« Les pieds sur terre, les yeux dans le ciel » : mesurer les rendements par satellite
Qu’il s’agisse de prévoir les quantités de récolte ou d’évaluer les revenus agricoles, il est crucial de mesurer correctement les rendements des cultures. Pourtant, beaucoup de pays en développement peinent à le faire, comme le montre un article qui sera publié prochainement dans l’American Journal of Agricultural Economics[1]. Les auteurs de l’article soulignent à la fois la faiblesse des méthodes de mesure les plus courantes et la qualité des prédictions fournies par les satellites.
Ils s’appuient pour cela sur les conclusions d’une étude menée en 2016 dans l’est de l’Ouganda, dans laquelle les rendements obtenus par des petits producteurs de maïs ont été estimés de quatre façons distinctes. Des enquêteurs ont demandé à environ 500 agriculteurs de déclarer quelle était, selon eux, la productivité de cette culture sur chacune des parcelles cultivées. Par ailleurs, des techniciens ont réalisé des coupes-échantillons, réparties de manière aléatoire, au sein de chacune des 460 parcelles sélectionnées. Ils ont également déterminé, de manière exhaustive, les rendements de plus de 200 parcelles entières. Enfin, la productivité du maïs a été calculée à partir des indices de végétation dérivés des images prises par un satellite Sentinel-2A du programme européen Copernicus. La capacité de résolution de ce type de satellite est de 10 mètres dans le spectre de lumière observable et le proche infrarouge.
L’étude examine d’abord les résultats des mesures au sol. Les rendements moyens du maïs ne sont pas significativement différents selon qu’on les évalue sur la base de coupes-échantillons ou de parcelles entières. En revanche, les agriculteurs tendent à surestimer considérablement la productivité de leur culture, car le rendement moyen qu’ils déclarent (1,83 t/ha) est 2,7 fois plus élevé que celui, déterminé objectivement, des parcelles entières (0,68 t/ha). Cela est d’autant plus préoccupant que la méthode déclarative est très employée dans beaucoup de pays à faible revenu.
La corrélation entre les rendements des coupe-échantillons et ceux des parcelles entières est de 50 %. Elle est limitée par la grande hétérogénéité des rendements intra-parcellaires, car la taille des « sous-parcelles » dans lesquelles sont effectuées les coupes-échantillons (un carré de 8 m de côté) ne représente que 4 % de la surface moyenne des parcelles. Mais on note surtout qu’il n’y a quasiment pas de corrélation entre les rendements estimés par les agriculteurs et ceux des sous-parcelles, ce qui confirme les carences de l’approche déclarative.
Les chercheurs comparent ensuite les mesures de rendement au sol avec les rendements prédits à partir des images satellitaires. Ceux-ci sont calculés d’après une équation linéaire reliant, pour chaque parcelle, les indices de végétation fournis par Sentinel-2A le 30 mai et le 19 juin 2016 et les rendements des parcelles entières ou des coupes-échantillons. Les constats sont encourageants. D’une part, les rendements évalués par satellite expliquent aussi bien, voire mieux, la variabilité des rendements des parcelles entières. D’autre part, le modèle prédictif satellitaire calibré sur les rendements des coupe-échantillons permet d’estimer les rendements des parcelles entières presque aussi bien que le modèle satellitaire calibré sur les rendements des parcelles entières. D’un point de vue pratique, cette conclusion est très importante car les coupes-échantillons sont beaucoup moins coûteuses à réaliser que la détermination des rendements des parcelles entières.
L’étude montre ainsi clairement l’utilité des satellites pour la mesure des rendements, y compris lorsque les cultures sont pratiquées sur de toutes petites parcelles, comme c’est le cas dans l’est de l’Ouganda. Il y a cependant des obstacles. En deçà de 0,10 hectare, chiffre qui correspond à la surface médiane des parcelles de maïs dans cette région, la qualité des observations satellitaires diminue sensiblement. Elle est également moins bonne lorsque les agriculteurs produisent simultanément plusieurs cultures dans le même champ, ce qui complique l’interprétation des images. Dans l’exemple considéré, trois quarts des parcelles de maïs sont cultivées en association avec du manioc, des haricots ou de l’arachide. Chacune de ces plantes, selon l’étendue de son feuillage et sa hauteur, « brouille » plus ou moins l’indice de végétation du maïs. Les progrès de la télédétection devraient permettre de lever ces obstacles.
Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives aux acteurs des filières agroalimentaires, comme aux Etats. Ainsi, selon la contribution d’Airbus au livre blanc sur l’assurance agricole récemment publié par la CICA (Confédération internationale de crédit agricole) en collaboration avec FARM[2], l’information géospatiale, conjuguée aux technologies numériques et aux big data, est en passe de révolutionner l’ensemble de la chaîne de valeur de l’assurance agricole. L’enjeu est qu’elle puisse être mise, à un coût abordable, au service des petits agriculteurs dans les pays du Sud.
[1] David B. Lobell, George Azzari, Marshall Burke, Sydney Gourlay, Zhenong Jin, Talip Kilic et Siobhan Murray, « Eyes in the Sky, Boots on the Ground: Assessing Satellite- and Ground-Based Approaches to Crop Yield Measurement and Analysis », American Journal of Agricultural Economics, aaz051, article mis en ligne le 26 octobre 2019.
[2] « Une contribution aux Objectifs de développement durable. Pour une agriculture plus résiliente et mieux protégée face aux aléas climatiques. Livre blanc sur l’assurance agricole », document téléchargeable sur www.cica.ws/conferences