Suppression des droits de douanes chinois : quelles opportunités pour les exportations agricoles nord-africaines ?
À rebours des tendances protectionnistes américaines, la Chine a récemment posé un geste d’ouverture majeur en faveur des exportations africaines. Lors de l’Exposition économique et commerciale Chine-Afrique de juin 2025, Pékin a annoncé la suppression totale des droits de douane sur les importations en provenance de 53 pays africains. Concrètement, cette mesure historique étend à presque tous les pays d’Afrique – notamment l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie – l’accès en franchise de droits au marché chinois, privilège jusqu’alors réservé aux seuls pays africains les moins avancés. Pour l’Afrique du Nord, cette ouverture tarifaire de la Chine représente une opportunité de diversification de ses exportations agricoles vers un marché de 1,4 milliard de consommateurs. Dans la continuité de notre série d’analyses sur les exportations agricoles africaines, ce volet examine les relations commerciales entre la Chine et les pays d’Afrique du Nord.

Une multiplication par 5 des exportations en 10 ans et une montée en gamme progressive
Les exportations agricoles nord-africaines vers la Chine sont passées de 72 millions USD en 2012 à 357 millions USD en 2023. Cette dynamique fait de la Chine un partenaire commercial de plus en plus important pour la région, même si les flux restent modestes, comparés aux exportations vers . Cette croissance repose avant tout sur l’Égypte, qui représente plus de 85 % des exportations régionales en 2023. Le Maroc a vu ses exportations progresser rapidement (+571 %) en une décennie alors que la Tunisie et l’Algérie pèsent peu dans ces échanges, avec respectivement 0,6 % et 0,4 % des exportations de la région.
L’évolution des flux met en évidence une transformation qualitative des exportations agricoles vers la Chine. En 2012, elles étaient dominées par les produits primaires (76 %) alors qu’en 2023, leur part a réduit et les produits transformés représentent près de la moitié des flux (47 %).
La part des produits alimentaires connait également une évolution positive sur la décennie, passant de 21 % en 2012 à 38 % des exportations agricoles vers la Chine en 2023. Cette croissance est portée notamment par l’Égypte et le Maroc, mais avec un recul de la Tunisie et une Algérie marginale.
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Cette progression traduit trois évolutions :
- Un élargissement de la demande chinoise au-delà des matières premières traditionnelles (coton, laine, fibres textiles).
- Une adaptation progressive de l’offre nord-africaine aux attentes d’un marché urbain en expansion, intéressé par des produits alimentaires plus transformés.
- Un potentiel de montée en valeur ajoutée pour les filières nord-africaines, qui reste encore largement à exploiter.
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Égypte : diversification et leadership régional
En 2012, les exportations agricoles égyptiennes vers la Chine atteignaient 59 millions USD, reposant presque exclusivement sur le coton (50 millions USD). À côté de ce produit dominant, seuls quelques flux marginaux apparaissaient : préparations de légumes (4 millions), autres fibres textiles (2 millions) et agrumes (1 million). La structure des exportations reflétait une spécialisation sur une matière première traditionnelle, sans réelle diversification.
En 2023, le profil d’exportation égyptien s’est profondément transformé, avec une valeur totale portée à 307 millions USD (+420 % en dix ans). Cette croissance repose sur une forte diversification des produits exportés :
- Agrumes et fruits : 96 millions USD, dont 51 millions USD de fraises congelées et 42 millions d’oranges USD.
- Résidus et sous-produits agro-industriels : 67 millions USD (notamment résidus d’amidonnerie et autres résidus similaires).
- Fibres textiles (coton dont le montant des exportations est resté presque identique, 48 millions USD, et lin 75 millions USD).
Cette évolution traduit une double stratégie : maintenir des parts de marché sur les fibres textiles tout en élargissant l’offre aux produits alimentaires et transformés. L’Égypte s’affirme ainsi comme le premier fournisseur nord-africain de produits agricoles à la Chine, concentrant plus de 85 % des flux régionaux. La suppression des droits de douane renforce encore la position stratégique de ses filières, qui apparaissent désormais bien placées pour tirer parti du potentiel du marché chinois.
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Maroc : un acteur en progression sur des segments de niche
Les exportations agricoles marocaines vers la Chine ont connu une progression notable, passant de 7 millions USD en 2012 à près de 47 millions USD en 2023. Même si les volumes, environ 13 % des exportations régionales, restent modestes comparés à ceux de l’Égypte, la tendance traduit une insertion croissante du Maroc sur ce marché.
En 2012, les flux reposaient principalement sur quelques produits bruts : fruits comestibles, notamment fraises congelées (2,5 millions USD) ; résidus et déchets agro-industriels, notamment les farines et poudres de poissons ou de crustacés (2,4 millions USD) ; et gommes et résines végétales (1,1 million USD).
En 2023, la structure des exportations s’est modifiée et diversifiée avec l’huile d’olive qui devient la première catégorie avec près de 26 millions USD, soit plus de 55 % des exportations. Les exportations de farines et poudres de poissons ou de crustacés pèsent environ 21 %, avec une croissance de +308 % par rapport à 2012. Quant aux fruits comestibles, ils restent significatifs avec près de 13 % de la valeur des exportations vers la Chine, dont 83 % sont des fraises congelées.
Cette évolution révèle un positionnement du Maroc sur des niches porteuses en Chine, en lien avec les évolutions de consommation et le passage progressif de produits majoritairement primaires (résines, gommes, agrumes) vers une présence de produits transformés à plus forte valeur ajoutée.
En comparaison de l’Égypte, le Maroc reste un acteur secondaire, mais il gagne en visibilité commerciale et dispose de marges de progression importantes. La suppression des droits de douane pourrait accentuer cette dynamique, notamment pour les fruits rouges et l’huile d’olive, où le pays est compétitif et où la demande chinoise est en croissance.
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Tunisie : un recul marqué de l’huile d’olive
Les exportations tunisiennes vers la Chine sont passées de 5 à 1,5 millions USD entre 2012 et 2023. Cette période est marquées par l’effondrement de l’huile d’olive dont la valeur des exportations a été divisée par près de 14 en dix ans. Ce recul n’est pas tant lié à un manque de potentiel qu’à une faiblesse de positionnement stratégique en Chine. Il peut s’expliquer par une perte de compétitivité face à la concurrence d’autres acteurs méditerranéens, ainsi que par la priorité donnée à d’autres marchés, en particulier l’Union européenne et les États-Unis.
Le marché chinois de l’huile d’olive est dominé par l’Espagne et l’Italie, leaders mondiaux, qui disposent de stratégies commerciales plus offensives et d’une image de marque plus forte. L’huile tunisienne est souvent importée en vrac et reconditionnée par ces pays avant d’être réexportée, limitant la visibilité du label tunisien dans ce marché. Le Maroc a également renforcé sa présence sur le marché chinois de l’huile d’olive.
Le repli du marché américain renforce l’urgence pour la Tunisie de se repositionner en Chine, où s’ouvre une opportunité stratégique de redéploiement, à condition de miser sur la différenciation et la valorisation de son huile d’olive.
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Algérie : une insertion encore marginale
En 2012, les exportations agricoles algériennes vers la Chine s’élevaient à 712 000 USD, composées quasi exclusivement de vins (soit près de 94 % des exportations). Quelques flux secondaires existaient, mais à des niveaux très faibles : laine, fruits et dattes, huiles et graisses. La présence de l’Algérie sur ce marché était donc limitée et peu diversifiée.
En 2023, les exportations atteignent 1,73 million USD, soit une progression de +143 %, mais elles restent marginales dans l’ensemble régional. La structure des flux se transforme toutefois de manière significative :
- La laine brute non cardée ni peignée domine largement, avec 1,55 million USD, représentant près de 90 % des exportations.
- Des volumes modestes apparaissent dans les préparations alimentaires diverses (152 000 USD).
- Quelques produits industriels et agricoles (graines oléagineuses, plantes, boissons, eau minérale) complètent le panier, mais dans des proportions anecdotiques.
Contrairement à ses voisins, l’Algérie exporte très peu vers le marché chinois malgré un potentiel de niche sur certains de ces produits phares. La suppression des droits de douane pourrait offrir une fenêtre stratégique pour diversifier son offre et promouvoir des produits à plus forte identité algérienne, notamment les dattes.
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Enseignements pour la région
L’analyse des exportations agricoles nord-africaines vers la Chine fait apparaître plusieurs enseignements :
- Une dynamique de croissance rapide, mais reposant fortement sur l’Égypte, qui concentre l’essentiel des flux.
- Une montée en valeur ajoutée, avec la progression notable des produits transformés, même si les matières premières dominent encore.
- Des trajectoires différenciées par pays : l’Égypte combine volumes, diversification et montée en gamme ; le Maroc progresse mais reste un acteur de second plan ; la Tunisie connaît un recul sur sa filière emblématiques et l’Algérie reste quasi absente du marché.
Alors que les États-Unis durcissent leurs tarifs, l’ouverture de la Chine élargit les perspectives pour la région. Mais transformer cet accès en parts de marché suppose une diversification des filières exportatrices, et des investissements dans la distribution et la promotion des produits nord-africains auprès des consommateurs chinois. Dans ce paysage commercial en recomposition, les évolutions actuelles créent à la fois des risques et des opportunités pour l’Afrique du Nord, mais elles rappellent surtout la nécessité de diversifier les débouchés et de réduire la dépendance à quelques marchés stratégiques. L’enjeu n’est pas de privilégier un partenaire plutôt qu’un autre, mais de bâtir des stratégies commerciales résilientes et adaptées à un environnement international en pleine mutation.
Tableau de répartition des exportations agricoles en région Nord-Afrique entre 2012 et 2023
