Intensification agroécologique : oxymore ou réconciliation ?

Publié le 2 mars 2023
par La Fondation FARM
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Comment répondre aux défis démographiques, climatiques et géopolitiques à l’horizon 2030 et offrir une alimentation de qualité et abordable économiquement à l’ensemble de la population ? Les participants à la session « Intensifier » de la Conférence internationale de FARM ont tenté de répondre à ces questions, notamment en explorant l’intensification agroécologique comme solution.

Agriculture et environnement : nécessairement en opposition ?

L’agriculture est souvent considérée comme « ennemie » de l’environnement. Le défrichement des forêts et l’extension des terres cultivées altèrent les espaces naturels, compromettant la régulation des effets de serre à travers le stockage du carbone. Quant à la révolution verte, elle a permis une importante intensification en matière de rendements agricoles par l’utilisation de semences améliorées, d’engrais et de produits phytosanitaires, d’irrigation ainsi que par l’introduction de techniques mécanisées. Mais elle a aussi largement contribué à l’érosion et l’appauvrissement des sols, à la diffusion de pollutions dans l’environnement et au déclin de la biodiversité.

De ce fait, une transformation des systèmes agricoles est nécessaire et urgente pour joindre à l’exigence de production celle de conserver, voire de restaurer nos écosystèmes. En outre, si elle en est l’une des principales victimes, l’agriculture représente également un important levier de lutte contre le réchauffement climatique et la dégradation environnementale, tant dans l’atténuation de ses effets négatifs que dans la production d’effets bénéfiques par l’adaptation.

L’agroécologie comme facteur de réconciliation

L’agroécologie « promeut des systèmes de production agricoles valorisant la diversité biologique et les processus naturels ». Elle constitue un ensemble de pratiques agricoles qui maximisent les services et interactions écosystémiques, tout en valorisant les potentialités économiques, sociales et culturelles d’un territoire[1].

Elle repose en outre sur l’usage limité d’intrants externes, travaillant davantage à la valorisation des ressources déjà présentes au sein du système agricole. D’après Nadine Andrieu, chercheure basée aux Antilles et spécialisée en agroécologie  au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’agroécologie consiste à « renforcer la biodiversité dans les systèmes agricoles, […] mieux valoriser les ressources productives, l’eau, le sol, les nutriments via la complémentarité entre espèces». Elle permet aussi d’augmenter la résilience de l’exploitation agricole en se concentrant sur la création de paysages agricoles diversifiés et complexes dans lesquels est privilégié l’établissement de multiples interactions écosystémiques bénéfiques à la production agricole.

 

« Dix fois moins d’intrants dans les pays du Sud que dans ceux du Nord »

Si elle est un ensemble de pratiques mais aussi une discipline scientifique, l’agroécologie est également un mouvement social. En effet, en valorisant des savoirs et pratiques locales tout en promouvant une approche système, la transition vers cette alternative relève d’un processus de résistance politique et culturelle face aux effets négatifs produits par la révolution verte sur la santé de la population, les sols et la biodiversité.

Elle est un outil qui réduit les dépendances des producteurs aux intrants extérieurs engendrées par l’internationalisation des marchés alimentaires. Elle permet en effet de renforcer leur autonomie dans un contexte de coopération et d’ouverture. Les mobilisations politiques autour de l’agroécologie paysanne et de la protection des producteurs sont ainsi particulièrement marquées dans les Suds.

Toutefois, comme le mentionne Bernard Lehmann, Président du groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE), on utilise dans le Sud « dix fois moins d’intrants que dans le Nord ». Dans ces contextes, les exhortations à une transition agroécologique, parfois considérées comme des injonctions des pays du Nord, se heurtent à des incompréhensions. Si elle évite les dégradations environnementales provoquées sur le long terme par les outils de la révolution verte, elle ne permettrait pas d’obtenir les importants et rapides gains de productivité engendrés par ceux-ci.

En outre, le passage à l’agroécologie dans le Nord et dans les pays du Sud qui ont adopté le paquet technologique de la Révolution Verte relèverait davantage d’une transformation de leurs systèmes agricoles et alimentaires. Les logiques de fonctionnement établies doivent y être questionnées et réévaluées. Dans les autres pays du Sud, qui pratiquent des agricultures par défaut moins utilisatrices d’intrants ou de mécanisation, il s’agit de permettre une transition vers l’intensification agroécologique. Mais elle se heurte à un manque d’accompagnement, de politiques publiques cohérentes et de ressources financières.

La co-innovation comme condition de l’intensification en agroécologie

L’intensification agroécologique dans les pays du Sud doit viser l’augmentation des rendements. Nadine Andrieu explique qu’elle ne consiste pas à maintenir des systèmes traditionnels peu productifs, mais à « combiner les connaissances endogènes des producteurs avec des connaissances scientifiques, pour répondre à des défis nouveaux auxquels sont confrontés ces systèmes ». Elle se déploie donc en co-innovation.

En ce sens, elle ne s’exprime pas partout de la même manière et dépend des contraintes et besoins locaux. Intensive en connaissances mais aussi souvent gourmande en main d’œuvre, elle nécessite la disponibilité locale de formations et de travailleurs agricoles[2]. D’où l’importance de mobiliser « tous les acteurs, agriculteurs, chercheurs mais aussi techniciens, conseillers agricoles, etc. », d’après Nadine Andrieu dans la continuité de cette volonté de co-produire les connaissances. Cette co-innovation doit aussi et surtout se traduire sur le terrain par des initiatives concrètes d’investissement dans lesquelles les acteurs du secteur privé, notamment les acteurs financiers, ont un rôle clé.

La mise à l’échelle  

D’après Bernard Lehmann, l’intensification agroécologique se déploie par essence dans une perspective de transformation de systèmes, vers des modèles plus centrés autour de « l’équité dans les filières, avec moins de pouvoir de marché », et où priment les « interactions entre les acteurs ». En cela, il est nécessaire de sortir d’un fonctionnement en silo des politiques publiques[3]. Politiques agricoles et environnementales, mais aussi politiques sectorielles doivent « aller dans le même sens et pouvoir se compléter » d’après Nadine Andrieu.

Accompagner ces transitions dans les pays du Sud doit aussi s’inscrire dans un contexte plus large pour que toutes les conditions nécessaires à son renforcement soient réunies. Kolyang Palebele, Président de la Pan African Farmers Organization (PAFO) et agropasteur au Tchad décrit durant la Conférence de FARM comment les agriculteurs doivent composer avec des déplacements forcés provoqués par des chocs liés au « changement climatique, [à] l’insécurité ». Il mentionne aussi le besoin d’infrastructures pour lutter contre l’enclavement des paysans. Kolyang Palebele rappelle à raison que l’accès aux marchés n’est pas un objectif rival de l’agroécologie, il faut au contraire connecter ces enjeux, pour faciliter l’accès au financement.

D’ailleurs, des systèmes existent pour permettre cet accès au marché et la valorisation des produits auprès des consommateurs. Nadine Andrieu mentionne par exemple des mécanismes comme les Systèmes participatifs de garantie (SPG) qui jouent le rôle « d’incitations de marchés ». Basés sur des réseaux locaux entre agriculteurs et consommateurs collaborant pour certifier la qualité des produits et des processus agricoles, ils permettent également la diffusion d’informations tout en améliorant l’accès aux formations[4]. Les SPGs reprennent les principes de négociations en bottom-up et de coopération collective défendus par l’agroécologie à travers sa prise en compte holistique des systèmes agricoles.

L’intensification agroécologique représente une forme alternative d’intensification. L’agriculture y est garante d’écosystèmes complexes et voit ses relations bénéfiques avec l’environnement maximisées. La valorisation des savoirs locaux, à développer en co-innovation avec les savoirs scientifiques, encourage à la coopération entre acteurs privés et publics, du Nord et du Sud, dans la construction de systèmes agricoles résilients et durables. Elle engage cependant une transformation profonde des systèmes alimentaires partout sur la planète qui ne peut se cantonner aux champs mais concerne toute la filière, de la semence aux consommateurs.

[1] Francis, C., Lieblein, G., Gliessman, S., Breland, T.A., Creamer, N., Harwood, R., et al., 2003. Agroecology: the ecology of food systems. J. Sustain. Agric. 22 (3), 99–118.

[2] Mockshell, Jonathan & Villarino, Ma. Eliza. (2019). Agroecological Intensification: Potential and Limitations to Achieving Food Security and Sustainability.

[3] Quet-Viéville, Alexandra. (2022). « Le salut viendra nécessairement d’une intensification agroécologique ». Grain de Sel. N°82-83.

[4] Sylvaine Lemeilleur et Gilles Allaire. (2016). Standardisation and guarantee systems: what can participatory certification offer?

Un commentaire sur “Intensification agroécologique : oxymore ou réconciliation ?

  1. Bonjour à tous,

    Le problème à ce jour de la promotion de l’agroécologie est de croire qu’elle pourrait convenir à tous les systèmes d’exploitation agricole. Ce qui n’est pas vrai. C’est cette conception qui amène à parler maintenant de l'”intensification agroécologique”, qui est une façon de vouloir conserver les avantages de l’agriculture conventionnelle tout en conservant les avantages liés au respect de l’écosystème. Ce qui est à peine réaliste. Voici ce que je disais en 2016 dans un article que j’ai consacré à l’agroécologie: “La réussite dans la promotion de l’agroécologie partira de la prise en compte de deux déterminants importants : le type d’exploitation à cibler et le rapport de prix entre les produits agroécologiques et les produits agricoles conventionnels. Il semble en effet que les deux principales faiblesses de la promotion de l’agroécologie sont reliées aux approches utilisées jusque là, où l’on pense que tous les modèles de production agricole proposés doivent convenir à tous les systèmes d’exploitation. Il faut de plus en plus se convaincre que ce n’est pas vrai, vu que chaque système d’exploitation est fondé sur des objectifs et des rapports de production spécifiques. A l’analyse, il s’avère nécessaire de donner priorité aux petites exploitations familiales et d’instaurer sur le marché un système de discrimination positive entre les produits agricoles conventionnels et ceux agroécologiques”. L’article est disponible en ligne: “Agroécologie, la solution à l’insécurité alimentaire face au changement climatique en Afrique, http://www.slire.net/download/2336/1er_article_brab_brab_n_sp_cial_projet_niche- ben-174_-_ao_t_2016.pdf

    Merci.

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