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Engrais et fertilité des sols en Afrique de l’Ouest : tout comprendre

Publié le 14 février 2025
par Thibaut Soyez et Matthieu Brun (FARM)
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La santé des sols et leur capacité à fournir aux plantes ce dont elles ont besoin pour se développer sont des enjeux clé en Afrique de l’Ouest. Plusieurs facteurs exercent des pressions fortes sur ces sols et limitent le renouvellement de la fertilité : changement climatique, crises économiques et politiques, dans un contexte de forte croissance démographique. Thibaut Soyez (FARM) fait le point sur ces enjeux et répond à 4 questions clés.

Ce texte est le premier volet d’une série de 3 publications consacrées à la fertilité des sols et à l’usage des engrais en Afrique de l’Ouest. Ils ont été réalisés dans le cadre d’une étude menée en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD) pour expliquer les controverses sur l’utilisation d’engrais et éclairer les débats actuels autour de leur usage et de la complémentarité avec les pratiques agroécologiques.

Qu’est-ce que la fertilité des sols et comment la mesurer ?

La fertilité des sols désigne la capacité d’un sol à fournir les conditions physiques, chimiques et biologiques nécessaires pour soutenir la croissance des plantes et leur productivité.

Il s’agit d’un concept multidimensionnel qui dépend des contextes agronomiques [1].

Il est essentiel de renouveler cette capacité pour maintenir la production. Le renouvellement de la fertilité des sols repose sur des processus naturels (décomposition de matière organique, recyclage des nutriments) et des pratiques agricoles comme l’utilisation d’engrais organiques ou minéraux, les rotations de cultures ou encore l’agroforesterie.

Évaluer la fertilité des sols peut se faire à partir de ces quatre piliers :

La fertilité biologique qui fait référence à l’aptitude des sols à apporter les éléments essentiels (azote, phosphore et potassium principalement) à la croissance des végétaux par l’action des organismes vivants (animaux, insectes, champignons, parasites). Cette action se caractérise par la décomposition des débris végétaux et animaux, libérant ainsi les éléments nutritifs nécessaires aux plantes.

La fertilité chimique qui correspond au pH du sol, c’est-à-dire son acidité ou alcalinité, et à l’abondance des éléments nutritifs (azote, phosphore, potassium…) dans le sol ainsi qu’à leur disponibilité pour la croissance des cultures.

Paramètres de la fertilité d’un sol (Source : Perrin, 2023)


La fertilité physique
du sol qui correspond à sa morphologie (taille, forme, arrangement, niveaux d’organisation) et à son fonctionnement (hydrodynamique, mécanique, agronomique…).

La disponibilité en matière organique, celle-ci se compose d’organismes vivants (animaux et végétaux), de matière fraîche, végétale et microbienne, ainsi que de matière en décomposition. La matière organique est un pilier clé de la fertilité des sols car elle agit comme un lien entre ses différentes composantes. Elle influe sur les cycles géochimiques des nutriments, la rétention de l’eau et la stabilité structurale.

Ces différentes composantes de la fertilité d’un sol agissent en interaction les unes avec les autres. Il faut cependant ajouter un dernier référentiel, celui de la fertilité économique du sol qui prend en compte la capacité productive du sol ainsi que les coûts et revenus associés et considère la rentabilité des investissements pour maintenir ou améliorer la fertilité du sol. C’est une dimension essentielle à analyser dans le cadre de l’objectif de souveraineté alimentaire que se fixent de plus en plus de pays, notamment en Afrique de l’Ouest.

Quelle est la nature des sols en Afrique de l’Ouest et quels impacts sur leur fertilité ?

L’Afrique de l’Ouest compte majoritairement des sols âgés, c’est-à-dire des sols profonds dont la pédogénèse (formation) est ancienne et dont les minéraux ont été fortement lessivés (déplacement verticale des particules solides du sol, en particulier les argiles) ou lixiviés (déplacement des éléments solubles du sol, notamment les éléments minéraux).

Bien qu’une grande diversité de sols existe en Afrique de l’Ouest (voir carte), les trois principaux types de sols rencontrés sont :

  • les lixisols (fortement lessivés et drainant)
  • les acrisols (concentrés en argiles et acides)
  • les plinthosols (forte teneur en fer, durcissent à l’air)

Figure 2 : Les différents types de sols en Afrique de l’Ouest (Source : Jones, 2013)

De manière générale, ces sols ont un pH acide à faiblement acide, compris entre 5 et 7. Il faut savoir que, en dessous d’un pH de 6, la disponibilité de la plupart des macro-éléments est fortement réduite. Dans les sols dont le pH est inférieur à 5,5, l’aluminium se solubilise et devient biodisponible, ce qui entraîne une toxicité pour le développement des végétaux. Ces sols tropicaux retiennent donc peu les éléments minéraux, et, leur pH acide à faiblement acide, les rend peu aptes à une absorption par les végétaux.

Les sols d’Afrique de l’Ouest présentent aussi de faibles teneurs en matière organique, un composant essentiel pour la fertilité des sols. Cette matière organique, source de carbone, est indispensable au développement de la vie biologique du sol. Dans la région, on mesure entre 40 et 60 tonnes de carbone organique par hectare sur le premier mètre de sol, quantité considérée comme faible par l’INRAE [2].

Les organismes vivants présents participent, à travers la minéralisation de la matière organique, à rendre disponibles les éléments minéraux du sol pour leur absorption par les végétaux et in fine leur développement. La faible proportion de matière organique de ces sols tropicaux, accentuée par un pH acide à faiblement acide, est un frein au développement de la vie biologique du sol.

Les propriétés naturelles des sols de la zone ouest-africaine expliquent, au moins en partie, leur faible performance initiale sur le plan de la fertilité. Cependant, l’état d’un sol et de sa fertilité reposent aussi sur ses usages et sur l’agro-système qui l’occupe.

Comment expliquer la crise de fertilité des sols en Afrique de l’Ouest ?

Avant d’en arriver à la crise de fertilité des sols ouest-africains, regardons comment cette fertilité était assurée.

Les transferts de fertilité (procédés qui désignent le déplacement d’éléments fertilisants d’un endroit à un autre) sont au cœur des mécanismes de reproduction de la fertilité des systèmes agricoles ouest-africains. Pour conserver le niveau de fertilité d’un sol, les apports en nutriments doivent compenser les prélèvements effectués via les récoltes.

Le système de reproduction de la fertilité des sols a longtemps été équilibré et basé sur des pratiques traditionnelles avant qu’une combinaison de facteurs endogènes et exogènes ne perturbe cet équilibre.

L’agriculture itinérante sur brûlis fait partie de ces pratiques agronomiques ancestrales permettant de maintenir la fertilité des sols. Ce système alterne des périodes de culture avec de longues jachères, pouvant durer jusqu’à 30 ans. Durant cette jachère, la végétation et les arbres se développent, puisent les éléments minéraux des couches profondes du sol et les restituent en surface via la litière du sol, reconstituant ainsi la fertilité.

En Afrique de l’Ouest, la symbiose entre élevage et agriculture a longtemps contribué au maintien de la fertilité. Les jachères servaient de pâturages aux bovins dont les déjections enrichissaient naturellement les sols et préparaient ainsi la parcelle pour le prochain semis.

Cette pratique s’accompagnait d’autres méthodes comme les rotations et associations de cultures, notamment avec des légumineuses qui fixent naturellement l’azote de l’air dans les sols, ainsi que l’agroforesterie, utilisant, par exemple, le Faidherbia albida, qui, par le déploiement de ses racines, structure le sol et, par capillarité, fait remonter les éléments minéraux présents dans les strates plus profondes du sol, les rendant disponibles pour la plante. Ces techniques traditionnelles formaient un ensemble de solutions adaptées pour renouveler efficacement la fertilité des sols. Cependant, à partir des années 1960, divers facteurs ont perturbé cet équilibre.

La croissance démographique rapide en Afrique de l’Ouest, avec une population multipliée par deux entre 1950 et 1980, a exercé une pression importante sur les ressources foncières. Face à cette situation, les agriculteurs ont dû adapter leurs pratiques, réduisant les temps de jachère et étendant les surfaces cultivées.

Ces changements ont rendu obsolète la pratique de l’abattis-brûlis qui ne permettait plus un renouvellement naturel et efficace des éléments minéraux du sol. L’extension des terres mises en culture a également modifié les parcours pastoraux traditionnels et accéléré la déforestation, diminuant ainsi l’apport en fumure organique.

Cette baisse de la fertilité peut se caractériser par le bilan nutritif en kg par hectare de terre cultivée. N représente l’azote, le P le phosphore et le K le potassium. Le graphique indique en Afrique de l’Ouest une diminution progressive de la disponibilité en éléments minéraux essentiels, en particulier en potasse et en phosphate.

L’intensification agricole a ainsi engendré un prélèvement accru des nutriments du sol sans restitution suffisante, créant un déficit en éléments minéraux, menaçant la productivité agricole dans un contexte de croissance démographique. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que la tendance démographique va se poursuivre puisqu’au niveau continental la population va doubler d’ici 2050.

S’ajoute à cette situation, des conflits sur l’usage du foncier entre agriculteurs et éleveurs, limitant ainsi davantage les apports en matière organique permis grâce à l’association agriculture-élevage.

Le changement climatique et les sécheresses récurrentes ont aggravé ces problèmes. Les déficits pluviométriques, particulièrement marqués depuis les années 1960, ont contribué à la dégradation des terres, notamment dans les zones sahéliennes, limitant de fait leur potentiel productif.

Ces facteurs combinés, sur des sols de natures déjà fragiles, ont conduit à une détérioration de la qualité des sols sur les plans chimique, physique et biologique. La baisse de fertilité qui en résulte a entraîné une diminution de la productivité agricole, mettant en péril la sécurité alimentaire de la région. A l’échelle du continent, la FAO estime que 1/5 des sols sont en état de dégradation sévère, avec de fortes différences en fonction des régions et des contextes.

L’agriculture ouest-africaine fait donc face à des défis importants. La recherche et la mise en œuvre de solutions durables, adaptées aux nouvelles réalités climatiques, démographiques et socioéconomiques s’avèrent vitale pour la souveraineté alimentaire de la région.

Comment les producteurs ouest-africains peuvent-ils renouveler la fertilité des sols ?

Face à la diminution progressive de la disponibilité en éléments minéraux essentiels, en particulier en potasse et en phosphate, un apport d’engrais minéraux adapté aux sols et aux plantes demeure nécessaire pour éviter l’épuisement des réserves du sol. Cet apport, encore trop faible aujourd’hui (15 kg/ha en moyenne en Afrique de l’Ouest contre 120 kg/ha de moyenne dans le reste du monde) est cependant conditionné à la capacité des producteurs d’accéder physiquement et économiquement à des engrais souvent importés et subventionnés [3].

Pour préserver la structure du sol et optimiser l’efficacité des apports minéraux, il est également nécessaire d’incorporer de la matière organique. L’apport de matière organique est rendu possible notamment par l’usage d’engrais organiques, fabriqués sur l’exploitation comme le compost [4] ou le fumier par exemple, ou bien par des produits organiques issus du circuit industriel. Ces éléments seront détaillés dans une prochaine publication qui porte sur deux études de cas : le bassin arachidier au Sénégal et la zone cotonnière Nord-Bénin. Cette approche, combinant engrais minéraux et organiques, est connue sous le nom de fertilisation organo-minérale [5].

Au-delà de cette méthode de fertilisation, les pratiques agricoles jouent un rôle déterminant dans le renouvellement de la fertilité des sols. Parmi ces approches, on retrouve par exemple les pratiques présentées plus haut comme les associations et rotations de culture à base de légumineuses, l’agroforesterie, l’enfouissement des résidus de culture, etc. La mise en œuvre durable et efficace de ces pratiques nécessite cependant une attention particulière à la formation et à l’accompagnement des producteurs, du fait des caractéristiques particulières et des possibilités économiques et agronomiques de chaque exploitation.

Il est d’ailleurs préconisé d’adopter des techniques qui préservent la structure du sol en évitant de créer une dépendance aux engrais minéraux et permettant la production in situ d’engrais organiques.

L’association de la fertilisation organo-minérale avec des pratiques agroécologiques adaptées participera aussi à la restauration et au maintien de la fertilité des sols ouest-africains. Cette approche intégrée vise à concilier les besoins nutritionnels des cultures avec la préservation à long terme de la santé des sols, à condition de garantir la viabilité économique des exploitations.

 

En conclusion :
Mise à l’échelle des pratiques et accessibilité économique et physique des engrais

 

L’augmentation des prélèvements d’éléments nutritifs dans les sols résultant d’une intensification des systèmes de production dans de nombreuses régions d’Afrique de l’Ouest, couplée à la réduction des temps de jachère et à la modification des parcours pastoraux, ne permet plus un renouvellement durable de la fertilité.

L’enjeu principal ne se situe pourtant pas dans l’identification de nouvelles pratiques qui sont déjà connues (agroécologie et fertilisation organo-minérale), mais dans leur mise à l’échelle et leur viabilité économique au niveau des exploitations agricoles. Comment, par exemple, concilier une pratique qui consiste à enfouir les résidus de culture avec une main d’œuvre peu disponible et sans aide mécanique ? Ou bien comment mettre en place un système agroforestier, nécessitant des investissements sur le temps long, lorsque la sécurité du foncier n’est pas assurée ? Une prochaine publication examinera cette problématique à travers deux cas d’étude : le bassin arachidier au Sénégal et la zone cotonnière Nord-Bénin.

Le défi réside également dans la disponibilité tant géographique qu’économique des engrais minéraux et la disponibilité d’une matière organique de qualité. Sur le plan géographique, les réseaux de distribution d’engrais minéraux sont encore en développement, limitant leur accès dans certaines régions.  De plus, la rupture de l’association traditionnelle entre agriculture et élevage a réduit l’accès des agriculteurs au fumier, les contraignant à produire leur propre compost, souvent de qualité inférieure en raison de mauvaises conditions de stockage. Sur le plan économique, l’Afrique de l’Ouest reste fortement dépendante des importations d’engrais minéraux NPK, ce qui expose la région à la volatilité du marché international, les prix des engrais ayant triplé depuis début 2020.

En outre, la filière de production d’engrais organiques locaux est encore émergente et nécessite des investissements pour se développer ainsi qu’un cadre règlementaire cohérent. Des initiatives sont en cours pour promouvoir la production locale et régionale d’engrais organiques et minéraux, ainsi que pour dynamiser le commerce intrarégional. Cependant, face aux besoins, les efforts à fournir sont encore immenses pour répondre aux besoins croissants en fertilisants et réduire la dépendance aux importations. Vous retrouverez dans les prochaines publications de FARM une analyse sur la production et l’approvisionnement en engrais de l’Afrique de l’Ouest.

[1] Reboul, C. (1989). Monsieur le Capital et Madame la Terre : Fertilité agronomique et fertilité économique. INRA. https://hal.science/hal-02858252/

[2] Stocker du carbone dans les sols français. Quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel cout ? Juillet 2019.

[3] Voir les travaux de l’Observatoire de FARM (https://fondation-farm.org/observatoire/accueil/) à ce sujet et les publications à venir sur les marchés des engrais en Afrique de l’Ouest

[4] Koulibi Fidèle Zongo : lauréat 2025 du Prix de la Fondation FARM – Fondation FARM

[5] Falconnier, G. et al. (2023). The input reduction principle of agroecology is wrong when it comes to mineral fertilizer use in sub-Saharan Africa. Outlook on Agriculture, 0(0). https://doi.org/10.1177/00307270231199795

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