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L’agriculture, cause majeure de la déforestation en Afrique

Publié le 23 juin 2020
par Jean-Christophe Debar, directeur de FARM
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Le nouveau rapport des Nations unies sur l’état des forêts dans le monde, publié à l’occasion de la Journée internationale de la diversité biologique, le 22 mai dernier, décrit une situation alarmante[1]. Depuis 1990, la planète a perdu 178 millions d’hectares de forêts (420 millions d’hectares déboisés, partiellement compensés par les boisements et reboisements). Même si, globalement, la déforestation a ralenti au cours du temps, elle contribue toujours à l’érosion de la biodiversité et au changement climatique et, comme l’a révélé la pandémie de Covid-19, favorise l’émergence de maladies d’origine animale, transmissibles à l’homme[2]. Le cas de l’Afrique est particulièrement inquiétant : sur la période 2010-2020, elle a vu disparaître chaque année, en moyenne, une superficie nette de 3,94 millions d’hectares de forêts, un chiffre en hausse par rapport aux décennies précédentes et très supérieur à celui de l’Amérique du Sud (2,60 millions d’hectares). Le cas de l’Amazonie est dramatique, mais il occulte trop souvent, dans l’actualité, la catastrophe écologique en cours sur le continent africain.

Des études détaillées, fondées sur des données satellitaires, mettent en évidence la responsabilité majeure de l’agriculture dans la déforestation en Afrique. Selon un atlas réalisé par le CILSS (Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel) avec l’appui de l’USAID (Agence des Etats-Unis pour le développement international)[3], le doublement des surfaces cultivées en Afrique de l’Ouest, entre 1975 et 2013 (environ + 60 millions hectares), s’est fait non seulement au détriment des forêts et mangroves (- 15 millions d’hectares) mais aussi et surtout des savanes (- 48 millions d’hectares). Les surfaces couvertes par les habitations ont plus que doublé, mais leur augmentation (+ 2 millions d’hectares) ne compte que pour une part mineure dans le déclin des forêts (tableau).

Une autre étude, effectuée par des chercheurs de l’université du Maryland, aux Etats-Unis, jette une lumière crue sur la situation dans le bassin du Congo, qui abrite le deuxième massif forestier mondial, derrière l’Amazonie[4]. Ce bassin se répartit dans six pays : Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République du Congo, République démocratique du Congo. En l’espace de quinze ans (2000-2014), il a perdu 16,5 millions d’hectares de forêts, soit une superficie plus grande que celle du Bangladesh. Ce recul est imputable à 84 % aux petits paysans qui prélèvent du bois à des fins énergétiques et, surtout, défrichent de petites parcelles à la machette pour produire de quoi se nourrir, épuisent ainsi les sols puis poursuivent leurs cultures itinérantes : des pratiques dont les causes profondes sont la croissance démographique et l’extrême pauvreté, sur fond de tensions ethniques et de conflits armés. Un autre facteur de la déforestation réside dans les coupes de bois illégales, rendues possibles par la corruption massive des gouvernements[5]. Les défrichements mécaniques réalisés par l’agro-industrie pour créer des plantations et des pâtures pour le bétail ne sont responsables, sur la période étudiée, que de 1 % de la perte de forêts, mais ils s’accélèrent. Au total, si les tendances actuelles ne sont pas fortement infléchies, le bassin du Congo, où la population devrait quintupler d’ici à 2100, pourrait être complètement déboisé à la fin du siècle.

Face au désastre annoncé, il n’y a pas de recette miracle. Les solutions ne pourront venir que des actions conjuguées des pouvoirs publics et des acteurs des filières, consommateurs compris. L’étude prospective récemment réalisée par l’INRAe, à la demande de Pluriagri, alerte sur les tensions foncières prévisibles en Afrique subsaharienne d’ici à 2050, malgré les surfaces cultivables disponibles, et sur les risques environnementaux qui en découlent, même dans l’hypothèse d’une hausse substantielle des rendements des cultures, dont les conditions ne sont pas aujourd’hui réunies[6]. Dans ce contexte, l’Union européenne a un rôle particulier à jouer : elle doit tout à la fois promouvoir une réduction de la « déforestation importée », via par exemple la demande de cacao ; contribuer à alléger le besoin d’expansion des surfaces cultivées dans les autres régions importatrices, en se positionnant comme un fournisseur fiable de denrées ; enfin, soutenir, en Afrique, le développement de chaînes de valeur efficaces et durables, intégrant les petits producteurs qui forment la grande majorité de la population agricole. S’il revient d’abord aux Africains de choisir leur avenir, les enjeux sont tels qu’ils requièrent l’implication de l’ensemble de la communauté internationale.

 

 

[1] FAO and UNEP, 2020. The State of the World’s Forests 2020. Forests, biodiversity and people.

[2] Selon la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), « la science met en évidence de façon croissante des corrélations entre changements environnementaux globaux, perte de biodiversité et des services de régulation associés et émergence, ou augmentation, de la prévalence de maladies infectieuses (…). Le risque zoonotique peut être accru par l’érosion de la biodiversité via des facteurs écologiques, épidémiologiques, adaptatifs et évolutifs et anthropiques. Il existe ainsi un fort consensus en faveur d’un lien entre déforestation, dans ses différentes dimensions, et multiplication des zoonoses, en Asie, Afrique et Amérique du Sud » (source : « Mobilisation de la FRB par les pouvoirs publics français sur les liens entre Covid-19 et biodiversité », 15 mai 2020).

[3] CILSS (2016). Les paysages de l’Afrique de l’Ouest. Une fenêtre sur un monde en pleine évolution.

[4] Tyukavina, A. et al. (2018). « Congo Basin forest loss dominated by increasing smallholder clearing », Sci. Adv. 4, eaat2993.

[5] « La RDC, deuxième front de la déforestation mondiale », Le Monde, 27 avril 2019.

[6] Voir l’article du blog de FARM « Prospective 2050 : forte pression sur les terres en Afrique », 24 février 2020, https://fondation-farm.org/prospective-2050-forte-pression-sur-les-terres-en-afrique/

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