Discipliner les aides au coton, un mirage ?

Publié le 6 mars 2019
par Jean-Christophe Debar, directeur de FARM
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Depuis une quinzaine d’années, le soutien aux producteurs de coton fait l’objet d’un traitement spécifique dans le cycle de négociations de Doha à l’Organisation mondiale du commerce. En 2003, en effet, le groupe « C4 », qui regroupe quatre pays à faible revenu d’Afrique de l’Ouest gros exportateurs de coton (Bénin, Burkina Faso, Mali, Tchad), a réussi à convaincre la communauté internationale de chercher à discipliner les aides qui créent le plus de distorsions dans ce secteur, pour éviter une concurrence déloyale. Les Etats-Unis, premiers exportateurs de coton, sont particulièrement visés. Mais ils renâclent à se plier aux règles multilatérales.

Depuis une quinzaine d’années, le soutien aux producteurs de coton fait l’objet d’un traitement spécifique dans le cycle de négociations de Doha à l’Organisation mondiale du commerce. En 2003, en effet, le groupe « C4 », qui regroupe quatre pays à faible revenu d’Afrique de l’Ouest gros exportateurs de coton (Bénin, Burkina Faso, Mali, Tchad), a réussi à convaincre la communauté internationale de chercher à discipliner les aides qui créent le plus de distorsions dans ce secteur, pour éviter une concurrence déloyale. Les Etats-Unis, premiers exportateurs de coton, sont particulièrement visés[1]. Mais ils renâclent à se plier aux règles multilatérales.

Souvenons-nous : en 2002, le Brésil a porté plainte à l’OMC contre le soutien octroyé aux producteurs de coton étasuniens, accusé de fausser les échanges et de déprimer le prix mondial de cette culture. Après moult rebondissements, le Brésil a eu gain de cause : le farm bill adopté outre-Atlantique en 2014 a exclu le coton du régime général des aides aux grandes cultures. Plus précisément, cette législation a supprimé les paiements compensateurs, source majeure de distorsion du marché, qui étaient traditionnellement versés aux producteurs de coton en cas de baisse des cours ou du chiffre d’affaires. En contrepartie, le Brésil a accepté de suspendre ses attaques à l’OMC contre les subventions au coton des Etats-Unis, dans le cadre d’un mémorandum d’accord (MOU) signé avec eux en octobre 2014 et applicable jusqu’à la fin du farm bill, le 30 septembre 2018.

Mais la puissance de lobbying des « cotonculteurs » américains est considérable. En 2016, puis en 2018, ils ont convaincu leur gouvernement de débloquer des aides exceptionnelles en leur faveur, en réponse à la dégradation du marché. Surtout, il y a un an, ils ont persuadé le Congrès d’amender le farm bill afin de réintégrer le coton dans le régime de soutien aux grandes cultures, réautorisant ainsi le versement de paiements compensateurs à partir de la récolte 2018. Le nouveau farm bill, promulgué en décembre 2019, a prorogé cette mesure jusqu’en 2023. Le MOU a expiré. Le Brésil va-t-il avaler la couleuvre ou rouvrir les hostilités à l’OMC ?

A la décharge de Washington, force est de reconnaître qu’en matière de subventions au coton, les Etats-Unis ne sont pas les seuls fauteurs de trouble. Loin de là, selon les calculs de l’International Cotton Advisory Committee[2]. D’après l’ICAC, en 2017/18, dix pays – Chine, Etats-Unis, Turquie, Grèce, Espagne, Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Sénégal, Colombie – ont alloué à leurs producteurs de coton un soutien total de 5,9 milliards de dollars[3]. Les subventions américaines ne représentent que 15 % de ce montant. La majeure partie du soutien (72 %) est octroyé par la Chine, sous la forme de paiements directs et de protections à l’importation. Or la Chine fournit 48 % de la production de coton des dix pays étudiés, contre 37 % pour les Etats-Unis, ce qui explique que le soutien accordé aux producteurs chinois, ramené à la tonne, soit 3,7 fois plus élevé que celui versé à leurs homologues étasuniens (727 $/t contre 198 $/t). Notons cependant que selon l’ICAC, la palme, dans ce domaine, revient aux producteurs européens (1 102 $/t en Espagne, 1 014 $/t en Grèce). Les aides de l’Union européenne sont 8 à 12 fois plus importantes que celles versées en Afrique de l’Ouest (88 à 132 $/t selon les pays), essentiellement sous la forme de subventions aux intrants.

Tout ce que les pays du C4 ont réussi à obtenir, dans le cycle de Doha, est la suppression des subventions à l’exportation (concernant tous les produits agricoles, mais applicable plus rapidement au coton), décidée à la conférence ministérielle de l’OMC à Nairobi, en décembre 2015. Aucun progrès substantiel n’a été enregistré en matière de réduction des protections à l’importation et du soutien interne. Peut-être les producteurs de coton africains auront-ils plus de succès à convaincre leurs gouvernements de subventionner – comme le font les Etats-Unis – les primes de contrats d’assurance contre les aléas climatiques. De telles assurances existent déjà dans certains pays d’Afrique. Et les règles de l’OMC offrent beaucoup de latitude en la matière.

 

 

[1] En 2017/18, les Etats-Unis ont fourni 17 % de la production et 39 % des exportations mondiales de coton. Pour l’ensemble des pays africains de la zone franc (C4 + Cameroun, Côte d’Ivoire, Niger, République centrafricaine, Sénégal et Togo), les chiffres correspondants sont de 4 % et 12 %.

[2] International Cotton Advisory Committee, Production and trade subsidies affecting the cotton industry, November 2018.

[3] L’ICAC ne calcule pas le soutien attribué par l’Inde, premier producteur mondial de coton. En novembre 2018, les Etats-Unis ont communiqué aux membres de l’OMC une « contre-notification » indiquant que l’Inde avait dépassé le niveau de soutien autorisé pour le coton. Le gouvernement indien conteste cette analyse.

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