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Repenser et dynamiser la fertilité des sols : une urgence pour la souveraineté alimentaire de l'Afrique de l'Ouest

Alors que l’Afrique verra sa population doubler d’ici 2050, un cinquième des terres arables du continent subit une dégradation sévère depuis le milieu du XXème siècle. Une perte de productivité des sols qui percute les objectifs de souveraineté et de sécurité alimentaire du continent. Dans le cadre de son partenariat avec l’Agence française de développement (AFD), la Fondation FARM publie une étude exclusive sur « Les enjeux du renouvellement de la fertilité des sols en Afrique de l’Ouest », basée sur une approche régionale et des études de cas au Sénégal et au Bénin. Ce travail met en évidence l’urgence de passer d’une fertilisation minérale souvent insuffisante à une approche combinant fertilisation organo-minérale et pratiques agroécologiques. Un défi pour une région qui n’est pas ou très peu productrice d’engrais… et subit l’envolée mondiale des prix (x 2,7 entre 2020 et 2022 pour la potasse, x 4,5 pour l’azote). La Fondation FARM met en lumière des solutions porteuses et soulève un enjeu clé pour les pays africains : leur capacité à accéder à des engrais minéraux, dont les réserves mondiales sont finies et qui ont été largement consommés par les pays riches.


Des sols épuisés et peu productifs

En Afrique de l’Ouest, la capacité à répondre aux besoins alimentaires d’une population qui augmente et le développement économique de la région sont menacés par l’épuisement des sols. La dégradation significative de leur fertilité est la conséquence de facteurs interconnectés : la croissance démographique rapide a conduit à une intensification/spécialisation des pratiques agricoles et à une modification des parcours pastoraux traditionnels. Les temps de jachère favorisant des transferts de fertilité bénéfiques entre agriculture et élevage, qui pouvaient durer plusieurs décennies, ont été considérablement réduits. Ce phénomène de dégradation est amplifié par plusieurs facteurs externes : le changement climatique, un accès difficile à la matière organique, les conflits inter-ethniques qui perturbent les pratiques agricoles ainsi que la fragilité naturelle des sols de la région : ils contiennent de 0,5 à 1,5 % de matière organique contre 1,5 à 2,5 % en moyenne en Europe du Nord par exemple. Les conséquences de cette dégradation continue se manifestent par une chaîne de réactions négatives : baisse de la concentration des microorganismes dans le sol, fragilisation de la structure du sol et épuisement progressif des ressources minérales.

Trois paramètres majeurs de la fertilité sont affectés :

1/ fertilité biologique : diminution de l’activité microbienne et de la biodiversité du sol ;

2/ fertilité physique : dégradation de la structure et de la capacité de rétention d’eau ;

3/ fertilité chimique : appauvrissement en éléments nutritifs essentiels pour les cultures.

Innover, former, s’unir

L’étude de la Fondation FARM évoque plusieurs leviers d’action possibles pour restaurer la fertilité des sols associant fertilisation organo-minérale des sols et pratiques agro-écologiques au service d’un renouvellement durable des sols ouest-africains, s’intéressant autant aux grandes productions (riz, cacao, coton) qu’aux petits producteurs qui participent largement à la production alimentaire de la région :

• Diversification des pratiques agricoles : rotations culturales, associations de cultures avec des légumineuses fixatrices d’azote, agroforesterie et allongement des périodes de jachère.

• Valorisation des fertilisants organiques : développement de la production locale de composts, fumures et biofertilisants, en complément des apports minéraux.

• Renforcement du conseil agricole et de la formation : accompagnement technique des producteurs, développement d’un conseil à l’exploitation intégrant toutes les cultures et l’élevage, et formation à la gestion durable des sols.

• Soutien à l’accès aux engrais organiques et minéraux (subventions ciblées, appui au crédit) et promotion de la petite mécanisation adaptée aux exploitations familiales.

Marché des engrais : petits players… prix fort

Les travaux de FARM rappellent que l’utilisation d’engrais (NPK = azote, phosphore, potassium) reste faible : 15 kg/ha de NPK en Afrique de l’Ouest contre 120 kg/ha de NPK en moyenne dans le reste du monde et 25 kg/ha à l’échelle du continent africain. S’ils ne constituent pas la seule solution pour fertiliser des terres, les engrais en sont un pilier essentiel quand peu d’alternatives agroécologiques au phosphore et au potassium sont disponibles. Une évidence pour l’Afrique qui, selon l’ONU, abritera 1/4 de la population d’ici 25 ans.  

« Face à la diminution progressive de la disponibilité en éléments minéraux essentiels, en particulier en potasse et en phosphate, un apport d’engrais minéraux adapté aux sols et aux plantes demeure nécessaire pour éviter l’épuisement des réserves du sol. Cet apport, encore trop faible aujourd’hui, est cependant conditionné à la capacité des producteurs d’accéder physiquement et économiquement à des engrais souvent importés et subventionnés (…) ceci en association avec les pratiques traditionnelles des petits producteurs et d’une agriculture familiale résiliente depuis toujours. »analyseThibaut Soyez, Chargé de projet à la Fondation FARM.

Géants démographiques, les pays d’Afrique de l’Ouest sont aujourd’hui des « nains » sur le marché des engrais marqué par une concentration des fournisseurs et la puissance d’acheteurs très structurés (USA, Chine, Brésil, Inde…). Ils restent fortement dépendants des marchés extérieurs pour leurs approvisionnements et subissent des prix volatils, sensibles aux événements mondiaux et qui ont de fait connu de fortes envolées ces dernières années. L’absence de production locale de potasse, la concentration de la production d’azote et de phosphates, et la dépendance à quelques fournisseurs exposent la région à des risques majeurs pour la sécurité alimentaire et la stabilité des systèmes agricoles.

> Focus sur les fournisseurs d’engrais et l’évolution des prix entre 2020 et 2022

• Phosphate : le Maroc détient 70% des réserves mondiale. Un important gisement a par ailleurs été découvert en Norvège en 2023. Le prix du DAP (produit commercial) a été multiplié par 3,2 entre 2020 et 2022.

• Potasse : Biélorussie, Russie et Canada sont les fournisseurs majeurs au niveau mondial. Le prix du MOP (produit commercial) a été multiplié par 2,7 entre 2020 et 2022. NB : aucune réserve de potasse en Afrique de l’Ouest.

• Azote : on relève plusieurs zones de production sur la sous-région : le Nigéria qui a de grosses réserves de gaz mais l’exporte majoritairement et le Sénégal. 1/3 de l’azote importé en Afrique de l’Ouest provient de la mer Noire sur la dernière décennie. Le prix de l’urée (produit commercial) a été multiplié par 4,5 entre 2020 et 2022. NB : l’Azote est fabriqué à partir de l’énergie et de l’air.

À noter : les pays fournisseurs ne sont pas nécessairement ceux qui élaborent les produits commerciaux.

Alors que peu d’alternatives agroécologiques existent pour l’apport de phosphore et de potassium et face à l’importance croissante du besoin de ces deux engrais, la question d’un renforcement de la place de l’Afrique de l’Ouest sur le marché mondial est naturellement posée par la Fondation FARM. Elle passe par l’investissement dans la production locale d’engrais, notamment en valorisant les réserves régionales de phosphates et en soutenant l’investissement dans les unités de transformation. Accroître le commerce intrarégional et continental d’engrais et encourager des politiques de coopération entre pays pour mutualiser les ressources et optimiser la distribution pourrait aussi permettre de réduire la dépendance et les impacts des chocs géopolitiques. Le Maroc et sa politique partenariale engagée avec plusieurs acteurs d’Afrique de l’Ouest joue déjà un rôle significatif en ce sens.

Les engrais minéraux – azote, phosphore, potasse – sont au cœur de la productivité agricole mondiale. Ils ont permis aux pays du Nord d’atteindre l’abondance alimentaire, mais au prix d’une consommation massive de ressources qui, comme le phosphore ou la potasse, sont limitées et non renouvelables. À l’heure où la population mondiale croît, où la sécurité alimentaire du Sud devient un enjeu planétaire, faut-il penser les inégalités d’accès aux engrais à la façon d’une dette du Nord vis-à-vis du Sud comme la dette « carbone » ?

Les travaux de la Fondation FARM sur les enjeux du renouvellement de la fertilité des sols en Afrique de l’Ouest seront disponibles le 24 juin via 3 publications détaillées sur le site de la Fondation : https://fondation-farm.org/publications/

Contacts presse : L’Agence de Marie-Laure  

Marie-Laure Hustache : 06 69 25 04 42 – lagencedemarielaure@gmail.com
Vincent Manesse : 06 87 76 76 74 – vince.manesse@gmail.com

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