Hausse des prix, crise du secteur agricole… les défis du gouvernement égyptien

Publié le 11 avril 2023
par Racha Ramadan, professeur d'économie à la Faculté d'économie et de sciences politiques (FEPS) au Caire (Égypte)
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Plus grand importateur de blé au monde et dépendant de la Russie et de l’Ukraine pour s’approvisionner, l’Égypte a dû enrayer ces derniers mois la hausse discontinue des matières premières et des intrants. Cette situation a poussé le gouvernement à chercher de nouvelles voies pour protéger les plus vulnérables et transformer son secteur agricole. Racha Ramadan, professeur d’économie à la Faculté d’économie et de sciences politiques (FEPS) au Caire (Égypte), nous livre son regard sur la situation du pays et sur les raisons d’espérer des jours meilleurs.

L'agriculture égyptienne à un tournant
L’agriculture égyptienne à un tournant

Fondation FARM : Quels sont les impacts sur la sécurité alimentaire et la production agricole égyptienne de la hausse des matières premières et des intrants ?

Racha Ramadan : Le taux d’inflation général annuel est aujourd’hui de plus de 40 % – dont 18 % pour les fruits et légumes) selon la Banque Centrale d’Egypte. Les ménages égyptiens, surtout les plus modestes, sont donc particulièrement vulnérables à cette hausse des prix. Selon l’IFPRI, les ménages ont ainsi dû réduire leur consommation de certains produits et aliments de base, notamment de protéines comme la viande et le poulet.

Les problèmes ne datent cependant pas d’hier. Le pays traverse une série de crises, politiques, sanitaires et économiques qui ralentissent l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD). À chaque crise, les avancées, certes timides, gagnées sur la pauvreté ou l’insécurité alimentaire, grâce aux réformes économiques, sont balayées. Par exemple, avant la pandémie de COVID-19, le taux de pauvreté avait baissé pour la première fois depuis 20 ans. Selon CAPMAS, il était passé de 32.5% en 2017/2018 à 29.7% en 2018/2019.

L’agriculture a été l’un des secteurs les plus résilients pendant la pandémie. Mais il est difficile de mesurer aujourd’hui les impacts de la hausse des prix sur les producteurs. Pour les producteurs nets, ceux qui produisent plus qu’ils ne consomment, ils ont pu profiter de la hausse des prix au moins à court terme avant que les intrants n’augmentent. Mais, pour les ménages agricoles qui auto-consomment et achètent leur alimentation, les difficultés ont été très importantes.

Selon l’IFPRI, le système agro-alimentaire sera le plus affecté par la hausse des prix globaux, avec une réduction du PIB de 0.7%.

F.F. : Comment le gouvernement a réagi à ces crises ? Quelles politiques publiques ont été mises en œuvre pour atténuer les chocs sur les ménages ?

R.R. : Le gouvernement a mis en œuvre des mesures pour soutenir les plus vulnérables contre la perte de revenu et l’inflation. Il a par exemple augmenté le nombre de bénéficiaires de certains programmes sociaux. Par exemple, plus de 400 000 individus supplémentaires ont bénéficié des transferts monétaires Takaful et Karama (ndlr : solidarité et dignité en français, voir ci-dessous) tandis que le gouvernement a aidé les travailleurs informels et saisonniers en leur allouant des transferts de 500 livres égyptiennes (environ 15 €) pour trois mois. Cela s’ajoute aux subventions déjà existantes sur l’énergie et les produits alimentaires de base. Ces dépenses sont nécessaires pour amortir les chocs mais le fardeau pour les dépenses publiques est très lourd, surtout avec la hausse des prix des matières premières agricoles et énergétiques.

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F.F. : D’autant plus que les Égyptiens sont de grands consommateurs de pain, un produit justement subventionné…

R.R. : En effet, les subventions sur le pain sont une composante essentielle de ces soutiens publics. Or le blé consommé et utilisé pour produire les galettes de pain est importé, en grande partie de Russie. Impossible pour le pays d’arrêter ces importations, même si les prix flambent. D’ailleurs, le pain subventionné n’est plus accessible à tous les ménages depuis 2014 car des réformes ont entrepris de mieux cibler l’accès.

Aujourd’hui, il faut une carte spéciale pour acheter ces galettes à 5 piastres (ndlr : 0,25 euro) et la quantité est limitée à 5 galettes par personne et par jour. Si les ménages consomment moins que leur quota, alors ils accumulent des points qui s’ajoutent sur une carte de rationnement leur permettant d’acheter d’autres produits subventionnés.

Autour de trente-cinq produits sont couverts par cette carte que possède plus que 70% des ménages égyptiens. Ces cartes – distribuées en fonction des revenus des ménages – sont chargées d’un montant que les ménages pourront utiliser pour acheter des produits alimentaires à des prix moins élevés que ceux du marché, dans des supermarchés spécifiques. Le gouvernement essaye aussi d’améliorer le ciblage de ce programme très coûteux pour les finances publiques.

F.F. : Le gouvernement a-t-il mis en œuvre d’autres programmes pour faire face aux chocs économiques sur les ménages, notamment en zones rurales ?

R.R. : D’autres programmes innovants sont testés pour augmenter l’efficacité des politiques de protection sociale. Je pense notamment à un cas de transfert monétaire qui s’appelle Takaful et Karama. Lancé en 2015, il cible les femmes et est conditionné au fait que les enfants du ménage soient effectivement scolarisés (80 % de l’année) et que ces femmes assistent à des cours de nutrition et de santé (Banque Mondiale ).

Viser les femmes en particulier en zones rurales a prouvé ses bienfaits pour lutter contre la malnutrition et la déscolarisation. En tant qu’économiste je ne peux que recommander d’avoir plusieurs programmes adaptés aux objectifs de lutte contre la pauvreté. Ce dernier est complexe et mérite une approche multi-dimensionnelle, notamment dans les zones rurales et dans le secteur agricole.

F.F. : Justement, comment ces programmes ciblent les zones rurales ?

R.R. : Le secteur agricole et les zones rurales ont globalement été négligés par les pouvoirs en place depuis plusieurs décennies. Beaucoup d’efforts se sont concentrés dans les villes et dans certains types d’agriculture au détriment des paysans. C’est pourtant un secteur stratégique pour le pays et pour sa sécurité alimentaire. Le secteur primaire emploie 1 personne sur 5 et contribue à plus de 10 % au PIB. Mais beaucoup de producteurs sont dans des situations économiques très difficiles et vulnérables aux chocs.

L’agriculture est un secteur informel où la pauvreté est bien plus élevée que dans le reste de la société.  Selon le rapport de Financement du Développement Durable en Egypte (2022), 67% des personnes pauvres vivent dans les zones rurales. Il est donc particulièrement important d’offrir à ces producteurs des opportunités économiques et d’investir dans les ruralités pour éviter d’accroître l’exode urbain. Le gouvernement a lancé en 2019 un programme intitulé « Hayah Karima » (ndlr : vie digne en français) destiné aux zones rurales avec des investissements dans les infrastructures, l’éducation, la santé et l’économie. Le programme est une composante du plan stratégique du gouvernement « Vision 2030 » pour l’atteinte des Objectifs de développement durable.

D’ailleurs au cours de la COP 27 à Charm el-Sheikh, la présidence égyptienne a annoncé le lancement d’un plan qui s’inspire de ce qui a été fait en Égypte mais pour le continent africain, « Decent Life for Climate Resilient Africa Initiative ». L’objectif est d’encourager l’investissement privé dans les zones rurales pour y accroître la productivité et la prospérité.

F.F. : La politique agricole égyptienne a longtemps privilégié l’exportation de produits alimentaires souvent peu transformés. Cette stratégie est-elle en train de changer ?

 R.R. : L’Egypte s’est en effet dotée d’une nouvelle stratégie agricole à destination de tous les agriculteurs pour les insérer dans les filières et dans les chaînes de production. Il faut créer de la valeur ajoutée dans les zones rurales et cela passe par la transformation des produits. Je crois que la vision change sur le secteur agricole. Il ne s’agit plus d’exporter des produits non transformés mais bien de développer les activités en aval. L’Égypte ne va cependant pas abandonner l’export car c’est une source importante de revenus. Les exportations du secteur agro-alimentaire représentent 13 % des exportations non pétrolières. Il faut continuer de profiter des produits sur lesquels le pays a un avantage comparatif.

Dans le même temps, le gouvernement veut accroître l’autosuffisance sur certaines productions pour moins dépendre de l’extérieur, en augmentant la production agricole des produits stratégiques et moderniser les stockages pour réduire le gaspillage. Il faut pour cela prendre en considération l’utilisation de l’eau, les températures souvent extrêmes en Égypte et les impacts du changement climatique, en sachant que les terres sont rares et qu’il faudra s’éloigner du Nil pour aller vers le désert.

Dans la stratégie 2030 de l’Egypte, le focus est porté sur la consolidation d’une agriculture qui a un effet positif sur l’environnement en essayant surtout de réduire la consommation en eau du secteur primaire. L’agriculture consomme 80 % de l’eau du pays et l’essentiel provient du Nil. Donc, en décidant de mettre en valeur de nouvelles terres loin du Nil, il va aussi falloir imaginer des systèmes bien plus économes en eau, des céréales qui résistent mieux à la sècheresse aussi. Cela passe par des investissements publics et des choix en termes de recherche ou de soutiens. L’IFPRI a d’ailleurs rappelé dans un récent rapport qu’il valait mieux prioriser l’argent public vers la recherche sur des semences qui résistent à la sècheresse plutôt que sur des systèmes d’irrigation plus économes.

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