Amérique latine : un paysage contrasté des soutiens publics à l’agriculture
L’Observatoire de FARM a permis de constater la grande disparité des niveaux de soutien public à l’agriculture en Amérique latine. Quelles en sont les raisons et quels sont les défis agricoles et politiques majeurs de cette région ? Carmine Paolo De Salvo, expert en développement rural à la Banque interaméricaine de développement (BID), nous donne son éclairage.
Fondation FARM : Pourquoi les niveaux de soutien à l’agriculture en Amérique latine sont si faibles ?
Carmine Paolo De Salvo : Les niveaux de soutien public varient considérablement selon les régions d’Amérique du Sud. Les régions agricoles les plus compétitives comme le Brésil, l’Argentine ou le Paraguay bénéficient d’un faible soutien, voire d’un soutien négatif (ndlr : il s’élève respectivement à 4 %, -18 % et 2 % de la valeur de la production agricole). L’Argentine, par exemple, impose des taxes sur les exportations agricoles.
À l’inverse de ces grands exportateurs de produits agricoles, d’autres pays importateurs de produits agroalimentaires prennent des mesures de protection pour soutenir leur agriculture. C’est le cas de la Colombie, du Pérou et de la Bolivie, trois pays de la côte ouest. Ces mesures se font sous forme de barrières commerciales, alors que le budget public alloué à l’agriculture reste assez limité. Ce constat est similaire en Amérique centrale, où le soutien budgétaire à l’agriculture est faible et souvent compensé par la mise en place de restriction aux frontières.
F.F. : La pandémie de Covid-19 a eu des conséquences sur les financements publics en Amérique latine, quel a été l’impact sur le secteur agricole ?
C.P.S. : L’impact a été considérable, se déroulant en trois phases successives. Initialement, durant la première année, l’agriculture a été considérée comme un secteur essentiel et a connu une relative stabilité en termes de production. À partir de la deuxième année, la situation s’est aggravée avec des impacts sur l’ensemble des chaînes de valeur et des difficultés de distribution. Les ressources financières ont été mobilisées en priorité pour répondre à l’urgence sanitaire, ce qui a eu pour conséquence une réduction des budgets publics alloués à l’agriculture dans les pays de la région. Finalement, la troisième phase a été marquée par une augmentation notable de l’insécurité alimentaire, qui a connu une accélération plus rapide que dans d’autres régions du monde.
F.F. : Après cette pandémie, la sécurité alimentaire pose des défis majeurs pour l’Amérique latine, bien que les perspectives de soutien soient limitées…
C.P.S. : En effet, il est peu probable d’avoir des évolutions significatives dans la forme actuelle du soutien à l’agriculture au sein de cette région. Cependant, pour garantir la sécurité alimentaire, il est essentiel de consentir plus d’efforts budgétaires pour améliorer la disponibilité des denrées alimentaires. Les pays de la région peuvent profiter de leurs marges d’accroissement de la production pour renforcer leur souveraineté alimentaire. Toutefois, les problématiques liées au climat imposent des limites importantes à l’agriculture et ces efforts doivent prendre en compte ces contraintes.
F.F. : Même si elle est responsable d’une part importante des émissions de gaz à effet de serre, l’agriculture peut-elle jouer un rôle clé dans la lutte contre le changement climatique dans la région grâce à des pratiques agricoles durables ?
C.P.S. : La protection de l’environnement est de plus en plus intégrée dans les politiques agricoles en Amérique latine. De nombreux pays ont mis en place des programmes pour encourager des pratiques agricoles plus durables afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et préserver la biodiversité. Par exemple, l’Uruguay a lancé un programme national de gestion durable des terres qui vise à promouvoir des pratiques agricoles durables et à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole. Au Costa Rica, des programmes de paiement pour services environnementaux sont en place pour inciter les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles durables et à préserver la biodiversité. De même, le Pérou a mis en place des politiques pour encourager la gestion durable des terres et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment à travers des programmes de reforestation et de protection des forêts. En somme, bien que l’importance accordée à la protection de l’environnement dans les politiques agricoles est variable, de plus en plus de pays en Amérique latine prennent conscience de l’importance de promouvoir une agriculture durable et respectueuse de l’environnement.