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La mesure d’impact des financements agricoles : casse-tête ou amorce d’un cercle vertueux ? 

Publié le 11 mai 2025
par Fondation FARM
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Dans la continuité de l’édition 2024 consacrée au défi du financement dans la transformation des agricultures, la Fondation FARM a organisé le mardi 28 janvier 2025 une Conférence internationale portant sur la question cruciale de la mesure d’impact dans les investissements agricoles. Pour cette première table-ronde animée par Philippe Guichandut (Fondation Grameen Crédit Agricole France), différents acteurs financiers ont discuté des outils, méthodes et défis pour mesurer l’impact environnemental et social, aligner leurs pratiques sur les objectifs climatiques et développer la transparence dans les systèmes de reporting.

Mesurer l’impact, entre obligation réglementaire et intérêts stratégique

Maya Atig, Directrice de la Fédération bancaire française, a ouvert la table ronde (LIEN) en exposant la vision des banques sur les mesures d’impact et les réglementations. Elle a rappelé l’engagement de la Fédération bancaire et de ses adhérents envers les objectifs de l’Accord de Paris et a souligné aussi la nécessité d’arrêter certaines activités polluantes tout en promouvant une coopération constructive avec les clients pour un avenir durable. « Nous contestons l’approche trop coercitive de certaines règles qui créent trop d’angoisse pour les clients. Il nous faut travailler sur un mode coopératif sur des trajectoires. (…) La collecte des données doit s’appuyer sur un langage et des méthodes de collecte simplifiées afin que chacun puisse mieux se connaître, dialoguer et se concentrer sur des solutions ». Maya Atig a décrit les exigences réglementaires qui s’imposent aux banques, les jugeant parfois contradictoires : la taxonomie, les principes de transparence et de vigilance et la gestion des risques, pas uniquement financiers mais aussi environnementaux et sociaux. S’agissant du secteur agricole et agroalimentaire, la directrice de la FBF préconise de concevoir les indicateurs d’impact à l’échelle de la chaîne de la valeur. En guise de lancement des travaux de la journée, Maya Atig appelle à « préférer l’action à l’anxiété, la connaissance partagée et le dialogue à la coercition ! »

Alexandra Veidner, Responsable technique senior en rapportage de durabilité au Groupe consultatif européen sur l’information financière (EFRAG) reprend tout d’abord la phrase de conclusion de Maya Atig : « Oui, l’action compte et nous avons besoin de parler la même langue ! ». Réagissant à la décision française du 20 janvier 2025 demandant à l’UE de suspendre la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), elle rappelle l’origine et le but de cette directive européenne entrée en vigueur le 1er janvier 2024 et liée au Pacte Vert européen (Green Deal). Les entreprises concernées doivent communiquer annuellement sur leurs informations relatives aux problématiques RSE, c’est-à-dire à la fois sur les informations financières mais aussi extra-financières. L’objectif est de pouvoir développer une vision plus globale de la performance des entreprises mais aussi de comprendre les liens entre l’entreprise et son environnement. Selon l’experte, la prise en compte de la double matérialité permet de comprendre non seulement comment les enjeux environnementaux et sociaux affectent la performance économique des entreprises, mais aussi comment leurs activités impactent l’environnement et la société.

Interrogé sur la façon dont la mesure d’impact peut être un moyen efficace pour augmenter l’investissement, notamment dans le secteur de l’agriculture, Gautier Quéru Directeur du Capital Naturel de Mirova souligne qu’il y a de multiples dimensions possibles pour conduire un investisseur à s’intéresser à l’impact extra-financier. Il indique également qu’il y a une grande diversité de financeurs engagés sur l’impact et de modes de financement, publics ou privés. Dans le secteur privé, la thématique de l’investissement à impact (l’impact investing) a connu un fort développement avec les fondations et certains investisseurs institutionnels (fonds de pension, caisse de retraite, etc.) qui vont rechercher à la fois un impact positif sur les aspects environnementaux et sociaux et un rendement financier, équilibré. Le principal défi étant selon lui de s’y retrouver dans cet univers « de plus en plus complexe et protéiforme ».

De son côté, Claude Torre, Responsable d’équipes projets à l’Agence française de développement (AFD), insiste sur le fait qu’en matière d’appui aux banques publiques qui financent l’agriculture, l’AFD recherche deux types d’impact, sur l’inclusion financière, en particulier des femmes et des jeunes, et sur l’environnement, en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Pour reprendre les propos de Tanguy Bernard dans la séance introductive de la conférence, Claude Torre a aussi rappelé que les banques publiques ne peuvent pas tout faire : il faut que d’autres services soient proposés sur le terrain (formation, conseil, etc.). Il souligne aussi la grande diversité des banques. Pour les petites, souvent plus fragiles, l’accompagnement de l’AFD est axé sur leur rôle principal et le respect des normes prudentielles, pour les moyennes, sur l’amélioration de leurs services. Les plus grandes s’intéressent davantage à la question de l’impact. Claude Torre a rappelé l’importance de considérer les banques publiques agricoles comme des outils de politiques publiques, prenant l’exemple de la Banque de développement de l’Ouganda qui a mis en place un système de responsabilité pour renforcer le dialogue politique avec le gouvernement. Pour lui, ce sont les moyennes et grandes banques publiques que l’AFD appuie qui sont les plus mobilisées sur les questions d’impact. Elles vont s’intéresser à la double matérialité et aux risques que les changements environnementaux font peser sur leurs activités, par exemple, comment moins de ressources en eau va impacter des programmes d’irrigation, comment des dégradations trop fortes des sols ou des événements extrêmes vont impacter les rendements et engendrer par conséquent des risques sur le remboursement des crédits. Elles vont aussi s’intéresser à l’autre matérialité décrite par Alexandra Veidner, c’est-à-dire l’impact des banques sur l’environnement et la société via des opportunités de financement comme les émissions obligataires vertes, etc.

Les intervenants à la table ronde ont appuyé ces éléments en rappelant que la mesure d’impact doit être un moyen d’établir et de vérifier l’alignement des stratégies des acteurs financiers avec les engagements nationaux, notamment en matière de climat et de biodiversité. « Plus qu’un système de vérification de la conformité, la mesure d’impact doit être perçue comme un outil de développement dans le temps (…). Pour les producteurs, la notion de prix minimum est importante : la garantie d’un revenu stable est sécurisante » souligne également Alexandra Veidner.

Quelles méthodologies, à l’heure des nouvelles technologies ?

Après avoir exposé les raisons qui poussent les différents acteurs à s’intéresser à la mesure de l’impact – au-delà de la réglementation qui se met en place – les intervenants ont débattu des méthodes et outils développés, en présentant notamment des exemples concrets.

André Albuquerque Sant’Anna, Responsable du département climat de la Banque nationale brésilienne de développement (BNDES) explique pourquoi cette banque a investi depuis longtemps dans la mesure d’impact en agriculture. Ce dernier rappelle que 16 % des surfaces du Brésil sont des forêts et que 200 millions d’hectares sont consacrés au secteur agricole, avec des besoins en équipements et machines financés notamment par la BNDES. Dans ce contexte, « il convient d’évaluer, apprendre, mieux communiquer et reconcevoir les politiques publiques pour mieux affecter les deniers publics. »

Gautier Quéru (Mirova) insiste sur la grande variété d’indicateurs utilisés par les équipes du fonds à impact. Ils analysent trois grandes catégories d’indicateurs sur trois impacts : carbone (atténuation, adaptation, séquestration, émission évitée, etc), biodiversité (nombre d’hectares en gestion durable certifiés ou superficie en conservation, etc.) et social (nombre d’emplois créés, augmentation des revenus, égalité homme-femme, etc.). Si les mesures d’impact carbone sont parmi les plus demandées par les parties prenantes, le gérant a insisté sur la place croissante que prennent les indicateurs liés à la biodiversité à la suite de l’adoption du Cadre mondial de Kunming-Montréal (2022) (https://www.youtube.com/watch?v=eIV8_ZxEpxA). Des indicateurs spécifiques ont été élaborés pour le Fonds Land Degradation Neutrality (https://www.unccd.int/land-and-life/land-degradation-neutrality/impact-investment-fund-land-degradation-neutrality) développé en partenariat avec l’AFD et la Convention des Nations unies pour la lutte contre la désertification. Ils prennent en compte la teneur en carbone organique des sols ou encore l’utilisation de couverts végétaux et la productivité. Ces indicateurs combinés permettent d’évaluer l’évolution de la dégradation ou au contraire de la restauration d’un sol.

Claude Torre, de l’AFD, rappelle que l’agence utilise une large variété d’outils pour mesurer l’impact. La méthodologie varie en fonction des capacités des banques, sachant que la mesure de l’impact est, selon lui, encore plus compliquée pour le secteur agricole. « Il n’y a pas d’instrument miracle en termes d’outils et il faut trouver un compromis entre coût, robustesse des résultats et capacité de mise en œuvre », souligne-t-il. « D’abord, on travaille en établissant une taxonomie pour évaluer ce que fait la banque en termes d’impacts, puis on identifie les gains faciles, c’est-à-dire des actions plus faciles à mettre en œuvre rapidement, pour passer à l’échelle des financements ayant des impacts positifs » (programmes d’adaptation, irrigation, énergies renouvelables) ».

Le responsable projet de l’AFD met aussi en avant d’autres outils comme le financement de filières labellisées en s’appuyant sur des tiers certificateurs permettant d’avoir des indicateurs à partir des cahiers des charges (commerce équitable, Rainforest Alliance). En fonction de la dimension opérationnelle des banques, il est aussi possible de travailler sur des approches paramétriques (qui utilisent des modèles mathématiques et statistiques pour faire des évaluations et des estimations), mais celles-ci sont limitées dans le secteur agricole tant les pratiques sont diverses. Il est cependant nécessaire pour Claude Torre d’automatiser des solutions de mesure d’impact pour qu’elles ne soient pas trop coûteuses. L’enjeu se pose en particulier pour les petits crédits en direction des exploitations agricoles de petite taille dont les coûts de gestion sont déjà élevés. Il a été rappelé à cet égard qu’il est possible de demander au bénéficiaire des financements de procéder à la collecte des données et de les partager, mais cela nécessite des mécanismes de vérification et donc occasionne des coûts de contrôle, une fois de plus significatifs pour des petits montants de financement ou d’investissement.

Selon les intervenants, les outils les plus prometteurs sont ceux qui utilisent l’imagerie satellitaire, comme ABC-map développé par la FAO avec l’appui de l’AFD (https://abc-map.fao.org/). Il s’agit d’une application géospatiale pour évaluer de manière holistique l’impact environnemental (biodiversité, climat notamment) des projets dans le secteur de l’agriculture et de l’usage des terres. Il existe beaucoup d’acteurs engagés dans la fintech qui offrent des solutions de mesure d’impact mais ont insisté sur le fait que leur méthodologie était souvent insuffisamment transparente. Pour les panélistes, le chemin à parcourir est encore long avec la nécessité de géolocaliser les parcelles pour une évaluation précise et de pouvoir intégrer une grande diversité d’activités financées.

Un besoin de clarté, de transparence et d’incitation

Les intervenants sont revenus sur les enjeux et principaux leviers pour améliorer la qualité de la mesure de l’impact et son utilisation pour les investissements futurs.

Selon Alexandra Veidner qui reprend les proposintroductifs de Maya Atig, « oui, il faut encore faire des efforts pour consolider les systèmes des cadres existants de reporting ». L’EFRAG travaille actuellement sur les normes sectorielles pour les 11 secteurs ayant l’impact le plus élevé, y compris l’agriculture et l’alimentation et les boissons. La norme ESRS couvre des informations sur l’ensemble de la chaîne de valeur et les normes sectorielles seront encore plus ciblées, couvrant les sujets les plus probables pour le secteur. « Ces normes ne sont pas qu’un exercice de conformité mais un outil de gestion, et un exercice pour discuter avec le secteur privé qui fera aussi partie de la solution ! », tient-elle à souligner.

De son côté, Gautier Quéru soulève deux enjeux et défis fondamentaux. Tout d’abord la clarté réglementaire et la taxonomie avec des définitions claires de ce que sont l’agroécologie et l’agriculture régénératrice pour pouvoir partager des indicateurs et des mesures cohérentes. Le second enjeu est celui des coûts de la mesure d’impact qui sont encore trop élevés. L’intelligence artificielle et le digital pourraient aider à maîtriser ces coûts. Les intervenants ont cependant insisté sur l’accès aux données qui doit rester gratuit et facile. Si la numérisation et l’automatisation sont présentées comme des pistes prometteuses, elles ne résoudront pas tout pour Claude Torre qui a insisté sur la nécessité d’un travail avec les parties prenantes, au-delà de l’édition de rapports (reporting). Il faut selon l’expert de l’AFD travailler avec les acteurs concernés pour orienter progressivement les investissements vers le financement vert/social en modifiant le signal de prix par le biais de subventions ou de réglementations. Les efforts volontaires de certains ne suffiront pas, une manière d’aller plus vite serait de « récompenser le vert et le social, voire de sanctionner le marron dans le cadre de démarches concertées ». Claude Torre cite à ce sujet l’exemple de banques publiques comme au Brésil ou au Bangladesh. Au Brésil, dans le cadre du Système national de crédit rural, des quotas sont mis en place pour soutenir le développement agricole en offrant des crédits à des taux préférentiels : 20 % des crédits doivent être alloués au secteur agricole et 40 % de l’épargne rurale doit être utilisée pour soutenir l’agriculture familiale. Ces quotas pourraient être élargis avec des objectifs environnementaux comme le propose par exemple la banque centrale du Bengladesh qui impose 5 % d’actifs verts pour le secteur bancaire. D’autres pays (Chine, Inde, Colombie, etc.) utilisent ces dispositifs pour augmenter l’inclusion financière.

Questionnés à la fin échanges avec le public sur le levier le plus urgent ou efficace à activer pour que la mesure de l’impact puisse créer des effets concrets auprès des producteurs, chaque intervenant apporte sa réponse :

  • Alexandra Veidner rappelle l’importance de la directive CSRD et des normes ESRS qui doivent couvrir les chaînes de valeur à l’échelle mondiale avec une vision harmonisée pour pouvoir comparer dans un cadre transparent et afin de faciliter la transformation du système alimentaire.
  • Pour Claude Torre, les leviers principaux restent les sujets réglementaires et les bonnes incitations qui vont faire bouger des lignes, avec, pour l’agriculture, l’adaptation et l’agroécologie comme cap.
  • Gautier Quéru insiste pour sa part sur la bonne combinaison entre impact et modèles d’affaires qui fonctionnent et créent de la valeur, dans un cercle vertueux, pour augmenter finalement les investissements.
  • André Albuquerque Sant’Anna invite à favoriser la finance mixte, le secteur public pouvant aider le secteur privé.

Pour retrouver le replay de la conférence internationale et des tables rondes, cliquez ici.

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