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Investissements agricoles : comment transformer les pratiques pour un impact positif ?

Publié le 4 juin 2025
par Fondation FARM
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Les investissements agricoles sont des moteurs essentiels de transformation des pratiques agricoles. Les entreprises des filières agricoles sont, de ce fait, de plus en plus sollicitées pour démontrer leur impact positif sur l’environnement, la société, la santé et les conditions de vie des producteurs. À l’occasion de la conférence internationale de la Fondation FARM, des entreprises engagées, de l’amont à l’aval, évoquent les outils et indicateurs qu’elles utilisent pour mesurer leur impact et la manière dont elles valorisent ces démarches.


Mesure d’impact et innovations techniques

 

Hamza Addam, responsable de l’innovation chez OCP Nutricrops, filiale du groupe OCP (Office chérifien des phosphates) et leader mondial sur le marché des engrais phosphatés, a rappelé que l’entreprise marocaine visait la neutralité carbone à l’horizon 2040 et la réduction de son impact environnemental. Selon lui, face aux défis du changement climatique, de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et de la viabilité économique et productive des exploitations agricoles, OCP Nutricrops doit accompagner les producteurs dans une transition nécessaire, profitable aux écosystèmes et à l’ensemble de la chaîne de valeur. Le groupe a engagé des actions clés et des ressources conséquentes : un plan d’investissement vert pour décarboner les opérations et utiliser des sources d’eau renouvelables, une cartographie des sols pour adapter les fertilisants aux pratiques agricoles ainsi qu’à l’état des sols, et un soutien à l’agriculture régénératrice au Maroc en participant notamment à l’objectif fixé par le gouvernement d’atteindre un million d’hectares sans labour. Le groupe se positionne comme un acteur majeur en matière d’engrais « personnalisés » (adaptés aux caractéristiques des sols) et de leur usage durable. Il mesure l’impact économique et social de ses investissements sur les émissions de carbone et l’empreinte environnementale, sur l’emploi, le développement économique local et l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs.

 

Dans le même domaine de la santé des sols et des émissions/stockage du carbone, Boris Naguet, Directeur des opérations du programme Tourba Afrique et Brésil de InnovX, rappelle le positionnement de développeur de projets en crédit carbone de l’entreprise et explique le modèle économique de Tourba. « Nous formons des agriculteurs sur le terrain à appliquer tout un ensemble de pratiques d’agriculture régénératrice. En augmentant la teneur en matière organique dans les sols, la productivité et le rendement des agriculteurs sont améliorés. Cela permet de protéger les sols et donc de lutter contre la sécheresse en gardant l’eau dans la terre. Et le dernier impact, c’est que cela séquestre du carbone dans les sols, et c’est sur cet indicateur que l’on va jouer ». Les pratiques des agriculteurs (couverture végétale, rotation des cultures, etc.) sont ensuite valorisées financièrement. Ce ne sont plus simplement les investissements qui changent les pratiques, mais aussi l’inverse : les bonnes pratiques sont rémunérées, ce qui permet aux agriculteurs d’investir ou de dégager de nouveaux revenus. Tourba travaille en parallèle avec des certificateurs internationaux (Vera, Gold Standard) pour vérifier que les pratiques séquestrent bien du carbone dans les sols et pour émettre  des crédits carbone.

« Dans un dernier temps, nous vendons les crédits carbone à des entreprises qui veulent compenser leurs émissions en investissant dans des projets comme le nôtre, et nous rémunérons les fermiers qui ont participé à notre programme (jusqu’à 65 % du revenu généré par les crédits) », indique le représentant de Tourba.

 

Tourba a une stratégie d’expansion de 100 millions d’hectares d’ici à 2030. Pour y parvenir, Boris Naguet souligne que le digital est un outil indispensable. « On a des outils qu’on appelle MRV : M pour Mesure, puisqu’on est capable de mesurer précisément la séquestration en carbone dans les sols via du machine learning et de l’analyse d’image satellite, R pour Report car l’on partage avec les certificateurs un niveau de détail et de précision très élevé sur les fermiers qui participent au programme. Et enfin, V pour vérification : il faut qu’on soit capable de suivre ces agriculteurs dans le temps pour s’assurer que les crédits carbone que l’on émet sont bien la conséquence des pratiques que l’on pousse, pour ne pas qu’on puisse s’attribuer une séquestration en carbone dans les sols qui serait naturelle ou indépendante de notre activité. Vu que l’on travaille au Brésil, en Éthiopie, au Nigeria et au Maroc, on parle de dizaines, de centaines, de milliers de fermiers, donc sans le digital, ça serait impossible… ». A noter que le sujet des MRV a par ailleurs été traité par la Fondation FARM avec son partenaire l’Initiative internationale « 4p1000 » lors d’un séminaire (https://fondation-farm.org/outils-mrv-impact-transition-agroecologique).

 

Certifier et labelliser pour accélérer la transition

 

Les MRV et les crédits carbone sont un moyen de certifier l’engagement et l’impact des agriculteurs et des entreprises des filières. D’autres outils de certification complémentaire existent. Blaise Desbordes, Directeur général de Max Havelaar France, est revenu sur la méthode et l’impact du label de commerce équitable lancé en 1988, qui distribue une prime de développement social (10 % du prix d’achat) à plus de 2 millions de producteurs et travailleurs. « Nous avons cette chance d’avoir quatre décennies d’âge et d’être très reconnus comme faisant de l’impact. Nous avons une organisation mondiale, 140 pays, divisée en deux groupes d’acteurs. Tout d’abord, les producteurs agricoles dans une trentaine de filières – café, banane, cacao, etc. – qui souffrent des conditions de commercialisation. C’est la pierre fondatrice de cette ONG. Et l’autre groupe d’acteurs, dans les pays de débouchés, qui sont les transformateurs ou acheteurs jusqu’aux consommateurs qui communiquent sur cet impact. Ils s’engagent sur cette cause : améliorer les conditions de commerce au bénéfice des producteurs défavorisés ».

 

Pour tenir sa promesse d’équitabilité et être crédible, Max Havelaar a répondu aux conditions ISO 17065, norme de certification, avec la volonté d’être un tiers de confiance. Max Havelaar articule la mesure d’impact avec sa théorie du changement en faveur des producteurs défavorisés, en améliorant leur quotidien et leur modèle économique, avec des indicateurs qui « sont avant tout des mesures, des indicateurs descriptifs, pas spécifiquement ce que la recherche appelle une mesure d’impact ».

 

La mesure d’impact fonctionne en deux temps : d’une part, avec des indicateurs de pilotage, de description. « C’est le cœur de notre développement, puisque c’est une obligation de moyen. Plus de gens sont impliqués, plus la cause des filières équitables gagne », d’autre part, avec des études d’impact ex post qui viennent constater si cette promesse est tenue. « Et là, les résultats sont, je crois, comme pour toutes les grandes ONG, contrastés. Il y a des choses qui marchent très bien, il y a des choses qui marchent moins bien et qui sont des leviers d’amélioration », conclut Blaise Desbordes.

 

Partenaire de Max Havelaar, la Compagnie Fruitière, spécialisée dans la production, le transport et la distribution de 900 000 tonnes de fruits et légumes, dont 750 000 tonnes de bananes, certifie, depuis 20 ans, une partie de sa production de fruits. Interrogé sur les outils et la mesure d’impact dans le modèle verticalement intégré de la Compagnie Fruitière, Jérôme Fabre, son Président exécutif, insiste sur un travail à la fois sur l’impact environnemental et l’impact sociétal de son groupe, permis et piloté par l’utilisation de cahiers des charges de certifications et des engagements internes.

 

Sur l’impact environnemental, « au-delà des certifications, qui évidemment nous donnent des indicateurs et des obligations, nous-mêmes avons mis en place un certain nombre d’engagements comme la baisse d’utilisation de produits phytosanitaires, la réduction d’eau, des émissions de CO (SBTI). À partir de ces objectifs, on va se donner une trajectoire, avec un plan de CAPEX, et ce plan d’investissement doit toucher à peu près toutes les dimensions de l’entreprise, que ce soit évidemment la production, mais aussi les autres métiers de la logistique et de la distribution », explique Jérôme Fabre. Un exemple concret est le développement du logiciel SIPA, conçu en interne pour monitorer les pratiques agricoles, mesurer les utilisations de matières actives tout en maintenant la performance agricole. Grâce à cet outil, l’entreprise peut mesurer les effets de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires. L’entreprise utilise également des drones pour des traitements plus précis et pour collecter des données sur les plantations.

 

Sur le plan sociétal, la Compagnie Fruitière collabore avec des partenaires du commerce équitable et le CIRAD pour fixer des indicateurs et dialoguer avec les parties prenantes. L’objectif est de réduire l’exode rural et d’améliorer les conditions de vie des collaborateurs. L’entreprise utilise la méthode NEIGHBOR pour remonter les informations depuis la base et élaborer des plans d’investissement visant à rendre l’environnement et l’économie plus durables. Jérôme Fabre souligne l’importance du dialogue avec les parties prenantes et les collaborateurs pour intégrer la durabilité dans l’ensemble des activités de l’entreprise, renforçant ainsi la résilience et l’engagement des employés.

 

Élargir la mesure d’impacts : implication des acteurs et défis opérationnels

 

Interrogée à son tour, Adeline Lescanne, Directrice générale de Nutriset, entreprise normande qui commercialise des solutions nutritionnelles pour lutter contre la malnutrition aiguë sévère, a détaillé la boussole des impacts de l’entreprise. Avant cela, elle a précisé que pour les entreprises, la compréhension de l’impact a beaucoup évolué. Pour Nutriset, l’indicateur clé était le nombre d’enfants touchés et l’amélioration de leur situation alimentaire. Cet indicateur clé a été jugé insuffisant pour rendre compte de la diversité des impacts de Nutriset, notamment sur les économies locales puisque l’entreprise a créé un réseau de 12 transformateurs locaux de leur solution dans les pays du Sud. Elle envisage d’ailleurs d’y localiser 50 % des approvisionnements en matières premières d’ici 2030, malgré les contraintes géopolitiques et sécuritaires qui se posent. L’entreprise normande a donc mis en place un système rigoureux de suivi et d’évaluation en collaboration avec des partenaires de terrain et des institutions de recherche. La « boussole des impacts » a plusieurs axes : nutritionnel, financier (car il faut générer des revenus pour investir), socio-économique, mais aussi institutionnel (quel est l’impact sur les politiques publiques de lutte contre la malnutrition qui ne sont pas uniquement des politiques de santé), changement climatique (car c’est, selon la dirigeante, l’une des premières causes de malnutrition), et enfin un axe sur l’entreprise apprenante pour attirer de nouveaux talents. Autant d’axes qui orientent la recherche vers la logistique, le packaging, la nutrition, le goût mais aussi l’adaptation aux conditions climatiques des pays.

 

Anaïs Riffiod, Directrice d’Apexagri, cabinet de conseil international expert dans le développement de filières agricoles, est revenue sur les exigences qui pèsent sur les entreprises et les producteurs en matière de reporting et plaide pour une approche pragmatique face aux défis opérationnels de mise en œuvre. Ces derniers ont des conséquences sur l’accès aux financements. L’experte regrette ainsi la multiplication des normes qui complexifient l’accès aux financements pour les petits producteurs.

 

Elle a proposé trois idées pour améliorer les pratiques de mesure d’impacts dans les entreprises qui s’approvisionnent en matières premières issues du vivant (agroalimentaire, cosmétique, luxe, etc.) :

  1. Mieux comprendre les filières d’approvisionnement, pas seulement sur le plan technique et agronomique, mais aussi socio-économique ; remplacer les approches descendantes (fixation d’objectifs ambitieux sans connaissance approfondie des terrains) par des approches ascendantes, basées sur une compréhension fine des producteurs et des écosystèmes, et enfin cartographier les filières pour évaluer leur maturité et agir de manière plus efficace et adaptée.
  2. Prioriser des actions qualitatives en se concentrant tout d’abord sur des échantillons restreints dans des bassins de production spécifiques, pour mieux comprendre les dynamiques locales et établir des cadres d’évaluation pertinents avant de passer à l’échelle.
  3. Simplifier et harmoniser les indicateurs qui sont aujourd’hui trop nombreux et complexes, et favoriser un langage commun.

 

Eviter le « Far west environnemental » et renforcer le dialogue

 

Blaise Desbordes (Max Havelaar France) alerte sur le risque d’une « bureaucratisation » excessive liée à la multiplication des exigences de reporting, en particulier dans le contexte des nouvelles réglementations européennes sur la durabilité et la responsabilité sociale des entreprises. Il souligne que, si la mesure d’impact devient une charge administrative supplémentaire, elle risque de détourner les producteurs de leur mission première et d’alourdir le fonctionnement des filières, notamment au détriment des plus petits acteurs. « Il serait paradoxal que la mesure d’impact soit un fardeau pour les producteurs, elle doit être une matrice qui rend possible la transition écologique et aide à rendre le commerce des produits crédible », précise-t-il.

 

 

Ce constat fait écho aux débats européens actuels sur la simplification règlementaire. La volonté de réduire la complexité administrative ne doit pas se traduire par une dérégulation au détriment des ambitions sociales et environnementales. Le directeur du label de commerce équitable insiste sur la nécessité de trouver un équilibre entre obligation de moyens (prix équitables ou contractualisation pluriannuelle) et résultats quantifiables (mesures d’impact ex post). Il considère que la mise en place de conditions économiques favorables à la transition (prime de développement et prix rémunérateur) constitue déjà un impact en soi, car elle permet aux producteurs de sortir de la trappe à pauvreté et d’investir dans leur outil de production ou dans des projets sociaux adaptés à leur contexte local.

 

Les intervenants convergent sur l’importance d’une gouvernance plus collaborative et territorialisée où la valeur et les risques sont mieux partagés entre tous les acteurs de la chaîne. Blaise Desbordes rappelle que la coopération doit aboutir à des règles communes et à un « terrain de jeu » équitable, sous peine de créer un « Far West social et environnemental ». Il met en garde contre une coopération qui se limiterait à un dialogue sans contrainte, plaidant pour l’intervention des États afin de garantir des règles du jeu stables et ambitieuses. Enfin, les intervenants insistent sur la nécessité de donner de la visibilité et de la sécurité aux producteurs, notamment à travers la contractualisation pluriannuelle et la reconnaissance effective des coûts de la transition dans la formation des prix. Le dialogue, la transparence et la confiance sont ainsi identifiés comme des leviers essentiels pour une gouvernance efficace et une transition agricole inclusive et soutenable.

 

Jérôme Fabre a, pour sa part, insisté sur la nécessité d’un dialogue renforcé entre financeurs, acheteurs et producteurs. Selon lui, la réussite de la transition agricole passe par la co-construction de solutions adaptées, intégrant les contraintes de terrain et les attentes des différents acteurs. Il a souligné que les marges agricoles, particulièrement dans les filières de commodités (banane, cacao, café), sont souvent insuffisantes pour absorber les surcoûts liés à la transition écologique et sociale.

 

 

Le dirigeant de la Compagnie Fruitière a mis en avant le besoin de mécanismes de financement à long terme, adaptés au rythme des investissements agricoles, qui sont structurellement adossés à des activités à cycles longs. Aujourd’hui, la plupart des prêts agricoles sont de courte ou moyenne durée, ce qui limite la capacité d’investissement des exploitations et ne correspond pas à la temporalité des changements de pratiques. Il appelle donc à une évolution des offres financières, notamment par la création de prêts de restructuration à long terme garantis par des dispositifs publics, afin de soutenir la résilience et la durabilité des exploitations. Il précise : « Les acteurs du financement vont devoir inventer de nouvelles solutions où la résilience et l’impact sont synonymes de valeur et de patrimoine, de diminution du risque, permettant un accès privilégié à des financements ».

Perspectives et recommandations

Les intervenants convergent vers trois priorités :

  1. Simplifier les indicateurs et multiplier les expérimentations : privilégier des critères universels (santé des sols, réduction des intrants, etc.) tout en adaptant les outils et indicateurs aux contextes locaux.
  2. Valoriser les externalités positives : intégrer le coût réel des pratiques durables dans les modèles économiques (crédits carbone, prime de développement, etc.) pour que les transformations ne soient pas seulement bénéfiques pour l’environnement mais aussi pour la rentabilité économique des exploitations.
  3. Former et permettre l’empowerment des parties prenantes, en particulier les producteurs : renforcer les capacités techniques des producteurs via des démonstrateurs de terrain ou des plateformes digitales

 

Pour retrouver le replay de la conférence internationale et des tables rondes, cliquez ici.

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