L’Afrique du Nord face aux mutations du commerce mondial : quelles stratégies d’exportation agricole ?
La récente montée des tensions commerciales sur les marchés mondiaux, illustrée par le renforcement des barrières tarifaires aux États-Unis, rappelle les enjeux complexes d’une mondialisation en pleine recomposition. Dans ce contexte inédit, la Fondation FARM poursuit ses analyses régionales du commerce extérieur agricole africain avec un focus sur l’Afrique du Nord et ses échanges avec le reste du monde. Un second volet compètera ces analyses sur les relations commerciales avec les États-Unis et la Chine
85 % des exportations agricoles sont alimentaires
Entre 2012 et 2023, les exportations agricoles des pays d’Afrique du Nord vers le reste du monde (hors Afrique) ont plus que doublé en valeur (+140 %), passant de près de 7 milliards USD à plus de 16 milliards USD.
Lorsqu’on observe la structure des exportations agricoles de l’Afrique du Nord vers le monde (hors Afrique), on constate qu’elles sont largement dominées par les produits alimentaires. En 2012 comme en 2023, la situation est restée comparable : plus de 85 % des produits agricoles exportés par le Maroc, l’Égypte, la Tunisie ou l’Algérie sont des denrées comestibles (fruits, légumes, huile d’olive, etc.).
Graphique 1
Produits transformés : une lente montée en gamme
Si l’Afrique du Nord exporte majoritairement des produits alimentaires, qu’en est-il du niveau de transformation de ces produits ? Distinguons ici les produits primaires (bruts ou peu travaillés, comme les fruits frais, les céréales non transformées, les produits agricoles bruts) et les produits transformés (à plus forte valeur ajoutée, comme les conserves, huiles, préparations alimentaires, etc.). Sur ce plan, la décennie 2012–2023 montre quelques progrès encourageants, bien que la prédominance du primaire demeure.
- L’Égypte en tête, mais un défi de transformation encore présent
L’Égypte se distingue nettement comme le premier exportateur agricole nord-africain (près de 51 % en 2023), avec une croissance spectaculaire de ses exportations agricoles vers le monde hors Afrique (+170 %) en une décennie. En 2012, ces exportations atteignaient 3,05 milliards USD composées majoritairement de produits primaires (59 %). En 2023, cette répartition est resté relativement stable, les produits transformés représentant alors 46 %. La valeur totale des exportations a quant à elle presque triplé pour atteindre 8,25 milliards de dollars. L’Egypte a encore une marge importante pour développer son industrie agroalimentaire et accroître davantage sa valeur ajoutée à l’export.
- Le Maroc, un poids lourd sur les produits bruts
Les exportations agricoles du Maroc pèsent environ 39 % au niveau régional et ont été multipliées par 2,3 entre 2012 (2,65 milliards USD) et 2023 (6,2 milliards USD). Malgré cette progression remarquable, la proportion de produits transformés dans les exportations agricoles marocaines reste plus faible, 27 % en 2012 et 24 % en 2023. Ce constat pourrait refléter un choix stratégique du pays de capitaliser sur ses produits primaires (notamment les agrumes et légumes frais) tout en maintenant une part stable mais modérée de produits à plus forte valeur ajoutée (huiles, jus, etc.).
- La Tunisie mise sur la transformation et des produits à haute valeur ajoutée
La Tunisie avec près de 10 % des exportations régionales, affiche une dynamique radicalement différente de ses voisins, étant le pays nord-africain le plus orienté vers les produits agricoles transformés. En 2023, près des trois quarts (74 %) de ses exportations agricoles étaient des produits transformés, contre 66 % en 2012. Les produits agricoles tunisiens génèrent une meilleure valeur ajoutée, grâce à des filières emblématiques comme l’huile d’olive conditionnée. D’autres filières de produits non transformés génèrent une plus grande valeur ajoutée comme les dattes. La valeur totale de ses exportations agricoles a quasiment doublé passant de 798 millions de dollars en 2012 à environ 1,5 milliard de dollars en 2023 (+94 %). Pour la Tunisie, l’enjeu futur réside dans la consolidation de ces marchés haut de gamme et dans l’élargissement de ses débouchés internationaux.
- L’Algérie : des exportations agricoles en recul, dominées par les produits primaires
La dynamique commerciale de l’Algérie contraste avec celle de ses voisins nord-africains. Entre 2012 et 2023, la valeur totale de ses exportations agricoles a diminué de 22 %, passant de 266 à 208 millions de dollars. Par ailleurs, la part des produits transformés a fortement diminué, passant de 83 à 55 % entre 2012 et 2023.
- Une Libye quasi absente des exportations agricoles régionales
Enfin, il est frappant de constater la très faible présence de la Libye dans ces statistiques. Ses exportations agricoles vers le reste du monde hors Afrique restent très faibles, atteignant seulement 7 millions de dollars en 2023, soit une légère hausse d’un million de dollars par rapport à 2012. Ce chiffre marginal pourrait refléter l’impact persistant des crises politiques internes, qui limitent considérablement le développement agricole et les capacités exportatrices du pays.
Graphique 2
Une spécialisation marquée dans les fruits, légumes et huiles végétales
Les exportations agricoles nord-africaines vers le reste du monde sont dominées par trois principales filières, qui ont chacune connu des évolutions remarquables entre 2012 et 2023.
- Fruits comestibles, écorces d’agrumes ou melons (près de 31 % des exportations en 2023) : + 150 % en 11 ans
Cette catégorie demeure la plus importante, avec une croissance notable des exportations, passant de près de 2 à 5 milliards USD entre 2012 et 2023. Cette dynamique illustre la spécialisation marquée de la région dans les fruits méditerranéens et subtropicaux, tels que les agrumes (oranges et mandarines), les dattes et plus récemment des fruits rouges (framboises, myrtilles) ainsi que des melons et des avocats.
- Légumes, racines et tubercules alimentaires (près de 27 % des exportations en 2023) : + 140 %
Cette deuxième grande catégorie a également connu une forte augmentation, passant de près de 1,8 à 4,3 milliard USD entre 2012 et 2023. La région confirme ainsi sa compétitivité dans l’exportation de légumes frais, notamment les tomates, les pommes de terre, les oignons, les légumes à cosse (haricots verts, petits pois), principalement destinés aux marchés européens. Ces exportations se font toutefois au prix d’une très forte consommation d’eau et d’intrants interrogeant la durabilité de ces choix agricoles et commerciaux.
- Graisses et huiles végétales (près de 9 % des exportations en 2023) : + 125 %
les graisses et huiles végétales constituent une autre filière stratégique en plein essor, passant de 620 millions USD en 2012 à environ 1,4 milliard USD en 2023. Cette croissance est portée principalement par l’huile d’olive tunisienne, produit phare à haute valeur ajoutée.
En complément de ces trois filières majeures, les préparations à base de légumes et de fruits (près de 7 % des exportations en 2023) se distinguent par une progression spectaculaire : la valeur de leurs exportations a plus que triplé entre 2012 et 2023, passant de 332 millions à plus de 1 milliard USD, signe d’une transformation progressive de l’offre agroalimentaire nord-africaine.
Graphique 3
Principaux débouchés : l’Europe reste prédominante, percée asiatique et consolidation au Moyen-Orient
Graphique 4
L’Europe, partenaire historique et premier débouché régional
En 2023, les pays européens représentent 46 % des exportations agricoles nord-africaines vers le reste du monde. Cette prédominance repose sur des relations commerciales historiques, facilitées par la proximité géographique. La majorité des exportations vers l’Europe concerne des produits alimentaires (93 à 97 % selon les pays) et primaires (65 à 89 %), comme les fruits, légumes, huiles et dattes.
- France : premier marché en 2023 avec 2,08 milliards USD, soit près du double par rapport à 2012 (1,11 milliard). Les produits exportés sont à 95 % alimentaires et à 79 % primaires.
- Espagne : progression spectaculaire, multiplication par plus de quatre des exportations (1,62 milliard en 2023 contre 369 millions en 2012).
- Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas : les exportations ont presque triplé pour chacun de ces pays, atteignant respectivement 1,14 milliard, 1,04 milliard et 799 millions USD en 2023.
- Italie : croissance plus modérée (786 millions en 2023 contre 553 millions en 2012), mais avec une spécificité : une demande plus marquée en produits transformés (70 %).
Pays du Golfe : demande croissante de produits transformés
Les pays du Golfe renforcent leur rôle de clients majeurs, représentant ensemble près de 9 % des exportations nord-africaines en 2023. Leur demande se distingue par une plus grande part de produits transformés, en particulier dans les segments agroalimentaires à plus forte valeur ajoutée.
- Arabie Saoudite : un partenaire stable (956 millions USD en 2023), avec une répartition équilibrée entre produits primaires (49 %) et transformés (51 %).
- Émirats arabes unis : les exportations ont plus que doublé (de 245 millions à 512 millions USD), avec une composition également équilibrée entre les deux segments.
D’autres pays du Moyen-Orient affiche une progression significative portée par des produits transformés, comme la Turquie (multiplication par 6, de 76 à 466 millions USD) ou la Jordanie (de 202 à 336 millions USD).
Percée de nouveaux marchés : États-Unis, Chine et Inde
La dernière décennie a vu l’émergence de nouveaux partenaires extra-régionaux, aux profils contrastés :
- États-Unis : forte demande pour des produits transformés (77 %) et alimentaires (93 %), avec des exportations en hausse de 150 %, 340 à 843 millions USD.
- Chine : marché en pleine expansion, les exportations ont été multipliées par près de 4 entre 2012 et 2023 (de 72 à 357 millions USD), avec une demande relativement équilibrée entre produits primaires (53 %) et transformés (47 %).
- Inde : bien qu’encore modeste, le pays enregistre une croissance exponentielle des importations nord-africaines, multipliée par 73, passant de 3,4 millions en 2012 à plus de 250 millions USD en 2023, principalement en produits primaires (91 %).
Des exportations dominées par les produits alimentaires, excepté vers la Chine et l’Inde
En moyenne, plus de 90 % des exportations agricoles nord-africaines vers le reste du monde sont alimentaires. Cependant, certains marchés présentent une demande plus diversifiée :
- Chine (62 %), Inde (64 %) et Turquie (34 %) affichent une part significative de produits non alimentaires, tels que cuirs, laines ou plantes à usage industriel.
- À l’inverse, les principaux marchés européens, nord-américains et du Golfe privilégient très largement les produits à vocation alimentaire.
Graphique 5
Égypte : cap sur l’Orient et montée en gamme
Les exportations agricoles égyptiennes sont concentrées sur deux grandes catégories (fruits et légumes frais), complétées par une troisième en plein essor (préparations végétales). Elles positionnent l’Égypte comme un acteur majeur des exportations de produits agricoles de la région (près de 51 % en 2023), capable à la fois de fournir des produits frais compétitifs sur le plan du prix et de développer progressivement des produits à plus forte valeur ajoutée. Le pays est caractérisé par une diversification géographique de ses débouchés. Les pays du Golfe sont une destination très importante alors que se développent des marchés vers l’Asie (Chine et Inde) et l’Europe renforçant l’ancrage du pays dans les chaînes de valeur agricoles mondiales.
Fruits, légumes frais et préparations alimentaires au cœur des dynamiques d’exportation
- Fruits comestibles, écorces d’agrumes ou melons (30 % des exportations en 2023) : multiplication par 2,7
cette catégorie connaît une progression notable, passant de 883 millions USD en 2012 à environ 2,46 milliards USD en 2023. Cette dynamique est notamment portée par les agrumes frais (oranges principalement), atteignant à eux seuls environ 1,14 milliard USD en 2023, ainsi que les raisins frais et secs, dont les exportations s’élèvent à 341 millions USD.
- Légumes, racines et tubercules alimentaires (21 % des exportations en 2023) : multiplication par 2,7
cette catégorie affiche une croissance remarquable, passant de 643 millions USD en 2012 à près de 1,73 milliard USD en 2023.
Les légumes frais dominent nettement cette catégorie, avec notamment :
- les pommes de terre (451 millions USD) ;
- les oignons et autres alliacés (299 millions USD) ;
- divers autres légumes (notamment les légumes à cosse frais ou secs, les légumes congelés non cuits ou cuits à l’eau ou à la vapeur, les tomates, etc.) représentant plus de 800 millions USD.
- Racines de manioc, patates douces et tubercules similaires affichent une croissance exceptionnelle en valeur, passant de 10 à 171 millions USD entre 2012 et 2023 (multiplication par 17 en une décennie).
- Préparations de légumes, fruits ou autres parties de plantes (environ 10 % des exportations en 2023) : de 148 à 774 USD
cette catégorie est en très forte croissance et suggère une volonté des acteurs égyptiens de transformer ses produits agricoles. Les exportations de ces préparations affichent une remarquable progression.
Graphique 6
L’Égypte regarde vers l’est jusqu’en Asie pour ses débouché
Graphique 7
Entre 2012 et 2023, l’Égypte a considérablement élargi et renforcé ses marchés d’exportation agricole, avec une multiplication par plus de deux de la valeur totale exportée vers ses 20 principaux partenaires (de 2,74 milliards à 6,38 milliards USD). Cette dynamique s’accompagne de trois tendances marquantes :
- Un ancrage renforcé au Moyen-Orient : l’Arabie saoudite demeure de loin la première destination, avec près de 900 millions USD en 2023, en hausse de 44 % par rapport à 2012. Les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Koweït, le Qatar, le Yémen et Oman figurent également parmi les premiers clients, consolidant la position centrale du Golfe comme débouché privilégié. L’entrée de la Palestine (280 M USD) et de l’Irak (239 M USD) dans le top 20 conforte cette stratégie régionale.
- Une percée notable en Europe et en Asie : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas maintiennent des valeurs importantes, avec des progressions significatives. Les Pays-Bas triplent leur valeur entre 2012 et 2023 (de 152 à 456 M USD), tandis que la Chine devient un client majeur (de 59 à 307 M USD). L’Inde (233 M USD) fait aussi son entrée dans le classement, traduisant un élargissement stratégique vers l’Asie du Sud.
- Une émergence vers de nouveaux marchés : plusieurs pays auparavant marginaux enregistrent une forte progression, à l’image de la Turquie, de la Syrie et de l’Espagne. Les États-Unis, bien qu’en progression (de 99 à 387 M USD), restent en retrait par rapport à d’autres partenaires.
Le profil agro-commercial du Maroc est caractérisé par une forte concentration de ses exportations sur deux segments stratégiques : les légumes frais et les fruits comestibles. Le pays diversifie ses exportations en développant de nouveaux produits à fort potentiel (fruits rouges, avocats, melons, pastèques). Entre 2012 et 2023, le Maroc a plus que doublé la valeur de ses exportations agricoles à destination de ses 20 principaux partenaires. Cette croissance s’est accompagnée d’un renforcement net de son ancrage au marché européen, qui absorbe l’écrasante majorité de ses exportations agricoles, et d’une diversification (Moyen-Orient, Amérique, Asie) encore limitée. Ce positionnement reflète à la fois des avantages logistiques et des accords préférentiels[1], mais pose aussi la question de la résilience face à d’éventuelles turbulences commerciales sur le marché européen.
Une spécialisation confirmée dans les légumes frais et une diversification accrue dans les fruits
- Légumes, racines et tubercules alimentaires (39 % des exportations en 2023) : + 140 %
Avec une croissance de 140 % entre 2012 et 2023 (2,4 milliards USD), ces exportations sont portées principalement par les tomates, (+ 171 %) pour atteindre 1,57 milliard USD en 2023, représentant désormais près des deux tiers de la catégorie. Les légumes à cosse « écossés ou non, frais ou réfrigérés » (haricots, poids et autres.) affichent également une hausse notable (+54 %), atteignant 301 millions USD en 2023.
- Fruits comestibles, écorces d’agrumes ou melons (34 % des exportations en 2023) : multiplication par 2,5
Les exportations de ces produits ont été multipliées par 2,5 passant de 827 millions USD en 2012 à plus de 2,1 milliards USD en 2023. Historiquement dominants, les agrumes affichent toutefois une progression modeste (+8 % en dix ans), atteignant 509 millions USD. Leur poids relatif dans cette catégorie a fortement diminué, passant de 57 % en 2012 à seulement 24 % en 2023.
Cette baisse relative s’explique par la montée en puissance remarquable d’autres fruits, notamment les fruits rouges, dont les exportations globales ont explosé, passant de 113 millions USD à 907 millions USD. Cette catégorie comprend principalement :
- les airelles, myrtilles et autres petits fruits rouges (441 millions USD, 21 % du total des fruits comestibles) ;
- les framboises (436 millions USD, 20 % du total) ;
- les fraises (85 millions USD, 4 % du total), qui représentaient près de 60 % des exportations de fruits rouges en 2012 mais seulement 9 % en 2023.
En parallèle, les exportations de melons et pastèques connaissent aussi une très forte croissance, passant de 68 millions USD à 283 millions USD (13 % du total). Les avocats émergent également comme une filière en plein essor, avec des exportations multipliées par plus de 50, passant de 4 208 millions USD (10 % du total).
Graphique 8
Graphique 9
Ancrage européen et ouverture vers l’Asie et l’Amérique
- Un ancrage marqué sur le marché européen :
La France, l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume Uni et les Pays-Bas concentrent près de 75 % des exportations agricoles marocaines. La France reste de loin le premier partenaire du Maroc, avec un volume qui a doublé entre 2012 et 2023 (de 878 à 1 734 millions USD). L’Espagne connaît une croissance spectaculaire, passant de 263 à plus de 1 079 millions USD et se hissant au deuxième rang. Les trois autres pays affichent aussi des hausses notables, confirmant l’orientation euro-méditerranéenne de la stratégie commerciale du pays.
- Des débouchés secondaires mais en progression en Amérique du Nord au Moyen orient et en Asie
Les États-Unis apparaissent en huitième position avec 205 millions USD en 2023, en progression par rapport à 2012 (122 M USD) juste avant le Canada qui double le montant de ses importations. Ils sont toutefois encore loin derrière les partenaires européens. La Turquie (221 M USD), la Chine (47 M USD), le Japon (40 M USD) et Israël (50 M USD) figurent désormais parmi les principaux clients, traduisant une diversification géographique encore modeste, mais en construction.
- Un retrait significatif de la Russie :
La Russie, qui occupait la deuxième place en 2012 (376 M USD), chute à la treizième position en 2023 avec seulement 62 millions USD. Les questions logistiques ainsi que les fluctuations du rouble ont pu participer à l’érosion de ces échanges.
Tunisie : la (lente) marche vers la diversification
Entre 2012 et 2023, les exportations agricoles tunisiennes à destination de ses 20 principaux partenaires sont passées de 752 millions USD à près de 1,45 milliard USD, soit une progression de 92 %. Les exportations agricoles tunisiennes sont dominées historiquement par l’huile d’olive et les dattes. Elles sont désormais complétées par une diversification progressive vers les légumes frais. Cette combinaison stratégique permet à la Tunisie de consolider une spécialisation qualitative à forte valeur ajoutée, tout en élargissant progressivement sa gamme de produits exportables sur le marché international. Dans l’ensemble, la Tunisie affiche un positionnement à la fois consolidé en Europe et en expansion vers l’Amérique du Nord, ce qui renforce la visibilité de ses filières agricoles. L’ouverture vers de nouveaux marchés asiatiques reste encore marginale, soulignant des marges de progression importantes pour diversifier davantage les débouchés commerciaux.
Huile d’olive et dattes, piliers des exportations
- Graisses et huiles végétales (60 % des exportations en 2023) : multiplication par 2,35
Cette catégorie est dominée essentiellement par l’huile d’olive. La valeur de ces exportations a plus que doublé en une décennie, passant de 393 millions USD en 2012 à environ 925 millions USD en 2023. Cette dynamique confirme la renommée internationale de l’huile d’olive tunisienne qui est très prisée, notamment par des acheteurs du sud de l’Europe qui la réexporte en captant parfois une part de sa valeur ajoutée.
- Fruits comestibles (17 % des exportations en 2023) : + 40 %
Les dattes représentent la grande majorité de cette catégorie, affichant une croissance de plus 40 % en une décennie, passant de 189 millions USD en 2012 à 264 millions USD en 2023.
- Légumes, racines et tubercules alimentaires (8 % des exportations en 2023) : + 127 %
Cette catégorie émergente a connu une croissance significative (+127 % en plus de 10 années), atteignant 123 millions USD en 2023. Cette dynamique est portée notamment par les exportations de tomates, représentant la majeure partie de cette catégorie avec 91 millions USD.
Graphique 10
L’Europe, principal débouché des exportations tunisiennes et essor du marché nord-américain
Graphique 11
- Un fort ancrage européen
L’Europe reste le premier débouché régional, avec l’Italie en tête (366 en 2023 contre 272 M USD en 2012), suivie de l’Espagne (280 M USD contre 55 M en 2012) et de la France (180 M USD contre 149 M). L’Allemagne (89 M USD) est également présent dans le top 5.
- Une montée en puissance des États-Unis
Ils deviennent en 2023 le troisième partenaire commercial de la Tunisie pour les exportations agricoles (241 M USD), doublant quasiment leur valeur par rapport à 2012 (120 M USD). Cette progression témoigne d’une demande croissante des produits tunisiens à forte valeur ajoutée, en particulier l’huile d’olive sur un marché nord-américain en forte demande de produits méditerranéens de qualité.
- Des marchés secondaires diversifiés mais encore modestes
Le Canada (72 M USD), les Pays-Bas (45 M), le Royaume-Uni (23 M) ou encore l’Arabie Saoudite, la Turquie et les Émirats arabes unis apparaissent dans le classement 2023, sans toutefois atteindre les valeurs observées avec les autres pays de l’UE ou les États-Unis. D’autres pays comme le Brésil, la Malaisie, le Portugal ou la Russie sont dans le top 20 avec des montants encore limités.
Algérie : dualité et recomposition des exportations agricoles
Entre 2012 et 2023, la structure des exportations agricoles de l’Algérie a été marquée par une forte dualité entre les sucres et les dattes, qui représentent ensemble près de 77% de la valeur totale exportée en 2023. Les exportations de sucres, historiquement dominantes, ont connu un net recul (- 114 millions USD), tandis que les fruits comestibles, essentiellement les dattes, ont progressé de façon spectaculaire pour atteindre 78 millions USD. Cette évolution s’est accompagnée d’une baisse globale de la valeur des exportations agricoles, qui ont chuté de 266 à 208 millions USD sur la période, soit une diminution de 22%, et d’un rétrécissement géographique des débouchés, avec une concentration accrue sur quelques marchés comme la France, la Jordanie et la Turquie. Les anciens partenaires majeurs ont vu leur importance s’effacer. Malgré quelques tentatives de diversification vers des marchés secondaires, les volumes restent faibles, reflétant la faiblesse structurelle de l’offre exportable et le manque de consolidation de filières compétitives à l’international, en contraste avec ses voisins régionaux.
Recul des sucres et essor des dattes
- Sucres et sucreries (39 % des exportations en 2023) : – 59 % de croissance
Cette catégorie, auparavant très dominante, enregistre un net repli, passant de 195 millions USD en 2012 à seulement 81 millions USD en 2023. Les exportations concernent principalement le sucre de canne ou de betterave et le saccharose chimiquement pur à l’état solide (environ 95 % de la catégorie), le reste étant constitué de mélasses issues du raffinage ou de l’extraction.
- Fruits comestibles (près de 38 % des exportations en 2023) : 28 M à 78 M USD
Portée presque exclusivement par les dattes, cette catégorie affiche une croissance remarquable de plus de 178 % sur la période, atteignant 78 millions USD en 2023, dont 75 millions proviennent des dattes. Les autres fruits exportés, principalement des melons (hors pastèques), restent très marginaux.
Graphique 12
Un recentrage des débouchés sur la France, la Jordanie et quelques partenaires de niche
Graphique 13
- Recomposition du trio de tête avec la France en première position
La France devient en 2023 le premier partenaire des exportations agricoles algériennes (59 M USD), alors qu’elle n’occupait que la quatrième position en 2012 (21 M USD). La Jordanie suit avec 36 M USD, en forte progression par rapport à 2012, tout comme la Turquie (18 M USD). Ces marchés, bien qu’en hausse relative, restent modestes en valeur absolue et traduisent une restructuration des flux plutôt qu’une expansion.
- Recul des destinations historiques et diversification limitée
Des partenaires majeurs en 2012 comme l’Irak (78 M USD), la Syrie (28 M USD), l’Italie (30 M USD) ou encore l’Espagne (13 M USD) ont vu leur rôle se réduire significativement en 2023. Certains comme l’Irak ou la Syrie disparaissent complètement du top 5, traduisant une perte d’accès ou de compétitivité sur ces marchés. Le reste du classement est constitué d’un ensemble très fragmenté de marchés secondaires (Canada, Portugal, Inde, Pays-Bas, Belgique…), chacun pesant moins de 10 M USD.
Transformation de la structure des exportations agricoles en Libye
Entre 2012 et 2023, les exportations agricoles libyennes se distinguent par leur très faible valeur globale (environ 7 millions USD en 2023) et par une transformation progressive de leur composition, dans un contexte de forte instabilité politique freinant le développement du secteur. La Libye est passée d’exportations agricoles dominées par les peaux et cuirs à une structure plus diversifiée, avec la montée en puissance des dattes et de l’huile d’olive, tandis que les fibres animales restent stables.
Malgré cette diversification sectorielle, la Libye demeure marginale sur la scène régionale, ses exportations agricoles restant limitées en volume et en valeur. Sur le plan géographique, la Turquie reste de loin le principal débouché (41 % du total en 2023, contre près de deux tiers en 2012), tandis que l’Italie, partenaire historique, voit son poids reculer. On observe l’émergence de nouveaux partenaires asiatiques (Indonésie, Inde, Malaisie), traduisant une diversification timide mais réelle des marchés, bien que les montants restent modestes.
Un recul marqué des exportations de cuir, avec une émergence des dattes et des huiles d’olives
- Peaux brutes et cuir (25% des exportations en 2023) : – 65 % de croissance
Historiquement dominante, cette catégorie représentait près de 80 % des exportations agricoles libyennes en 2012, avec 5,2 millions USD. Elle a connu un effondrement marqué, tombant à 1,8 million USD en 2023. Bien qu’en net recul, elle reste la première catégorie exportée.
- Fruits comestibles (22 % des exportations) : multiplication par 19
Portée principalement par les dattes, cette catégorie devient en 2023 le deuxième pilier des exportations agricoles libyennes, atteignant 1,54 million USD contre seulement 80 000 USD en 2012, soit une multiplication par près de 19 en une décennie.
- Graisses et huiles végétales : 20% des exportations
Quasiment inexistante en 2012 (11 000 USD), cette catégorie progresse fortement pour atteindre 1,43 million USD en 2023, portée par des exportations d’huile d’olive.
- Laines et poils :12 % des exportations en 2023
La catégorie des fibres animales se maintient, avec des exportations de laine brute en légère hausse (de 724 000 USD à 859 000 USD), représentant une part encore significative du total.
Graphique 14
Une diversification géographique limitée autour de la Turquie, de l’Asie du Sud-Est et de l’Italie
Graphique 15
- La Turquie, principal partenaire commercial agricole de la Libye
En 2012, la Turquie absorbait à elle seule près des deux tiers des exportations agricoles libyennes (4,4 millions USD sur 6,5). Cette dépendance reste forte en 2023 avec 2,9 millions USD, soit environ 41 % du total, bien que son poids relatif ait diminué.
- Partenaire historique en recul et émergence de nouveaux partenaires en Asie
Alors que l’Italie, partenaire historique de la Libye, voit ses importations chuter de 1,5 million USD en 2012 à 658 000 USD en 2023, l’Asie du Sud et du Sud-Est (Indonésie, Inde, Malaisie) se démarque par une montée en puissance progressive. Ces percées signalent une timide diversification vers des marchés asiatiques, probablement liés à de nouveaux circuits commerciaux ou à une recherche de débouchés hors Europe.
Conclusion
En résumé, l’Afrique du Nord vend surtout à l’Europe, son partenaire traditionnel tout en élargissant ses horizons vers l’Orient et l’Amérique. Cette diversification géographique est une évolution intéressante, car elle réduit la dépendance à un seul marché et offre des relais de croissance. Elle prend toute son importance à l’heure où le marché américain, lui, tend à se refermer et celui de la Chine à s’ouvrir.
[1] Accord d’association UE-Maroc | Access2Markets