COP28 et adaptation au changement climatique : l’enjeu des données
L’adaptation au changement climatique est au cœur des négociations de la COP28. L’agriculture, qui doit faire face à des sécheresses, vagues de chaleur ou inondations, est particulièrement concernée par ces besoins d’adaptation. Pour se faire, les modélisations climatiques basées sur des données globales et locales sont indispensables afin de mieux comprendre le climat futur et mener des transitions durables. La Fondation FARM donne la parole à Benjamin Sultan, chercheur à l’IRD, l‘Institut de recherche pour le développement afin de discuter des évolutions du climat, des possibilités d’adaptation et des enjeux liés aux données.
Fondation FARM : Pourquoi l’adaptation est aujourd’hui primordiale pour l’agriculture ?
Benjamin Sultan : Le changement climatique est une réelle menace pour l’agriculture. Les températures augmentent et exacerbent les risques de stress thermique sur les plantes et les animaux. Il y a également une hausse de la fréquence d’évènements extrêmes comme les sécheresses, les inondations… Dans les pays du Sud, ces risques pèsent sur des systèmes de production déjà fragiles et qui doivent nourrir une population en forte croissance. Bien sûr, ces risques touchent également les pays du Nord, comme la France pendant l’été 2022 qui a connu près de 3°C d’augmentation par rapport à la normale 1900-1930 avec des baisses de rendement agricole de 10 à 30 %.
Les systèmes agricoles se retrouvent aujourd’hui en déséquilibre en raison de l’évolution brusque du climat et parviennent difficilement à s’adapter. Nous avons pourtant insisté en essayant d’irriguer davantage, de mettre plus d’engrais et de pesticides. L’exemple phare est le maïs en Méditerranée, une culture fortement consommatrice d’eau qui ne résiste pas à la chaleur et qui n’est plus adaptée au climat méditerranéen.
Fondation FARM : Pourriez-vous nous expliquer ce que sont des analogues climatiques ?
Benjamin Sultan : Les analogues climatiques permettent d’appréhender et de visualiser quel va être le climat d’une zone donnée dans le futur à partir d’exemples déjà existants dans le monde actuel. Ce travail se fait à partir de simulations climatiques et a déjà été appliqué à de grandes villes.
Par exemple, à horizon 2050, on observe que le climat futur de la ville de Lisbonne va être très proche du climat actuel de la ville d’Alger. Paris sera assez proche de Madrid.
Nous avons une sorte de décalage où chaque ville peut imaginer son propre climat en descendant de quelques degrés en latitude, ou en montant de quelques degrés dans l’hémisphère Sud. En Méditerranée, nous savons que la rive Nord – autrement dit le Sud de l’Europe – devrait fortement s’assécher et devenir plus chaud. Nous retrouverons alors un climat qui ressemblera à ce que l’on connait aujourd’hui au Maroc, en Tunisie ou en Algérie.
En revanche, il existe des endroits dans le monde où il n’y a pas d’analogue climatique. Par exemple, certaines régions du Moyen-Orient vont dépasser les 50°C avec l’effet du changement climatique. Ce sont des climats que nous n’avons jamais connu ailleurs dans le monde. Nous aurons également des conditions très spécifiques dans les régions tropicales – au Sahel, voire en Amazonie – du fait d’une combinaison de forte humidité et de fortes températures engendrant des stress thermiques importants et des canicules qui pourraient être plus meurtrières dans ces régions que dans celles où les températures seront simplement plus élevées mais sans forte humidité.
Les analogues climatiques : étendue du changement des conditions climatiques dans les principales villes en 2050
Source : Bastin et al., 2019, “Understanding climate change from a global analysis of city analogues”
Comme le montre cette carte, les villes représentées par des points verts sont celles pour lesquelles les conditions climatiques futures correspondent à des climats connus aujourd’hui dans d’autres grandes villes, autrement dit qui ont des analogues climatiques identifiables. À l’inverse, les villes colorées en rouge sont celles pour lesquelles les conditions climatiques futures ne correspondent à aucun climat connu aujourd’hui dans le monde. Elles sont particulièrement concentrées en zone tropicale. La taille des points représente l’ampleur du changement entre les conditions climatiques actuelles et futures.
Fondation FARM : Dans une perspective d’adaptation, quel est l’intérêt des analogues climatiques pour le secteur agricole ?
Benjamin Sultan : Ils sont utiles pour trouver des solutions d’adaptation en identifiant des variétés ou des modes de culture dans une région qui expérimente déjà les contraintes que l’on connaitra plus tard, et où les agriculteurs se sont mis à sélectionner des variétés et à adopter des pratiques plus adaptées à ces conditions climatiques. Pour reprendre l’exemple du maïs en Méditerranée, qui va connaitre un fort assèchement, le sorgho pourrait être adopté en s’inspirant de l’exemple africain. En effet, il est sélectionné depuis des années au Sahel en raison de sa résistance aux sécheresses et aux fortes températures.
Néanmoins, ces pratiques agricoles importées doivent également s’adapter aux facteurs culturels – être acceptées par les agriculteurs et s’intégrer dans le paysage – et aux facteurs socio-économiques, en répondant à une demande et à un marché.
Fondation FARM : Dans l’une de vos récentes publications, vous évoquez le besoin de renforcer les réseaux d’observation, en particulier sur le continent africain. Pourriez-vous nous expliquer les enjeux derrière ce manque de données ?
Benjamin Sultan : Il y a effectivement des disparités assez fortes en termes d’informations, en particulier en Afrique. Le réseau d’observation y est moins dense et de moindre qualité, limitant nos capacités d’études sur l’évolution du changement climatique et de ses conséquences. Les conflits récents entravent également l’accès aux données avec de moins en moins d’observations pour caractériser l’effet du réchauffement climatique. Néanmoins, nous pouvons continuer à collecter des données – sous certaines conditions – via les partenaires de l’IRD, notamment au Niger et au Burkina Faso. Malgré tout, il y a des régions comme le Mali où l’IRD avait des réseaux d’observation sur la végétation, l’agriculture ou le pâturage depuis des dizaines d’années et qui sont aujourd’hui inaccessibles pour des raisons d’insécurité.
Le partage des observations est également essentiel. En Afrique – en tout cas, dans les régions que je connais – il y a un problème de transparence car la donnée n’est pas publique. Elle est très peu partagée et, même si elle existe, elle ne sera pas utilisée par la recherche pour les prévisions météorologiques. Elle peut également être de mauvaise qualité car elle n’est pas soumise à vérification par des pairs. Dès lors, les réflexions sur l’adaptation-même peuvent se faire à partir de données anciennes ou de mauvaise qualité.
Pour les modélisations et les analogues climatiques, nous utilisons des données globales qui vont intégrer des images satellites couvrant l’ensemble du globe. Afin d’évaluer et de valider ces données, elles peuvent être combinées à des données provenant de stations locales. Cela veut dire que nous utilisons souvent dans nos études ou même dans les rapports du GIEC des jeux de données qui comportent plus d’incertitudes pour les pays du Sud, là où elles sont très fiables pour les pays du Nord[1].
Au niveau de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), il y a également des trous dans le système d’information au niveau des pays africains[2]. Près d’un quart des observations n’arrivent jamais à l’OMM. Cela est dû à une multitude de facteurs : le réseau ne marche pas, les données ne sont pas transmises, il y a un conflit à tel endroit…
Depuis la COP21, des programmes sur le sauvetage des données, sur l’utilisation des données elles-mêmes, sur les systèmes d’alerte précoce ont tout de même vu le jour. Le programme CREWS (Climate Risk and Early Warning Systems) a par exemple été porté en partie par la France au moment de la COP21. Cependant, les disparités de données persistent entre les pays du Nord et du Sud.
Fondation FARM : Que peut-on attendre de la COP28 ?
Benjamin Sultan : C’est une COP vraiment importante parce qu’elle va permettre de faire le premier bilan mondial de l’Accord de Paris. Nous savons déjà que nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire et qu’il va falloir la corriger. Dans le même temps, pour les pays du Sud, il y a de nombreux enjeux. Nous, pays du Nord, leur demandons de changer de modèle, de ne pas prendre la même trajectoire que nous sur les énergies, bien qu’ils n’aient pas les moyens financiers de le faire pour l’instant. Une attente particulière portera sur le bilan mondial de l’adaptation afin de mieux diriger les efforts. Ce bilan devra répondre à deux questions : Comment mesure-t-on l’adaptation ? Et quels sont les pays dans lesquels l’adaptation se fait ou ne peut pas se faire pour cause d’un manque d’investissement ?
Les enjeux d’adaptation sont donc multiples. D’abord, en termes de données, il est primordial de pouvoir accéder à des informations de qualité sur le temps long afin de dégager des tendances fiables sur les évènements extrêmes liés au changement climatique et de mieux comprendre le climat futur de certaines régions très vulnérables.
Avec un décalage des biogéographies en latitude, le transfert de connaissance est également primordial aussi bien des Nords vers les Suds que des Suds vers les Nords, tout particulièrement en ce qui concerne les pratiques agricoles, les variétés plus adaptées, etc.
[1] Les difficultés d’évaluation des performances des modèles de climat en Afrique tiennent également à la forte variabilité naturelle des précipitations en Afrique comme le précise Benjamin Sultan dans son article : https://theconversation.com/secheresses-en-afrique-et-rechauffement-climatique-attention-aux-raccourcis-191447
[2] https://public.wmo.int/en/resources/library/2020-state-of-climate-services-report; https://theconversation.com/secheresses-en-afrique-et-rechauffement-climatique-attention-aux-raccourcis-191447