Afrique du Nord–États-Unis : les chiffres clés d’un commerce en mutation
Après une analyse consacrée à la dynamique globale des exportations agricoles nord-africaines montrant une forte croissance et l’importance du débouché européen, FARM explore les échanges avec les États-Unis depuis 2012. Dans un contexte marqué par les annonces de Donald Trump sur un durcissement des politiques commerciales américaines, nous examinons la répartition entre produits bruts et transformés, les filières dominantes par pays, ainsi que les risques liés au marché américain.
Le deuxième volet de l’analyse sur les exportations nord-africaines s’insère dans une série de publications consacrée aux dynamiques et mutations des exportations agricoles et alimentaires africaines, retrouvez ces analyses sur : https://fondation-farm.org/publications/
Entre 2012 et 2023, les exportations agricoles des pays d’Afrique du Nord vers les États-Unis ont quasi triplé (+148 %) en valeur, passant d’environ 340 millions USD à 843 millions USD. Cette croissance, plus rapide que celle des exportations nord-africaines tous marchés confondus (+139 % sur la même période), reflète l’émergence du marché américain comme débouché significatif bien qu’encore secondaire. En 2023, les États-Unis absorbent environ 5 % des exportations agricoles totales de l’Afrique du Nord (hors Afrique), loin derrière l’Europe (environ 13 %). Néanmoins, cette part est en hausse et le marché américain joue un rôle stratégique pour certains produits de niche et à forte valeur ajoutée que la région exporte.
Plus de 90 % des exportations nord-africaines vers les États-Unis sont constituées de denrées alimentaires, confirmant le profil essentiellement agroalimentaire de ces échanges. En 2023, la part des produits non alimentaires reste inférieure à 7 %. Cette configuration est comparable à celle observée sur d’autres marchés majeurs– Europe et Moyen-Orient – où les produits comestibles dominent également (article précédent). Le commerce agricole avec les États-Unis se concentre donc quasi exclusivement sur les filières alimentaires : fruits, légumes, huiles, dattes, etc.
Graphique 1
Le Maroc relégué à la 3ème place
En ce qui concerne la répartition par pays, le Maroc, premier exportateur en 2012 voit l’Egypte et la Tunisie lui passer devant. L’Égypte confirme sa place de premier exportateur agricole de la région y compris vers les États-Unis (387 millions USD). Ce chiffre, en hausse remarquable depuis 2012 (+290 %), ne représente toutefois que 6 % des exportations agroalimentaires égyptiennes et les États-Unis restent un débouché secondaire pour l’Égypte par rapport à ses marchés principaux que sont le Moyen-Orient, l’Europe et désormais l’Asie.
La Tunisie a vu ses exportations vers les États-Unis doubler sur la décennie, faisant des États-Unis son troisième marché à l’exportation agricole.
À eux trois, l’Égypte, la Tunisie et le Maroc représentent l’essentiel (plus de 98 %) des exportations agricoles nord-africaines vers le marché américain. L’Algérie ne contribue qu’à une fraction très modeste (moins de 2 %) de ces flux en 2023.
Un marché américain friand des produits transformés
Le marché américain se démarque du marché européen par une forte demande de produits transformés à plus forte valeur ajoutée. En 2023, environ 77 % des exportations agricoles nord-africaines vers les États-Unis étaient des produits transformés (huiles, conserves, préparations alimentaires, fruits et légumes surgelés), contre seulement 23 % de matières premières brutes. Cette proportion souligne une montée en gamme plus prononcée des exportations vers les États-Unis par rapport aux autres destinations.
Graphique 2
Que vend l’Afrique du Nord aux États-Unis ? Produits phares et évolution depuis 2012
L’évolution positive des exportations nord-africaines vers les États-Unis est largement portée par le succès de certaines filières phares : l’huile d’olive conditionnée, les fruits comestibles (fruits frais et surgelés) et les préparations de fruits et légumes (conserves, jus, etc.). Comme la plupart des produits concernés sont transformés, l’accès aux marché américain permet aux pays d’Afrique du Nord de capter davantage de valeur ajoutée sur leurs exportations agricoles. Ce gain constitue un levier important pour le développement des filières agricoles de la région.
Graphique 3
Source : FARM, d’après données CEPII (BACI, 2025)
Panorama par pays : quelles spécialités agricoles vers les États-Unis ?
Malgré une base commune dominée par les fruits, légumes et huiles, chaque pays nord-africain a développé une spécialisation pour ses exportations sur le marché américain.
- Égypte : diversification progressive vers des produits à valeur ajoutée
L’Égypte a fortement accru ses exportations agricoles vers les États-Unis, de 99 millions USD en 2012 à 387 millions USD en 2023. Les exportations égyptiennes vers les États-Unis se concentrent sur quelques catégories phares :
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- Les préparations de fruits et légumes constituent 34 % des exportations de produits agricoles égyptiennes vers les États-Unis. La valeur de ces exportations a été multipliée par quatre en l’espace d’une décennie, pour atteindre 131 millions USD en 2023. Il s’agit notamment des préparations de pommes de terre (31 millions USD), d’olives (24 millions USD), de confitures, gelées, purées… (20 millions USD) ou encore de jus de fruits (13 millions USD).
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- Les fruits comestibles représentent pas moins de 24 % des exportations agricoles (94 millions USD) et sont composés de fruits séchés (68 millions USD) et de fraises et framboises fraiches ou surgelées (26 millions USD).
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- D’autres catégories comme les « légumes, racines et tubercules alimentaires» (53 millions USD), les épices (24 millions USD) ainsi que les plantes industrielles à usages médicale, parfumerie, insecticides… (25 millions USD) pèse ensemble 26 % des exportations à destination du marché américain.
Graphique 4
- Tunisie : l’huile d’olive et les dattes, piliers des exportations
Pour la Tunisie, le marché américain revêt une importance particulière. En 2023, les exportations agricoles tunisiennes vers les États-Unis ont atteint 241 millions USD, soit près de 17 % de ses exportations agroalimentaires mondiales (une proportion bien plus élevée que pour ses voisins). Les deux piliers de l’export agricole tunisien sur le marché nord-américain sont l’huile d’olive conditionnée et les dattes. Longtemps exportée en vrac vers l’Europe, l’huile d’olive tunisienne est désormais de plus en plus conditionnée pour l’exportation directe vers des marchés comme les États-Unis. En 2023, environ 24 % de l’huile d’olive tunisienne exportée a été vendue sur le marché américain. Elles ont plus que doublé entre 2012 et 2023, passant de 104 à 215 millions USD.
L’autre succès tunisien sur le marché américain est les exportations de dattes. Malgré une croissance modeste de 18 % entre 2012 et 2023, le pays est le premier fournisseur de dattes aux États-Unis selon le Quotidien tunisien.
Cette performance tunisienne sur le marché américain a largement contribué à la hausse de la part des produits transformés dans les exportations régionales, notamment avec l’huile d’olive conditionnée qui est un produit à forte valeur ajoutée.
Graphique 5
- Maroc : percée des agrumes
Le Maroc aborde le marché américain avec une orientation spécifique, centrée principalement sur les fruits frais. En 2023, ses exportations agricoles vers les États-Unis se sont élevées à 205 millions USD, ce qui représente seulement 3 % de ses exportations agroalimentaires totales, le Maroc étant très tourné vers l’Union européenne. Néanmoins, cette valeur a progressé (+ 68 % par rapport à 2012) et traduit une intérêt croissant pour le marché américain.
Les exportations sont concentrées principalement sur les agrumes, en particulier des clémentines et mandarines qui représentent près de la moitié (49 %) des produits agroalimentaires marocains en direction du marché américain. Outre les agrumes, le Maroc exporte vers les États-Unis quelques produits transformés. Parmi ces derniers figurent les olives préparées et leurs conserves (15 %) et de l’huile d’olive en plus petite quantité que la Tunisie (6 %).
Le Maroc bénéficie d’un accord de libre-échange avec les États-Unis depuis 2006, qui a supprimé la plupart des barrières tarifaires sur ses produits agricoles, hormis quelques contingents tarifaires sur des produits sensibles. Malgré cet avantage, ses exportations vers le marché américain restent modestes comparées à celle de ses voisins égyptiens et tunisiens, et demeurent largement concentrées sur l’Union européenne, au risque d’une dépendance excessive à ce marché.
Graphique 6
- Algérie : une présence quasi inexistante
L’Algérie fait figure d’exception par sa très faible insertion dans le commerce agricole. Ses exportations agricoles vers les États-Unis sont anecdotiques, de l’ordre de 10 millions de dollars seulement en 2023 (sur un total régional de 843 millions). L’Algérie exporte principalement des dattes vers les États-Unis, pour environ 95 % de ses exportations vers ce marché. Des entraves structurelles – faible compétitivité agricole et priorité donnée à l’approvisionnement du marché interne – pourraient expliquer ce contraste avec celui des trois autres pays d’Afrique du Nord.
Graphique 7
Un marché américain moins ouvert : un risque pour l’Afrique du Nord ?
Les derniers mois ont vu un durcissement de la politique commerciale des États-Unis, avec le renforcement de barrières tarifaires visant de nombreux pays. L’Afrique du Nord, bien que partenaire modeste, n’échappe pas à cette tendance qui de traduit par des droits de douane plus élevés sur les produits importés par les États-Unis et constitue une source de préoccupation majeure pour la région.
Cette préoccupation est devenue réalité pour la Tunisie. Depuis le 7 août 2025, les États-Unis appliquent des droits de douane supplémentaires de 25 % sur tous les produits en provenance de Tunisie. Officiellement, cette mesure s’inscrit dans la volonté de la nouvelle administration américaine de rééquilibrer des échanges jugés déficitaires pour les USA. Elle s’insère dans un mouvement plus large de hausse drastique des tarifs visant de nombreux pays exportant plus vers les États-Unis qu’ils n’importent, dans le sillage d’une politique commerciale américaine plus protectionniste annoncée en avril dernier. Bien que la Tunisie ne représente qu’une part infime du commerce extérieur des États-Unis, elle figure parmi les pays ciblés et se voit infliger cette surtaxe sur ses exportations agricoles vers le marché américain.
Les conséquences potentielles de ce resserrement tarifaire sont significatives. Les exportations vers les États-Unis, dominées par l’huile d’olive et les dattes, risquent de perdre en compétitivité. En effet, le Quotidien tunisien souligne que jusqu’à récemment, les dattes tunisiennes entraient en franchise de droits aux USA et l’huile d’olive bénéficiait du Système de préférences généralisées (SPG) américain, ce qui limitait la taxation. Avec +25 % de droits de douane, ces produits phares deviendraient mécaniquement plus chers sur le marché américain, au risque de voir chuter la demande ou de se faire évincer par des concurrents (Espagne, Maroc, pour l’huile d’olive ; Algérie ou autres pays pour les dattes). La surtaxe pourrait fortement entamer la compétitivité de l’huile d’olive et des dattes tunisiennes, sauf si des politiques agricoles viennent compenser ce surcoût. Or, en 2023, les États-Unis représentaient plus de 24 % de la valeur des exportations tunisiennes d’huile d’olive, une part non négligeable pour la filière.
Pour les autres pays d’Afrique du Nord, le risque est également présent bien que moins prononcé. Le Maroc, grâce à son accord de libre-échange bilatéral, devrait en théorie être protégé contre les barrières tarifaires unilatérales. Néanmoins, des droits de douane de 10 % ont été annoncés à partir du 7 aout, une mesure qui concerne également l’Egypte.
Bien que le marché américain soit un débouché mineur pour ces deux pays (respectivement 3 % et 6 % des exportations agroalimentaires du Maroc et de l’Égypte), ces mesures protectionnistes pourraient compromettre une source de croissance future de leurs exportations.
De manière générale, un repli du marché américain constituerait un signal négatif pour l’Afrique du Nord. Il rappellerait la vulnérabilité d’une stratégie trop concentrée sur quelques marchés et quelques produits. Afin de contrebalancer les mesures américaines et de réduire leur dépendance à certains débouchés, les pays de la région devraient chercher de nouveaux partenariats économiques pour se diversifier, notamment vers les marchés émergents, et notamment la Chine.