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Transitions agricoles : quelles conditions pour le déploiement des financements ? (Episode 3)

Publié le 26 juillet 2024
par la Fondation FARM
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Lors de la Conférence internationale de la Fondation FARM, il a été fréquemment souligné par les intervenants et les participants que le déploiement de ces financements pour la transformation des agricultures ne serait possible qu’à certaines conditions. Nous avons tenté de les résumer ici autour de 5 axes principaux, qui donneront matière à débattre.

TR3 : comment déployer des financements alignés sur les ODD ?

Labellisation et taxonomie : évaluer le caractère agroécologique des financements

Plusieurs intervenants ont insisté lors de la dernière table ronde de la conférence internationale de la Fondation FARM sur la nécessité d’adopter une méthodologie commune pour labelliser les financements agroécologiques des banques ou des acteurs publics et privés du financement. A la manière de la taxonomie verte de la Commission européenne, les panélistes souhaitent voire émerger un référentiel et des indicateurs pour guider les actions des banques dans le financement de l’agriculture et de projets agroécologiques. Oliver Oliveros coordinateur de évoque la création d’un outil d’évaluation des investissements pour l’agroécologie (agroecology finance assessment tool). L’Agroecology coalition est partie du constat selon lequel des investissements publics et privés plus importants étaient nécessaires pour le développement de systèmes agricoles durables et qu’un certain nombre de financements devaient être « déviés » (shifting existing funds in the right directions). En s’appuyant sur les 13 principes fondamentaux de l’agroécologie développés par le HLPE, ils ont élaboré une  méthodologie et un outil d’évaluation des projets et des portefeuilles d’institutions financières.

Cependant, dans beaucoup de pays du Sud, des investissements lourds dans les filières et les outils de transformation agroalimentaires seront nécessaires pour répondre à la hausse de la demande et à l’impératif de souveraineté alimentaire. Or ces investissements (transformation du lait, fabrication d’engrais, etc.) sont fortement carbonés, c’est-à-dire qu’ils exigent des émissions de gaz à effet de serre significatifs pour être réalisés. Ils pourraient donc être moins priorisés par les financeurs eux-mêmes engagés dans la réduction de l’empreinte carbone de leur portefeuille. Ces dilemmes du financement pourraient être dans le futur un obstacle pour la construction de filières agricoles et alimentaires, notamment pour développer la transformation agroalimentaire.

 

Susciter la demande de financements orientés vers la transition

Oliver Oliveros a insisté lors de la dernière table ronde de la journée sur la nécessité de garantir l’accès des plus vulnérables, et notamment les agricultures familiales, aux financements spécifiquement orientés vers l’adoption de pratiques plus durables. Si ces financements existent bel et bien, ils doivent être appropriés par les producteurs et les acteurs des filières, voire cibler celles et ceux qui en sont aujourd’hui exclus. Oliver Oliveros craint que les critères d’éligibilité et le coût de l’analyse des projets n’excluent les plus précaires. Les échanges ont conclu sur la nécessité de co-construire les critères d’éligibilité avec les professionnels pour qu’ils constituent un levier plutôt qu’un frein à l’adoption de bonnes pratiques et qu’ils soient pertinents. Pour les experts, la transparence et l’accès à l’information est clé , ils ont également insisté sur la nécessité de simplifier les critères d’accès aux fonds climat en mobilisant les institutions de microfinance rurale ou en s’inspirant de leur fonctionnement.

Gifty Narh, directrice du Corade a insisté sur la nécessité de créer un écosystème d’appui et de conseil viable, en particulier à l’intérieur des institutions de financement. L’experte en formation et en conseil du Burkina Faso a également rappelé l’importance de susciter la demande des consommateurs et du marché sans quoi les producteurs ne s’engageront pas sur le long terme.

Pour susciter cette demande, les organisations de producteurs et en particulier les coopératives ont un rôle clé à jouer. Elles peuvent ouvrir et consolider l’accès à des marchés pour les producteurs, comme dans le cas des coopératives de cacao (SCEB en Côte d’Ivoire qui vend du cacao issu de l’agriculture biologique). Dans les pays du Nord, comme en France, les coopératives peuvent aussi, par leurs engagements de groupe, tirer la transformation des exploitations et des systèmes agricoles en suscitant l’adhésion de leurs membres autour de projets collectifs susceptibles de garantir une rémunération en contrepartie des efforts réalisés. On pensera par exemple à la coopérative normande Agrial et son Plan Climat 2035, certifié par l’organisation internationale Science Based Target Initiative (SBTI).

 

L’agroécologie pour rassurer les marchés financiers et mieux gérer les risques

Pour les acteurs de l’aval des filières agricoles, engager les agricultures familiales dans des modèles plus résilients face aux effets du changement climatique qui limitent leur empreinte sur la biodiversité ou les sols présentent aussi un avantage en termes de gestion des risques opérationnels et financiers à moyen et long terme. Avec l’évolution des règlementations (clauses miroirs, lutte contre la déforestation importée, métriques bas carbone ou net zéro, etc.), les engagements des entreprises de l’aval pour assurer un sourcing durable vont être de plus en plus scrutés par la société civile, mais aussi par les banques et institutions financières qui auront, elles aussi, à assurer la durabilité de leur portefeuille. Comme l’a rappelé Francesca Nugnes, de la Plateforme pour la gestion des risques agricoles de la Plateforme de gestion du risque en agriculture (PARM), la mise en exergue des risques associés aux investissements agricoles est un outil puissant pour aiguiller les financements vers des pratiques agricoles favorisant l’adaptation et la résilience des agricultures. En effet, l’experte rattachée au FIDA a mis en avant le fait que, de plus en plus, une prise en compte globale du risque se développait au-delà du risque financier, En d’autres termes, les investisseurs et financeurs de l’agriculture et des filières sont de plus en plus sensibles aux risques extra financiers, par exemple, la manière dont un projet à financer gère son exposition au risque climatique.

La PARM du FIDA adresse cet enjeu et accompagne les Etats et les opérateurs des filières pour mettre en œuvre des évaluations des risques en englobant les risques de production, de marché, financiers, tout en tenant compte des dimensions sociales, institutionnelles et de genre. Autant d’aspects qui sont présents dans l’approche agroécologique mis en avant par la FAO et le HLPE, comme l’a rappelé Rachel Bezner Kerr. Si le signal est encore faible, l’intensification agroécologique, qui prend en compte l’ensemble des dimensions techniques, environnementales, économiques et sociales, pourrait être vue demain, non comme une contrainte, mais comme un argument de couverture du risque face aux pressions climatiques et environnementales.

En tant que pourvoyeurs de financement pour l’économie, les banques jouent un rôle crucial dans la transition vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. « Elles sont un passeur de financement et de transition financière vers une économie plus verte », explique Guillaume Lefebvre, le directeur de l’IFCAM, l’université professionnelle du groupe Crédit agricole. Cela se concrétise à travers divers mécanismes, tels que les prêts verts, destinés à soutenir des projets écologiquement responsables et les prêts indexés, où les taux d’intérêt sont ajustés en fonction de la performance environnementale ou sociale. Mesurer cette performance repose sur des indicateurs souvent convenus entre l’emprunteur et le prêteur, permettant un suivi personnalisé et un alignement des intérêts. Le reporting extra-financier revêt ainsi une importance capitale, en identifiant les principaux moteurs de la performance et en orientant les décisions vers la durabilité. Cette approche, selon Guillaume Lefebvre, favorise une « logique d’intérêt partagé », où des performances environnementales et sociales accrues se traduisent par des avantages financiers pour les emprunteurs.

 

Le rôle clé des politiques publiques nationales et européennes

Les politiques publiques ont été décrites par les panélistes comme des éléments clés dans le déploiement de financements permettant de transformer les systèmes agricoles et alimentaires. Les politiques publiques peuvent offrir des incitations fiscales et des subventions, permettre la mise en place de garanties et de fonds de garantie afin de réduire le risque perçu par les banques commerciales. Le commissaire pour l’Agriculture de l’UEMOA, Kako Nubukpo a rappelé à ce sujet les actions mises en œuvre par l’institution régionale via le fonds régional de développement agricole (FRDA) qui a notamment pour objectif de permettre la bonification des taux d’intérêts pour que les producteurs, puissent accéder à des financements à des taux concessionnels.

Les politiques publiques ont aussi un rôle à jouer dans la création d’une demande et donc d’un marché en produits issus d’une agriculture durable via la commande publique. Gifty Narh a mentionné le cas du Burkina Faso où un décret gouvernemental a été adopté en 2017 pour prioriser les produits locaux dans les cantines scolaires et transférer ces marchés aux collectivités. Le pays a d’ailleurs publié en 2023 une stratégie de promotion de l’agroécologieafin de garantir l’accès à des marchés aux agriculteurs qui se sont engagés dans des pratiques durables. Cela représente une avancée significative mais appelle malgré tout à une réelle mise en œuvre sur le terrain. Le rôle de l’Etat dans la régulation des marchés et des intrants est également crucial, avec un potentiel important pour soutenir l’accès à des intrants alternatifs (pesticides, engrais) via des soutiens adaptés. Pour que les Etats jouent pleinement leur rôle de catalyseur dans la mobilisation de financements publics et privés, ils doivent construire et mettre en oeuvre des plans d’investissement pour le développement des filières. C’est le sens de l’accompagnement proposé par la PARM en Tunisie ou à Madagascar par exemple.

Le débat a aussi conduit à interroger les moyens dont disposent les Etats, notamment en Afrique, pour mettre en œuvre ces politiques ambitieuses. Comme mentionné plus haut, les soutiens publics à l’agriculture demeurent extrêmement faibles sur le continent. C’est la raison pour laquelle Kako Nubukpo préconise la promotion de la taxe carbone pour stimuler le développement de l’agriculture durable en Afrique. Il a rappelé que l’Afrique ne contribue qu’à hauteur de 4% des émissions de gaz à effet de serre, mais compte 17% de la population mondiale, tandis que les pays occidentaux demeurent les principaux pollueurs de la planète, ce depuis la révolution industrielle. Il plaide ainsi en faveur de la création d’un « fonds de convergence climatique » pour atténuer cette injustice et partager de manière plus équitable la responsabilité du changement climatique entre les nations.

En outre, l’intervention de Stéphane Bijoux, député européen du groupe Renew Europe et vice-président de la commission développement du Parlement, a permis de rappeler le rôle des politiques européennes dans les transformations des agricultures comme le règlement sur la restauration des écosystèmes ou celui sur la lutte contre la déforestation importée. Ces politiques ont été adoptées afin de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 55 % d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2050 de l’Union européenne. Ces règlementations entraîneront des changements pour les agricultures dans les pays du Sud, notamment pour les produits de consommation (cacao, café, etc.) mais aussi pour les produits agricoles et forestiers non alimentaires. Le député européen a insisté sur l’importance d’accompagner les pays du Sud pour que ces règlementations ne pèsent pas en termes sociaux et économiques sur les producteurs les plus vulnérables. Il a appelé l’UE à être un partenaire fiable pour une coopération efficace au service de l’atteinte des Objectifs de développement durable. Guillaume Lefebvre, directeur de l’IFCAM, a également noté que les politiques européennes issues du Pacte Vert ou de Fit for 55 sont scrutées par les banques qui financent les entreprises. En tant que financeurs de l’économie réelle, les banques surveillent les actifs « bruns »[1] des entreprises qu’elles financent à la lumière de leurs propres engagements de décarbonation.

 

Mesurer l’impact des financements et éviter l’« impact washing »

Les enjeux de la transformation de l’agriculture dans les pays du Sud sont tels qu’il apparaît nécessaire de conditionner le plus possible le financement des investissements de la transformation des agricultures à des évaluations d’impact. Des méthodologies rigoureuses sont d’ailleurs attendues par les financeurs. Des travaux universitaires, comme ceux de Esther Duflo et Abhijit Banerjee, ont conduit à l’élaboration de méthodologies complexes. Selon les opérateurs et les financeurs des systèmes agricoles, ces méthodes devraient être complétées par des cadres de suivi-évaluation pragmatiques et faciles à mettre en place, afin de mobiliser le plus grand nombre d’intermédiaires financiers. La mise en œuvre d’une comptabilité environnementale ou extra financière des entreprises et des exploitations agricoles serait un premier pas pour concilier durabilité environnementale et économique. Mais, dans les pays du Sud sa mise en œuvre est encore limitée et pose de nombreux défis.

L’évaluation de l’impact social et environnemental des investissements et des financements demeure essentielle et ce thème a suscité de nombreux débats et questionnements que la Fondation souhaite traiter. Frank Eyhorn a mentionné l’outil B-ACT, développé par la Fondation Biovision, qui permet d’évaluer ces impacts de façon claire et didactique à partir des 13 principes de l’agroécologie.

Une discussion approfondie sur l’évaluation d’impact semble nécessaire, ne serait-ce que pour éviter l’« impact washing » décrit par la vice-présidente du FIDA, faisant référence à la tendance de fonds à impact à revendiquer des résultats sociaux et environnementaux qui ne seraient pas directement dus à l’investissement. De plus, l’absence d’indicateurs harmonisés et reconnus pour mesurer l’impact environnemental et social de ces pratiques durables pose un autre problème. Sans données claires sur les effets positifs de ces pratiques, il est plus difficile de convaincre les investisseurs et les institutions financières d’engager des fonds. Ces sujets essentiels seront traités dans les prochains mois par la Fondation et au cours de sa prochaine conférence internationale le 28 janvier 2025.

 

Pour voir le replay de la table ronde 3 consacrée à ce sujet, cliquez ici

 

[1] Par opposition aux actifs verts, qui sont des investissements réalisés dans les énergies renouvelables et les projets écologiques au sens large, les actifs bruns sont, eux, intimement liés aux énergies fossiles ou néfastes à l’environnement.

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