L’agriculture peut-elle accéder aux marchés du carbone ?
Les liens entre secteur agricole et changement climatique sont complexes. L’agriculture est à l’origine de 13,5% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Elle émet principalement du méthane et du protoxyde d’azote, deux gaz au fort potentiel réchauffant. Mais, elle est aussi un des secteurs les plus touchés par les conséquences du changement climatique. Certains auteurs considèrent que les pertes agricoles pourraient être à l’origine d’une baisse de plus de 2% du PIB mondial à partir de 2030., En revanche, le secteur agricole dispose d’un potentiel d’atténuation du changement climatique important, Ce potentiel pourrait atteindre six milliards de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit environ 13% des émissions mondiales. Il provient principalement de la capacité de séquestrer le carbone atmosphérique dans la biomasse et dans les sols, grâce à la gestion de la photosynthèse et à certaines pratiques agricoles.
Or, les règles du protocole de Kyoto ne sont pas favorables à la valorisation de ce potentiel. En effet, les sols ne sont pas reconnus comme des puits de carbone. Ceci est justifié par la réversibilité de la séquestration : un changement de pratique agricole ou un accident, tel qu’un feu de forêt, peuvent relâcher le carbone stocké. Certes, le mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto autorise les pays en développement à générer des crédits carbone qui peuvent être vendus sur les marchés internationaux du carbone. Mais dans ce cadre, seuls les projets d’agroforesterie et de réduction des émissions de méthane ou de protoxyde d’azote agricoles sont autorisés. En outre les procédures de validation sont longues et lourdes.
Les marchés volontaires ne reposent pas sur les règles du protocole de Kyoto, mais les projets agricoles y sont tout de même très peu nombreux. Ils représentent environ 3% des transactions. Ceci peut s’expliquer par différents facteurs. D’une part, les quantités de carbone séquestrées dans le sol varient fortement, dans le temps et dans l’espace, en fonction des pratiques agricoles, du type de sol et du climat Un lien précis entre une pratique agricole et une quantité de carbone séquestrée est difficile à établir. Les mesures ex-post indispensables pour identifier des crédits carbone valorisables demandent du temps et des moyens importants. D’autre part, les coûts de transaction liés à la dispersion des acteurs et à la réversibilité de la séquestration, sont élevés et limitent le nombre de projets rentables, notamment dans les pays en développement.
La valorisation du potentiel agricole ne viendra pas seulement d’une modification des règles des marchés ou des techniques mais également d’une volonté politique d’inclure le secteur agricole dans les mécanismes de lutte contre le changement climatique. Cette volonté est en train d’émerger mais n’est pas consolidée pour l’instant. Inclure le secteur agricole permettrait de favoriser le développement de systèmes de production plus durables, fournirait une façon de rémunérer les agriculteurs pour un service environnemental et aiderait à intégrer la question du changement climatique dans les trajectoires de développement.
Une attention particulière doit continuer à être accordée aux pays du Sud, notamment aux pays les moins avancés. En effet, la prise en compte de l’agriculture dans le régime climatique ne doit pas être en conflit avec la lutte contre la sécurité alimentaire, avec le développement agricole et le développement économique et social des pays les plus pauvres. Des compromis seront probablement nécessaires.