Revenus des éleveurs, mise à mort de l’animal… Vos questions sur les élevages à travers le monde
Lors de la diffusion de notre émission Transition(s) consacrée aux systèmes d’élevage, vous avez posé de nombreuses questions à nos invités. Nous en avons sélectionné quelques-unes et les avons soumises aux trois invités présents sur le plateau : Claire Aubron, Bio Goura Soulé et Xavier Poux. Voici leurs réponses.
Quel est le rapport des sociétés (selon la diversité des systèmes de production) à l’élevage dans les différentes régions du monde ? Notamment en lien avec la mise à mort de l’animal ?
Claire Aubron, enseignante-chercheure à l’Institut agro de Montpellier, UMR SELMET : Les pratiques d’élevage – et donc les relations des éleveurs avec les animaux – sont très diverses suivant les régions du monde. On peut faire l’hypothèse que la mise à mort de l’animal se pose dans toutes les sociétés et qu’elle est résolue de manière, là-aussi, très diverses, parfois en étant investie de rites.
Dans les élevages que nous avons appelés pastoraux et intégrés à l’agriculture, on met plutôt à mort les animaux âgés, à l’issue d’une vie reproductive assez longue et au cours de laquelle ils ont fourni les différents “services” qu’on attendait d’eux (production de fumure, de lait, force de traction, etc.). C’est très différent dans les élevages intensifs spécialisés où certains animaux sont élevés uniquement pour la viande et où l’on cherche à raccourcir la durée des cycles d’élevage pour diminuer les coûts de la production de viande.
En dehors du cas de l’Inde, où l’abattage des bovins est interdit dans la plupart des États du pays, je n’ai pas connaissance de régions du monde dans lesquelles on pratique l’élevage sans aucune mise à mort des animaux. En Inde, ces interdictions s’accompagnent fréquemment dans les États d’un abandon et d’une sous-alimentation de certains animaux (mâles, femelles âgées) qui ne résout donc nullement la question de leur bien-être.
Élever des animaux pour qu’ils contribuent à l’agroécologie sans pour autant les abattre à des fins de nourriture est théoriquement possible. Cependant, cela pose des questions économiques pour les éleveurs, il faut en effet qu’ils disposent de quoinourrir les animaux et investissent du temps de travail dans leur conduite jusqu’à leur mort naturelle. Ces pratiques seraient aussi discutable en termes éthiques et philosophiques. Je conseille d’ailleurs de lire sur le sujet du rapport à la mort de l’animal les écrits de Jocelyne Porcher ou de Charles Stépanoff.
Comment expliquer que le Kenya ou l’Ouganda aient pu protéger leurs filières laitières avec des taxes à l’importation, alors que cela semble impossible pour les pays d’Afrique de l’Ouest ?
VIDÉO – Bio Goura Soulé
Bio Goura Soulé, assistant technique élevage et pastoralisme pour la CEDEAO revient dans cette vidéo sur les stratégies du Kenya et de l’Ouganda. Les deux pays ont mis en oeuvre une politique volontariste en créant des zones exclusives d’élevage et de production de lait en attirant les investissements du secteur privé et en mobilisant la production laitière notamment via les coopératives.
Il précise que de telles politiques font débat aujourd’hui en Afrique de l’Ouest. Sans protection des marchés régionaux, les décideurs de la région craignent de passer d’une dépendance aux importations européennes à celles provenant d’Afrique de l’Est. La problématique est d’autant plus complexe que l’Afrique s’engage dans la construction d’une zone de libre échange continentale. Quel est dans ce contexte le devenir du potentiel laitier de l’Afrique de l’Ouest ?
La problématique des revenus des éleveurs dans des systèmes en transformation est essentielle. Comment abordez-vous cette question dans le projet TYFA et comment redonner de la valeur aux productions d’élevage, créer des emplois et générer des revenus ?
Xavier Poux, chercheur associé à l’Iddri et consultant agronome chez AScA : Dans TYFA, l’hypothèse clé est de redéfinir les normes alimentaires aujourd’hui trop laxistes sur les productions animales (bien-être animal, qualité nutritionnelle des produits, antibiotiques, externalités…) et végétales (avec la question des pesticides dont on sait que leur évaluation est biaisée). La société civile et les politiques ne veulent plus de ces produits issus de l’agriculture industrielle. De ce fait, il y a un changement qualitatif majeur qui se traduit certes par moins de volumes produits, mais des prix aux producteurs plus élevés — et pour partie des charges plus faibles.
La question est celle de l’inévitable hausse des prix de l’alimentation dans le panier des ménages et appelle des accompagnements politiques au niveau de la production (on retrouve l’idée d’un soutien public pour minimiser les risques au niveau de la production) et de la consommation (sécurité sociale alimentaire…).
Les débats autour de l’impact environnemental de l’élevage ont longtemps porté sur l’internalisation des externalités de l’élevage intensif spécialisé. Où en est-on de ce débat ? Et quelles actions ont été entreprises de la part des politiques publiques ou d’autres acteurs en ce sens ?
Xavier Poux, chercheur associé à l’Iddri et consultant agronome chez AScA : Ce débat est toujours présent, mais il évolue. En effet, la promotion d’une métrique climat qui mesure l’impact environnemental d’une production au kg produit favorise les élevages les plus intensifs (beaucoup de Gaz à effet de serre (GES) émis, mais encore plus de tonnes de viande/lait produit = rapport GES/kg favorable). Cette approche est promue par les filières les plus intensives qui oublient deux choses.
Premièrement, l’impact final n’est pas un GES/kg mais un GES total – il faut donc multiplier par les kg produits, et là, la croissance de la production est problématique.
Deuxièmement, les impacts environnementaux ne se résument pas aux GES mais intègrent la biodiversité, la pollution des sols et des eaux et les paysages. Le gros problème que je vois est que la métrique climat, mal comprise, est reprise par les politiques et beaucoup d’acteurs de la société civile. Elle est en train de tout écraser et justifier une intensification technologique de l’élevage destructrice des systèmes d’élevage extensifs, indispensables pour la biodiversité.
Du tac au tac – retrouvez ici d’autres questions posées durant l’émission :
Est ce qu’il existe des moyens de capter le CH4 à la portée des éleveurs ?
La Fondation FARM : Certaines technologies sont en cours de développement comme les masques à méthane pour vaches, mais leur usage est encore loin d’être généralisable. Cet article vous donne quelques informations sur les masques transformant le méthane en CO2. Ces techniques sont à la portée de tous les éleveurs.
L’élevage porcin et avicole participent-ils ou peuvent-ils participer aux techniques de l’agroécologie (entrants, cycle de l’azote, etc.) ?
La Fondation FARM : Effectivement, les autres types d’élevage peuvent être conduit de manière agroécologique et participer aux bouclages des cycles de l’azote par exemple via les transferts de fertilité.
Pour prolonger vos lectures sur le sujet de l’élevage :
– Grain de Sel : environnement et agriculture, meilleurs ennemis ?
– Iddri : le scénario « Ten Years For Agroecology in Europe »
– Fondation FARM/Avril : analyse de la filière poulet au Sénégal
– Gret/Inter-réseaux : quel avenir pour le lait local en Afrique de l’Ouest ?
– Elevages sans frontières : le projet « Or gris des savanes »
– Transitions(s) : l’émission de la Fondation FARM consacrée aux légumineuses