rétablir sa santé économique, alors que les finances publiques de nombreux pays ont été fortement éprouvées par la crise inflationniste qui a suivi la pandémie de Covid.

À cette période de l’année, la situation ukrainienne n’a que peu d’impact sur l’équilibre des marchés. Les regards doivent être portés sur d’autres paramètres. Premièrement, la situation au Sahel, notamment suite au coup d’Etat au Niger. L’escalade vers un conflit armé serait très préjudiciable dans cette région déjà fortement éprouvée par une insécurité chronique qui a pris de l’ampleur ces dernières années.

Une crise du riz à venir ?

Fin juillet, suite à des récoltes peu satisfaisantes, l’Inde a décidé d’appliquer des restrictions à ses exportations de riz brisé, ce même riz fortement importé et consommé en Afrique de l’Ouest. Alors que les prix mondiaux du riz opèrent une montée lente mais régulière depuis l’automne 2022, les observateurs sont inquiets quant à leur évolution. Une croissance importante des prix du riz pourrait avoir un impact très fort sur la sécurité alimentaire de certaines régions en entraînant une nouvelle inflation des prix alimentaires.

Enfin, l’équilibre des marchés céréaliers est principalement subordonné à la météo. Dans les mois qui viennent, il faudra surveiller le déroulé de la récolte de maïs de l’hémisphère nord au cours de l’automne ainsi que le début des moissons de blé de l’hémisphère sud à partir du mois de novembre. Le doute persiste sur l’impact de plusieurs phénomènes climatiques (sécheresses, El Nino, …) sur les récoltes à venir.

* : La Russie a affirmé sa volonté de ne pas réengager de négociation tant que ses exigences – pouvoir exporter ses propres produits agricoles – ne seraient pas prises en compte.

** :  Pologne, Roumanie, Bulgarie, Hongrie et Slovaquie

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