Vers une convergence du soutien des prix du marché entre pays riches et émergents

Publié le 4 janvier 2023
par Abdoul Fattath TAPSOBA et Matthieu BRUN (Fondation FARM)
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Les mesures de soutien des prix agricoles sont le type de politique de soutien à l’agriculture le plus décrié à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pourtant, dans une grande majorité des pays, elles demeurent la principale forme d’aide accordée aux producteurs, et ce en dépit des nombreux accords commerciaux en faveur de la libéralisation. Quel état des lieux du soutien des prix du marché des produits agricoles dans le monde ? Un constat majeur : une convergence des niveaux de soutien entre pays à revenu élevé et intermédiaire qui contraste avec une faible protection des agricultures africaines.

La Fondation FARM a lancé en décembre 2022 un Observatoire mondial des soutiens publics à l’agriculture et à l’alimentation qui permet de comparer les écarts de soutien à travers la planète. Après avoir analysé les Dépenses publiques de soutien à l’agriculture et à l’alimentation (DPAA), penchons-nous sur un autre indicateur, le soutien des prix du marché.

Soutien des prix du marché (SPM) : de quoi parle-t-on ?

Tel que calculé par l’OCDE, le SPM exprime la valeur monétaire du soutien des prix agricoles. Schématiquement, le SPM traduit, pour chaque produit agricole, l’écart entre le prix du marché intérieur et le prix mondial multiplié par le volume du produit. Cet écart de prix est déterminé notamment par les protections aux frontières, les réglementations sanitaires, les taxes et les coûts de transformation, d’acheminement ou encore de distribution qui touchent les produits entre la ferme et le marché de gros ou le marché de détail. Un SPM négatif signifie que les producteurs reçoivent des prix inférieurs, en moyenne, aux prix mondiaux de référence. Inversement, un SPM positif indiquera des prix payés aux producteurs supérieurs aux prix payés sur les marchés internationaux.

Suivant que le SPM est positif ou négatif, le prix perçu par le producteur est majoré ou minoré par rapport aux prix payés sur les marchés internationaux. Le SPM peut donc être considéré comme une mesure indirecte de la protection à l’importation. Plus il est positif, plus le producteur est protégé de la concurrence des produits importés. Plus il est négatif, moins il l’est. En l’état actuel de ce que propose l’Observatoire de FARM, les données sur le SPM sont incomplètes et ne couvrent pas encore les pays d’Afrique subsaharienne. De ce fait, cette analyse du SPM porte uniquement sur des pays à revenu élevé et intermédiaire (voir dans la note méthodologique la liste des pays concernés). La question du soutien des prix dans les pays africains est toutefois abordée, mais à travers un autre indicateur : le taux nominal de protection, calculé par le consortium Ag Incentives.

Une convergence des soutiens des prix du marché

Au cours des dernières décennies, de façon tendancielle et concomitante, le niveau du SPM s’est fortement réduit dans les pays à revenu élevé, tout en augmentant progressivement dans les pays à revenu intermédiaire. Comme l’indique le graphique, l’écart moyen entre ces deux catégories de pays s’est considérablement réduit au fil du temps et semble quasiment comblé en 2021. En effet, cet écart du SPM, exprimé en pourcentage de la valeur de la production agricole, est passé en moyenne de 15 % en 2000-2002, à seulement 2 % en 2019-2021. La baisse nette du SPM dans les pays à revenu élevé s’expliquerait d’une part, par les réformes de politiques agricoles à partir de la fin des années 1980 et d’autre part, par les contraintes consécutives à l’Accord de Marrakech sur l’agriculture, en 1994 à l’OMC. S’agissant des pays à revenu intermédiaire, ce constat pourrait signifier une volonté de conforter ou d’améliorer la sécurité alimentaire et/ou les bases d’une transformation structurelle des économies.

Toutefois, il existe de grandes disparités du SPM, notamment parmi les pays à revenu intermédiaire. Il ne faut pas perdre de vue que les évolutions par classe de revenu sont des moyennes, qui cachent d’importantes variations au sein de chaque catégorie de pays. Ainsi, le poids de certains géants agricoles de par leur intensité du soutien et la taille de leur agriculture influence la moyenne de ces catégories. C’est par exemple le cas de la Chine, du Brésil ou de l’Inde parmi les pays à revenu intermédiaire.

Pourquoi un SPM négatif pour certains pays à revenu intermédiaire ?

L’analyse du tableau fait remarquer cinq pays à revenu intermédiaire qui affichent des SPM négatifs : l’Argentine, l’Inde, le Kazakhstan, l’Ukraine et le Vietnam. C’est une situation qui indique que les prix payés aux producteurs dans ces pays sont inférieurs aux prix mondiaux. Cela peut s’interpréter comme un prélèvement indirect ou une taxation implicite des producteurs. Les SPM négatifs peuvent s’expliquer essentiellement par des inefficacités de marché (coûts élevés de transformation et de transport, rentes monopolistiques…), ou encore des réglementations sur la commercialisation de certaines productions (Inde) et des taxes à l’exportation (Argentine). Ces SPM négatifs donnent lieu à des transferts des producteurs vers les consommateurs et l’État (sous la forme de taxes prélevées en cas d’exportation du produit). Pour la période 2019-2021, les SPM négatifs représentaient en moyenne près de 20% de la valeur de la production agricole en Argentine et en Inde. Les producteurs de ces pays sont lourdement taxés au profit des consommateurs qui profitent d’un bas niveau des prix sur les produits de base.

Afrique : une agriculture relativement peu protégée

Ne disposant pas des données pour les pays africains, nous utilisons le taux nominal de protection (TNP) pour analyser le soutien des prix agricoles. Il exprime, pour chaque produit agricole, l’écart entre le prix payé au producteur et le prix à la frontière, en pourcentage du prix à la frontière. Un TNP négatif indique que le producteur est « taxé » par les politiques menées et/ ou que les protections existantes sont inefficaces.

Grâce notamment à de solides protections à l’importation, le soutien des prix agricoles est plus élevé dans les pays à revenu élevé et intermédiaire que dans les pays africains. D’ailleurs, on peut constater que le Taux nominal de protection en Afrique est resté négatif sur toute la période 2005-2018. En 2018, ce taux nominal de protection (TNP) dans les pays à revenu élevé était supérieur en moyenne de 30 points de pourcentage à celui en Afrique, contre 5 points par rapport aux pays à revenu intermédiaire. Cette évolution du TNP montre que l’agriculture africaine est relativement peu protégée et elle l’est à un degré moindre que dans les autres régions en développement (voir l’étude de FARM sur les protections à l’importation). Ce constat est d’autant plus important que les dépenses publiques à l’agriculture et à l’alimentation (DPAA) sont également beaucoup moins élevées dans les pays africains.

Ce TNP négatif signifie que les gouvernements africains protègent avant tout les consommateurs au détriment des producteurs agricoles. En effet, les États d’Afrique subsaharienne ont longtemps entretenu, à l’encontre du secteur agricole, un « biais urbain » qui s’est traduit par des droits de douane relativement faibles – la priorité étant donnée à l’alimentation des villes par des produits importés -, une taxation des produits agricoles exportés, etc. Il résulte de cette situation pour les producteurs africains une concurrence de produits importés à bas prix, de la part de pays ou de régions où la productivité agricole est considérablement plus élevée. Et ce d’autant plus qu’un certain nombre de ces pays – en particulier les États membres de l’Union européenne, les États-Unis, mais aussi l’Inde et la Chine – subventionnent fortement leur agriculture, souvent depuis longtemps, ce qui leur a d’ailleurs permis de construire des avantages comparatifs dans ce secteur. Or il existe une corrélation forte, dans les différentes régions du monde, entre la suppression du biais urbain, anti-agricole, et le niveau de développement de plusieurs pays émergents, notamment en Asie.

Faut-il accroître le soutien des prix agricoles en Afrique ?

Poser cette question revient à ouvrir de nouveau l’épineux débat sur la protection de l’agriculture africaine. Ce débat est particulièrement important dans le contexte de redéfinition du partenariat Afrique-Europe et de renégociation des Accords de partenariat économique (APE). De plus, le continent africain s’est engagé depuis 2018 dans la constitution d’une Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), mise en place en janvier 2021. La création de la ZLECAf interroge le futur des relations commerciales entre les pays africains ainsi que le niveau de protection des agricultures et des filières agroalimentaires. Cette question devrait constituer un pilier essentiel de l’agenda politique de l’Union africaine à l’heure de la réaffirmation de l’objectif de souveraineté alimentaire.

Pour l’heure, le soutien à l’agriculture en Afrique est pris dans une contradiction politique. Les dépenses de soutien à l’agriculture et à l’alimentation sont supposées stimuler la productivité du secteur. Or le soutien négatif des prix agricoles efface les effets de ces dépenses et n’offre pas aux agriculteurs un climat propice à l’amélioration de la production. Ce constat soulève plus largement la question de la cohérence des politiques agricoles et commerciales.

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