En Afrique, un chemin étroit pour le financement des politiques agricoles

Publié le 17 mai 2021
par Jean-Christophe Debar, FARM
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La grande majorité des pays d’Afrique subsaharienne peinent à respecter l’engagement contracté à Malabo en 2014, de consacrer au moins 10 % de leur budget à l’agriculture. La crise économique et l’augmentation de l’endettement dues à la Covid-19 rendent encore plus difficile le soutien au secteur agricole, alors qu’il est au cœur des énormes défis que la sous-région doit relever en matière de sécurité alimentaire, de lutte contre la déforestation et d’adaptation au changement climatique.

Si la sortie de la pandémie et la reprise économique sont à l’ordre du jour en Europe et aux États-Unis, la situation est bien différente sur le continent africain. Selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international[1], après une récession qui a fait plonger le produit intérieur brut (PIB) de 1,9 % en 2020, l’Afrique subsaharienne devrait connaître la plus faible croissance au monde en 2021 (+ 3,4 %). Compte tenu de l’expansion démographique, il est probable que le PIB par tête ne retrouvera pas son niveau pré-pandémie avant 2022, voire 2025 selon les pays. Et les perspectives de l’activité économique restent très incertaines, en raison notamment de la lenteur de la vaccination.

Or la sous-région a déjà bien du mal à financer ses politiques publiques. Il est certes commode de souligner la hausse de la dette publique, projetée cette année à 56 % du PIB contre 51 % en 2019 et 34 % sur la période 2010-17. Son poids reste cependant très inférieur à celui anticipé dans les pays à haut revenu : 93 % du PIB dans l’Union européenne, 133 % aux États-Unis. En réalité, le problème tient d’abord aux faibles recettes fiscales des États africains et à leur difficulté à mobiliser l’épargne domestique et étrangère, en raison du manque de confiance des investisseurs[2].

« Avec des ressources limitéesles réformes doivent privilégier celles qui renforcent la résilience aux futurs chocs et mettre l’accent sur les secteurs qui offrent les meilleurs retours pour la croissance et l’emploi », recommande le FMI. La priorité est bien sûr d’assurer la sécurité sanitaire : pour vacciner 60 % de la population, il faudrait accroître les dépenses de santé de 50 %. En outre, nul ne conteste le besoin de renforcer la protection sociale, dont la crise sanitaire a mis en lumière les lacunes. Ni l’éducation, trop délaissée, ni les infrastructures – énergie, eau, voies de communication… -, cruellement insuffisantes. Mais on peut s’interroger sur l’importance réellement accordée par les décideurs politiques au secteur agricole, et plus largement aux filières agroalimentaires, qui emploient pourtant la moitié des actifs et conditionnent la sécurité nutritionnelle, mise à rude épreuve par les conflits et le changement climatique, et qui s’est dégradée avec l’aggravation de la pauvreté due à la pandémie[3].

De fait, l’Afrique subsaharienne consacre à l’agriculture à peine plus de 3 % en moyenne de ses dépenses publiques, soit trois fois moins que prévu dans la Déclaration de Malabo. Pire, ce taux s’est effondré depuis le début des années 1980 (graphique). Seule une poignée de pays atteint ou dépasse aujourd’hui l’objectif de 10 %.

Dans ce contexte de raréfaction des ressources budgétaires, la question se pose de dépenser « mieux ». C’est du moins ce que préconisent la FAO et le FMI : que les gouvernements africains passent au peigne fin leurs politiques agricoles pour réduire les aides les moins efficaces, comme les subventions aux intrants, et accroître les soutiens qui ont le meilleur retour sur investissement, en particulier l’aide à la recherche et à la vulgarisation, trop négligées[4]. Cette logique est compréhensible, mais son impact social reste à évaluer, eu égard à la faible capacité d’investissement des petits paysans africains, qui explique en partie leur médiocre niveau de productivité et le taux élevé de pauvreté rurale. Sans compter qu’une réduction des aides à la production, octroyées sous la forme de subventions aux intrants, risque de creuser encore l’écart entre les agriculteurs africains et leurs homologues européens et nord-américains, mais aussi chinois et indiens, fortement soutenus par l’État. Cela ne prêterait pas à conséquence si les uns et les autres n’opéraient sur un marché de plus en plus mondialisé.

 


 

[1]International Monetary Fund, Regional economic outlook. Sub-Saharan Africa: navigating a long pandemic, April 2021.

[2] Viviane Forson, « ‘A New Road’ pour penser autrement la dette de l’Afrique », Le Point, 9 mai 2021.

[3]Selon une étude récente de chercheurs de l’IFPRI, la pandémie de Covid-19 aurait entraîné en Afrique subsaharienne, en 2020, une baisse de 5,8 % du PIB et une hausse de 50 millions du nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (moins de 1,90 dollar par jour, en parité de pouvoir d’achat). Voir D. Laborde et al., « Impacts of COVID-19 on global poverty, food security, and diets: Insights from global model scenario analysis », Agricultural Economics / Early View, 8 avril 2021.

[4]Opinion exprimée lors du webinaire organisé par la FAO le 7 mai, « Public purse under pressure : current challenges and the future of government spending on food and agriculture in sub-Saharan Africa ».

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