Productivité agricole : un demi-siècle dans le rétroviseur. Et demain ?
Un déluge de chiffres : les données récemment mises en ligne par le département américain de l’Agriculture (USDA)[1] livrent un constat implacable. Depuis le début des années 1960, la valeur de la production agricole par hectare en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) a augmenté environ quatre fois moins vite que dans les pays asiatiques en développement (+ 72 % contre + 301 %) et deux fois moins vite qu’en Amérique latine.
La comparaison est d’autant plus significative que cette valeur est exprimée en dollars constants et en parité de pouvoir d’achat. Comme, en outre, la surface disponible par actif agricole a diminué en Afrique, tandis qu’elle progressait dans les deux autres régions, la production par actif agricole au sud du Sahara n’a crû que de 43 %, soit près de huit fois moins rapidement que dans l’Asie en développement et six fois moins vite qu’en Amérique latine. En conséquence, sur la période 2012-16, un travailleur agricole en Afrique subsaharienne a produit en moyenne deux fois moins, en valeur, que son homologue asiatique et neuf fois moins que son équivalent latino-américain (tableau).
Certes, la comparaison ne dit rien de l’évolution relative des revenus agricoles dans les différentes régions, car la production par actif ne tient pas compte du coût des intrants et des équipements agricoles, beaucoup plus utilisés en Asie et en Amérique latine qu’en Afrique. Cependant, selon la Banque mondiale, les écarts de valeur ajoutée brute par actif – indicateur qui intègre les consommations intermédiaires – sont considérables entre les trois régions[2]. En outre, la croissance de la production agricole s’est faite au prix d’une forte pression sur l’environnement, via un épandage massif d’engrais et de produits phytosanitaires et une déforestation pour le moins problématique.
Les données rétrospectives de l’USDA conduisent à s’interroger sur les trajectoires futures de développement agricole. Si, toutes choses égales par ailleurs, la valeur de la production par actif agricole en Afrique subsaharienne augmente, d’ici à 2050, au même rythme que dans les trente dernières années (+ 40 % au total), elle atteindra à peine 1 200 euros, soit un niveau inférieur d’un tiers à celui enregistré aujourd’hui dans les pays asiatiques en développement. A ce rythme, l’écart de revenu se sera sans doute encore creusé entre urbains et ruraux et l’extrême pauvreté sera loin d’être éradiquée, contrairement à l’objectif fixé pour… 2030 par les Objectifs de développement durable. L’accroissement de la productivité doit donc s’accélérer : formidable défi puisqu’il s’agit à la fois d’élaborer les connaissances et de diffuser les techniques et les moyens de production qui permettront aux petits agriculteurs africains d’améliorer leurs revenus dans des conditions écologiquement acceptables, tout en fournissant des denrées à un coût abordable pour les consommateurs. Défi politique aussi, car il incombe aux Etats du continent, structurellement impécunieux, d’accompagner cette transition dont la dimension sécuritaire et géopolitique apparaît chaque jour davantage.
[1] https://www.ers.usda.gov/data-products/international-agricultural-productivity/
[2] En 2018, la valeur ajoutée brute par actif dans le secteur « agriculture, forêt, pêche » était en moyenne de 1 594 dollars en Afrique subsaharienne, 3 510 dollars en Asie de l’Est (hors pays à haut revenu) et 7 189 dollars en Amérique latine. La VAB par actif agricole en Asie du Sud (1 591 dollars) est identique à celle observée en Afrique subsaharienne (toutes ces valeurs sont exprimées en dollars 2010).