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Le chanvre industriel en Afrique australe, un secteur en devenir

Publié le 14 juillet 2025
par Marie-José Neveu-Tafforeau et Henri de Villeneuve (COBASA – France & Afrique du Sud [1])
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La culture du chanvre industriel a le vent en poupe à l’échelle du globe, bien que cantonnée à une faible surface (à peine 200 000 ha). En Afrique australe, elle en est à son balbutiement, avec des perspectives de développement prometteuses en attendant la construction d’une chaîne de valeur solide.

 

Une production discrète mais stratégique en France

 

Si une production demeure encore discrète en France aux yeux du grand public, c’est bien celle du chanvre industriel [2] qui pourtant hisse la France en leader européen de la production avec 38 % des surfaces de chanvre européennes en 2024 selon Interchanvre, l’organisation interprofessionnelle de la filière. Au niveau mondial, la France se positionne au 3ème rang des producteurs après la Chine et le Canada. La culture de chanvre n’occupe que 24 000 ha en 2024 en France (comparé à plus de 8,5 millions ha de céréales) mais couvre entre 10 et 15 % de la rotation agricole des agriculteurs chanvriers.

Le chanvre est une production végétale intéressante au regard de la durabilité. Excellente tête de rotation grâce à ses racines profondes, elle ne nécessite pas de produits phytosanitaires. Elle est peu consommatrice d’eau et capte du CO2 à hauteur de 9 à 15t /ha/an selon Interchanvre. C’est aussi un profil parfait pour les plans de sobriété énergétique, notamment par ses vertus d’isolation en construction. Les débouchés sont d’ailleurs multiples, allant du papier à la construction, l’isolation, le paillage ou encore la cosmétique ou les biomatériaux, la plasturgie, l’alimentaire et le textile. Toutefois, les chanvrières (usines de 1ère transformation) ne peuvent satisfaire des marchés en demande croissante, encourageant ainsi, année après année, de nouveaux investissements, dont récemment, celui de Planète Chanvre pour 15 M€, à l’Est de Paris, dans le but de tripler la capacité de transformation du chanvre en 5 ans passant de 5000 à 16 000 tonnes annuelle. On note aussi le démarrage de nouvelles zones de production avec Berry Chanvre, par exemple, à côté des gros opérateurs que sont Cavac et la Chanvrière ou d’autres, dans le sud-ouest, comme Virgo Coop. Ces entreprises disposent d’une expérience et d’une expertise solide, qu’elles pourraient partager avec d’autres acteurs et pays où le chanvre est en développement.

 

Le chanvre, une culture prometteuse pour l’Afrique australe

 

Dans certains pays du continent africain, et notamment en Afrique du Sud, le chanvre est vu par les instances gouvernementales comme une plante à développer pour ses importants débouchés mais aussi une opportunité pour impliquer les petits producteurs dans des filières dynamiques (voir l’interview de Davison Chikazunga à la fin de l’article).

Grâce à un FASEP [3] un groupe d’experts français (spécialisé en agronomie, génétique, transformation, marchés) a apporté son soutien et son expertise pour le développement de cette filière naissante en Afrique du Sud. À la suite du diagnostic, ces experts ont apporté des recommandations, que cela soit en termes de zones de production, de génétique, de transformation et surtout d’organisation et de construction des différentes chaînes de valeur (graine, fibre ou chènevotte) pour répondre aux demandes des marchés spécifiques.  Le secteur du chanvre a, en effet, la particularité d’être « industriel », en ce sens qu’il nécessite non seulement un équipement de récolte adapté, mais aussi des usines de première transformation (une chanvrière) contenant une décortiqueuse, et enfin une technologie pour une seconde transformation vers le produit fini. La France, par exemple, dispose d’un modèle d’intégration et d’organisation performant avec sept chanvrières réparties sur le territoire.

Avec le chanvre, les débouchés ne manquent pas et l’Afrique du Sud a misé sur cette production depuis plusieurs années au travers un Master plan que le pays souhaite déployer pleinement. Des perspectives prometteuses se font jour dans le secteur de la construction notamment, puisque des édifices en brique de chanvre existent déjà, pour le moment construits majoritairement avec du chanvre importé. D’autres initiatives démarrent en cosmétique et alimentation. D’autres pays de la zone australe ont aussi autorisé la production de chanvre comme le Botswana, le Malawi ou le Zimbabwe.

Les développements en Afrique du Sud, et ailleurs dans la région, sont contraints par la nécessité d’aligner les maillons de la chaîne de valeur jusqu’aux produits finis. Penser à l’amont, y compris la recherche, la réglementation, les itinéraires techniques, les zones de production, avec l’outil de décorticage et bien entendu la livraison aux clients finaux, évoluant dans un marché solvable, est indispensable.

Cela pose la question de construire durablement toutes les pièces d’un puzzle pour aboutir à une filière durable. Comme indiqué dans les recommandations de la mission FASEP, cela se construit à petits pas pour gagner en expertise et savoir-faire, sur le temps long. En Afrique australe, le partage d’expériences peut clairement accélérer l’acquisition de compétences.

 

Construire une filière techniquement et économiquement viable

 

Les initiatives autour du chanvre et les projets sont nombreux en Afrique du Sud, tant au niveau de la sélection de semences, de la formation des producteurs, de la transformation à petite échelle ou des essais techniques et technologiques dans l’ensemble du pays et particulièrement dans trois zones de production que sont le Gauteng, KZN, Eastern Cape. Le pays dispose d’universités travaillant les sujets relatifs au chanvre et d’un centre de recherche et développement technologique sur la fibre dans l’Eastern Cape capable d’apporter des solutions technologiques pour répondre aux débouchés. La suite de la construction de la chaine de valeur est à solidifier pour répondre à un marché demandeur qui provoquera la production et l’organisation de l’amont. L’argent public est un levier pour la mise en place de projets pilotes validant sur le terrain les itinéraires techniques permettant de calculer les coûts de production et, finalement, de valider la faisabilité des investissements. Ces derniers sont attendus pour développer des projets dans des secteurs porteurs comme les cosmétiques, l’alimentation, la construction ou encore le textile où les investisseurs doivent être rassurés sur la solidité de la filière.

De grandes exploitations agricoles souhaitent intégrer le chanvre dans leur rotation culturale, tandis que des petits producteurs ont déjà commencé à le cultiver à petite échelle. Des structures de recherche et développement explorent les débouchés possibles et travaillent sur la sélection variétale. Il reste à consolider la chaîne de valeur, à vérifier sa solidité et son efficacité pour répondre aux demandes des marchés, conditions nécessaires au développement des filières du chanvre. Cela représente une vraie opportunité de coopération entre le secteur public et privé, notamment entre la France et l’Afrique du Sud.

Photos : Hotel construit avec du chanvre industriel au Cap en Afrique du Sud (Photos : Marie-José Neveu-Tafforeau, juin 2024).

 

« Le chanvre, une culture dominée par les petits exploitants aux perspectives nombreuses »

Interview de Davison Chikazunga, coordinateur du Center for Ecological Intelligence à l’Université de Johannesburg

 

Quelles sont selon vous les perspectives de développement du chanvre et de ses usages industriels en Afrique du Sud ?

 

Il y a un certain optimisme autour de l’industrie du chanvre en Afrique du Sud. Cet engouement s’explique par trois raisons principales. Premièrement, la politique réglementaire s’assouplit, l’obligation d’obtenir un permis pour cultiver du chanvre a été allégée, il n’est plus nécessaire d’obtenir un certificat de police ni d’installer des clôtures. Deuxièmement, la limite de THC a été relevée de 0,02% à 2%. Enfin, on observe une augmentation des initiatives de financement. La Land Bank propose un produit pour soutenir la culture du chanvre, le DTIC développe des instruments financiers pour accompagner la commercialisation et les autorités locales financent des études de faisabilité et des projets pilotes.

 

Quels sont les principaux enjeux pour le secteur du chanvre ?

 

Les principaux enjeux concernent la formation, la réglementation, les marchés et le financement. Côté formation, il existe un déficit de connaissances chez les agriculteurs et les institutions d’accompagnement concernant la culture et la transformation du chanvre. Il manque aussi une orientation politique claire sur la commercialisation des produits à base de chanvre. Il existe également un vide réglementaire concernant les niveaux sûrs de cannabinoïdes dans les aliments pour animaux et pour humains. Les marchés du chanvre ne sont pas encore bien développés et le chanvre est perçu comme un investissement risqué. Malgré les avancées notables, les banques et les bailleurs de fonds manquent de connaissances pour développer des produits financiers adaptés.

 

Quel rôle jouent les petits producteurs et les PME dans le développement de l’industrie du chanvre en Afrique du Sud ?

 

Actuellement, la culture du chanvre est dominée par de petits agriculteurs. Les grandes exploitations montrent peu d’intérêt sur cette culture. La plupart des agriculteurs cultivent du cannabis IKS (selon les méthodes traditionnelles), qui n’est pas du chanvre industriel, et seuls quelques-uns produisent du chanvre industriel.

 

La majorité des PME jouent un rôle significatif dans les produits cosmétiques et de bien-être. Un modèle de développement agricole inclusif est nécessaire pour promouvoir et développer la culture du chanvre. Ce modèle doit reposer sur les piliers suivants : formation/compétences/incubation, intrants avec des semences adaptées et de la mécanisation ainsi qu’un accompagnement technique et l’accès aux marchés pour les produits de première et de deuxième transformation.

 

Pouvez-vous décrire des partenariats ou collaborations réussis entre petits producteurs de chanvre ou PME et de plus grandes entreprises ou organisations en Afrique du Sud ?

 

Il existe quelques études de cas (Medigrow, Afrimat, Eastern Cape Rural Development Agency), mais elles rencontrent des difficultés. De nombreuses initiatives sont financées au niveau provincial, mais la conception des projets n’intègre pas la durabilité, et le financement repose principalement sur des subventions.

 

L’Université de Johannesburg met en place un incubateur pour soutenir les agriculteurs et les PME dans les chaînes de valeur agricoles. GROW Hemp, un incubateur agricole, prévoit un projet pilote de 1 000 hectares, structuré autour de quatre pôles agro-industriels provinciaux.

 

Quelles tendances futures anticipez-vous pour l’industrie sud-africaine du chanvre ?

 

Les perspectives sont positives. Le gouvernement, via le DTIC, élabore un cadre de commercialisation et les gouvernements locaux financent des projets pilotes et des études de faisabilité. Certains sous-produits du chanvre sont en cours de test pour la commercialisation (alimentation animale, produits à base de CBD, cosmétiques, biocarburant et biochar). On observe également une demande croissante pour l’utilisation du chanvre dans la phytoremédiation et le développement des marchés du crédit carbone, ce qui rend le chanvre attractif. De plus, l’obligation de mélange des carburants augmentera la demande de chanvre, qui pourrait représenter jusqu’à 20 % des besoins en biocarburants.

 

[1] COBASA – Basée en Afrique du Sud depuis 2001, COBASA est une société de conseil et d’investissement en Afrique australe particulièrement en agrobusiness. Depuis 3 ans COBASA s’est investie sur le développement du chanvre industriel en Afrique australe notamment à travers l’obtention du FASEP chanvre Afrique du Sud en 2024.

[2] Le chanvre industriel est une culture sous autorisation, les semences sont certifiées et assurent une production avec moins de 0,3 % de THC.

[3] FASEP : Fonds d’études et d’aide au secteur privé, est une facilité de la Direction générale du Trésor au ministère des Finances en France. Le Fasep Chanvre Afrique du Sud a été conclu entre la Chanvrière, l’ARC, Cobasa et la DG Trésor et suivi par un comité de suivi composé d’associations, de Fondations, dont la Fondation FARM et d’acteurs du chanvre français.

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