Le soutien total à l’agriculture et à l’alimentation : un paysage mondial contrasté
La Fondation FARM a lancé en décembre 2022 un Observatoire mondial des soutiens publics à l’agriculture et à l’alimentation qui permet de comparer les écarts de soutien à travers la planète. Après avoir analysé les Dépenses publiques de soutien à l’agriculture et à l’alimentation (DPAA) et le soutien des prix du marché, penchons-nous sur le troisième et dernier indicateur : le soutien total à l’agriculture et à l’alimentation.
Comprendre le soutien total
Petit retour en arrière : l’Observatoire de FARM s’appuie sur trois indicateurs clés pour évaluer l’engagement des États en faveur de l’agriculture et de l’alimentation. Ces indicateurs sont les dépenses publiques à l’agriculture et à l’alimentation, le soutien des prix du marché et le soutien total.
Deux grandes tendances majeures ont été relevées :
1) Les pays qui dépendent le plus de l’agriculture dépensent le moins pour soutenir leurs agriculteurs et agricultrices ;
2) Les pays riches et émergents ont des politiques protectionnistes plus marquées pour soutenir les prix intérieurs face à la concurrence des produits agricoles importés, notamment par rapport aux pays africains qui sont relativement moins compétitifs.
Concentrons-nous désormais sur le soutien total qui révèle un paysage mondial dominé par les pays riches et une montée en puissance des économies émergentes. Le soutien total à l’agriculture et à l’alimentation est égal à la somme des dépenses publiques[1] et du soutien des prix agricoles[2]. Sur la période 2019/21, il est en moyenne deux fois plus élevé dans les pays à revenu élevé que dans les pays à revenu intermédiaire.
Les pays à revenu élevé soutiennent en moyenne leur agriculture et leur alimentation à hauteur de 29 % de la valeur de la production agricole, contre 14 % pour les pays à revenu intermédiaire. Cependant, nous ne disposons pas des données relatives aux soutiens des prix agricoles dans les pays à faible revenu pour les comparer aux autres.
Soutien à l’agriculture : forte baisse dans les pays à revenu élevé, hausse légère dans les pays à revenu intermédiaire
Le soutien total à l’agriculture et à l’alimentation dans les pays à revenu élevé a néanmoins subi une baisse importante au cours des 20 dernières années. En effet, il a été réduit de près de moitié, soit un passage de 44 % de la valeur de la production agricole en 2000 à 25 % en 2021. Cette baisse du soutien total est observée jusqu’en 2014 et reste imputable aux réformes des politiques agricoles entreprises par ces pays pour se conformer aux règles de l’Accord sur l’agriculture. Ces dernières ont été signées au terme des négociations commerciales du cycle d’Uruguay qui ont abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994. Inversement, les pays émergents ont augmenté leur soutien à l’agriculture pour favoriser le développement de leur secteur agricole et assurer leur sécurité alimentaire.
Ces évolutions doivent cependant être considérées avec prudence, car le soutien total diminue mécaniquement lorsque les prix agricoles mondiaux augmentent, et cela même si les politiques agricoles restent inchangées. Cette prudence se justifie par le mode de calcul du soutien des prix du marché. En effet, celui-ci est calculé pour un produit agricole donné, en multipliant la quantité produite par un écart de prix. Cet écart de prix étant lui-même obtenu à partir d’une différence entre le prix du marché intérieur et le prix mondial du produit concerné. De ce fait, toute augmentation du prix mondial du produit a pour effet mécanique de réduire la différence de ce dernier (prix mondial) avec le prix du marché intérieur et par conséquent, une réduction du soutien des prix du marché et du soutien total.
La fin de la convergence ?
Comme l’indique le graphique montrant l’évolution du soutien total, on observe ces dernières années un creusement de l’écart du soutien total à l’agriculture et l’alimentation entre pays à revenu élevé et intermédiaire après une longue période de convergence tendancielle. Depuis 2015, cet écart est lié à des stratégies de soutien à l’agriculture différentes. Les dépenses publiques de soutien à l’agriculture et à l’alimentation (transferts budgétaires aux producteurs ou aux consommateurs, investissements dans la recherche, les infrastructures, la formation, etc.) ont ainsi crû dans les pays à haut revenu depuis 2014. Dans les pays à revenu intermédiaire, hormis un léger accroissement de 1 % en 2020, notamment pour soutenir le secteur agricole face à la pandémie de Covid-19, le niveau de ces décaissements budgétaires est resté relativement constant sur les deux dernières décennies. L’augmentation du soutien total à l’agriculture et à l’alimentation dans ces pays est attribuable aux politiques de soutien des prix du marché comme les mesures aux frontières (les droits de douane, les subventions et taxes à l’exportation ou encore les contingentements d’importation et d’exportation) et les mesures non tarifaires (réglementations sanitaires).
Bien qu’elles soient à des niveaux différents dans les pays riches et dans les pays émergents, la majeure partie du soutien total est octroyée sous une forme de dépenses budgétaires. Ces dépenses publiques atteignent plus de 75 % du soutien total des pays à revenu élevé et représentent pas moins de 60 % dans les pays émergents.
Argentine et Vietnam : des soutiens négatifs
En règle générale, les politiques de soutien négatif visent souvent à atteindre des objectifs de sécurité alimentaire en offrant des prix bas aux consommateurs, ou à mobiliser des ressources budgétaires en collectant des recettes fiscales grâce aux taxes d’exportation sur certains produits agricoles. Bien qu’il existe de grandes différences d’un pays à l’autre, il faut souligner que ce type de soutien caractérise certains pays à revenu intermédiaire. Cela se produit lorsque la valeur monétaire du soutien des prix agricoles est inférieure aux dépenses publiques pour l’agriculture. L’Argentine et le Vietnam en sont des exemples, avec des politiques de soutien des prix négatifs, respectivement de -20 % et -9 % de la valeur de la production agricole tandis que les dépenses publiques sont de seulement 1 % et 4 %. Ainsi, leur soutien total à l’agriculture et à l’alimentation se réduit à -19 % et -5% de la valeur de la production agricole. En d’autres termes, pour l’Argentine, cela signifie que l’État donne d’une main 1 % de la valeur de production agricole en soutien à ses agriculteurs, pour en reprendre 20 % de l’autre via des taxes à l’exportation par exemple.
L’Inde pratique également un soutien similaire à ses agriculteurs, mais à un degré moindre : elle ne retire pas plus que ce qu’elle donne. Avec des dépenses publiques et un soutien des prix du marché de 24 et – 19 % respectivement, le soutien total à l’agriculture et à l’alimentation est de 5 % de la valeur de la production agricole. Il faut toutefois préciser que l’Argentine, l’Inde et le Vietnam ont des agricultures compétitives et constituent de grands exportateurs de produits agricoles dans le monde, ce qui leur permet de pratiquer de telles politiques sans compromettre la prospérité de leurs secteurs agricoles.
Les États africains doivent davantage soutenir l’agriculture
En l’absence de données comparables pour évaluer le soutien total à l’agriculture et à l’alimentation en Afrique subsaharienne, les analyses précédentes sur le taux nominal de protection et les dépenses publiques de soutien permettent de donner une idée du soutien global à l’agriculture. Elles montrent que la faible compétitivité des filières agricoles de ces pays, combinée à une faible protection contre les importations de produits à bas prix et fortement subventionnés, réduit l’efficacité des dépenses publiques à l’agriculture, qui sont en plus insuffisantes. Pourtant, l’agriculture en Afrique manque cruellement d’investissements et de protection pour relever les nombreux défis qui la concernent.
Il apparaît donc essentiel que le soutien à l’agriculture soit intensifié en Afrique, par les gouvernements avec des politiques publiques qui abordent le secteur sous l’angle plus large des chaînes de valeurs, au-delà de la production agricole. En effet, une approche systémique de l’agriculture, du champ à l’assiette avec des mesures de protection sociale incluant des stratégies en matière de nutrition mais aussi des politiques de conservation de la biodiversité apparaît primordiale. D’autant plus que les effets du changement climatique vont peser lourdement sur les capacités du continent à produire et nourrir une population en forte croissance. Le rôle des partenaires techniques et financiers est dans ce contexte capital pour accompagner ces transformations. Le second sommet de Dakar sur la souveraineté alimentaire et la résilience semble indiquer une volonté de redonner de l’importance à l’agriculture dans les politiques africaines, mais encore faudrait-il passer des intentions aux actes pour réaliser le potentiel agricole et alimentaire du continent.
[1] Pour en savoir plus sur les dépenses publiques agricoles.
[2] Pour en savoir plus sur le soutien des prix agricoles.