COP28 : quel bilan pour l’agriculture et l’alimentation ?

La COP28 s’est achevée mercredi 13 décembre sur un accord majeur appelant à « transitionner hors des énergies fossiles […] de manière juste, ordonnée et équitable […] afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques ». On note également des avancées marquantes tout au long de la COP comme la concrétisation du fonds « pertes et dommages » ou encore la place plus importante accordée à l’agriculture. La Fondation FARM propose un bilan des négociations et des déclarations concernant l’agriculture et l’alimentation.

Déclaration commune sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique

Au deuxième jour de la COP28, les discussions ont permis d’aboutir à une déclaration sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique, signée par 158 membres. A travers ce texte, les pays signataires reconnaissent que les systèmes alimentaires doivent impérativement s’adapter et se transformer afin de répondre aux impératifs du changement climatique. Ils se fixent collectivement 5 objectifs : le développement d’activités d’adaptation et de résilience ; la promotion de la sécurité alimentaire et de la nutrition ; le soutien des producteurs dont les petits exploitants agricoles et les pêcheurs traditionnels ; le renforcement de la gestion intégrée de l’eau dans les systèmes alimentaires ; et la maximisation des co-bénéfices climatiques et environnementaux associés aux systèmes alimentaires. Ce dernier intègre timidement la nécessité de passer de pratiques très émettrices en gaz à effet de serre à des approches de production et de consommation plus durables – sans faire directement mention des énergies fossiles.

Pour atteindre ces objectifs, ils s’engagent à intégrer des mesures de transition des systèmes alimentaires à leurs plans nationaux d’adaptation, à leurs Contributions Déterminées au niveau National (CDN/NDC), à leurs stratégies pour la biodiversité et à leurs stratégies de long terme, d’ici fin 2025 et incluant un premier bilan fin 2024.

Afin d’assurer la mise en œuvre de ces engagements, des annonces ont été faites, à l’image du partenariat pour les systèmes alimentaires, l’innovation agricole et l’action climatique entre les Emirats Arabes Unis et la Fondation Bill & Melinda Gates à hauteur de 200 millions de dollars US. La Fondation FARM s’interroge sur les effets d’une vision trop techno-solutionniste dans un monde qui devra être plus sobre en énergie et faire face au double défi climatique et de perte de biodiversité. Il est également nécessaire de questionner l’accessibilité et la pertinence de ces innovations à l’échelle des petites agricultures familiales.

La déclaration commune n’est pas contraignante légalement, les objectifs ne sont pas chiffrés et aucun plan d’action n’est présenté pour atteindre concrètement ces objectifs. Il faudra donc attendre fin 2024 pour estimer l’implication de chaque pays dans la mise en œuvre d’actions concrètes alignées sur cette déclaration.

Feuille de route ambitieuse de transformation des systèmes agroalimentaires de la FAO

A l’occasion de la journée dédiée à l’alimentation, à l’agriculture et à l’eau – le 10 décembre, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a présenté un plan de transformation des systèmes agroalimentaires devant les ministres et hauts fonctionnaires réunis à la COP28. Ce plan présente 120 points d’action autour de 10 domaines prioritaires incluant l’élevage, la pêche et l’aquaculture, les sols et l’eau, ou encore le gaspillage alimentaire. L’objectif est de parvenir à transformer les systèmes agroalimentaires afin d’éradiquer la faim dans le monde – 2ème objectif de développement durable (ODD) – tout en restant sous la barre des 1,5°C de réchauffement planétaire, fixée par l’Accord de Paris. 

Cette proposition repose en partie sur les potentiels d’atténuation des systèmes agroalimentaires par la capture et la réduction de gaz à effet de serre à travers par exemple la gestion des sols ou encore des technologies permettant la réduction d’émission de méthane.

Ce plan d’action – comportant des objectifs chiffrés et leurs échéances – pourrait permettre de mettre en œuvre les ambitions affichées de la déclaration commune sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique. Cette feuille de route se veut ambitieuse et optimiste afin de mobiliser à la fois les décideurs, la société civile et le secteur privé.

Ce premier volet a pour vocation d’apporter une vision globale. Deux volumes doivent le compléter : l’un apportant une vision régionale portant sur les coûts et les financements sera présenté en 2024 lors de la COP29 ; l’autre établissant des plans d’action nationaux portant sur le suivi et les responsabilités sera introduit lors de la COP30 en 2025.

Fonds sur les pertes et dommages

Faisant l’objet de demandes pressantes de la part des pays en développement depuis plusieurs années, l’opérationnalisation du fonds « pertes et dommages » a été entérinée au premier jour de la COP28. Le fonds doit permettre de fournir un soutien financier aux pays les plus vulnérables touchés par des évènements extrêmes en lien avec le changement climatique afin de compenser les pertes et dommages subis et assurer les actions de reconstruction. Ces phénomènes extrêmes tels que les sécheresses, les inondations, la montée des eaux touchent particulièrement l’agriculture en affectant directement les exploitations et les producteurs, et en causant des pertes économiques considérables. Cette avancée historique a été saluée de manière quasiment unanime, mais des interrogations persistent sur son fonctionnement, ses donateurs et ses bénéficiaires.

Cette décision reprend les recommandations négociées lors de la cinquième réunion du comité de transition qui devait dessiner les grandes lignes de ce fonds à l’orée de la COP28.  Le fonds sera hébergé pendant 4 ans à la Banque mondiale – un compromis pour les pays en développement, très critiques envers le fonctionnement de l’institution – et géré par un conseil d’administration composé de 14 pays en développement et 12 pays développés, représentant à la fois les bénéficiaires et les donateurs. Une fois crée, cette instance devra définir qui seront les bénéficiaires et quelles seront les modalités d’accès au Fonds. La Banque mondiale ne devrait avoir qu’un rôle de gestionnaire des opérations. 

Les contributions se feront sous la forme de dons, et non de prêts. Le texte n’est pas contraignant : il ne fait mention d’aucun objectif chiffré de capitalisation du fonds, ni même d’obligation de contribution. Les pays développés sont « exhortés » à y contribuer, alors que les pays en développement – ciblant davantage les PED fortement émetteurs de gaz à effet de serre comme la Chine – y sont « encouragés ». De premières contributions ont été annoncées pour un total de 792 millions de dollars US[1], alors que certains pays en développement demandaient au moins 100 milliards de dollar US par an, et que leurs besoins – pour compenser uniquement les pertes économiques – aient été évalués entre 116 et 435 milliards en 2020, et entre 290 et 580 milliards pour 2030[2]. Au vu de la difficulté des pays développés à tenir leurs promesses de financements climatiques, les pays du Sud souhaitent que d’autres sources complémentaires de financement soient envisagées pour alimenter ce fonds comme la taxation internationale sur les énergies fossiles, sur les transports aériens ou sur les transports maritimes[3].

Programme zéro déforestation en Amazonie à horizon 2030

Luiz Inacio Lula da Silva, président du Brésil, a précisé lors de la COP28 les contours de son programme zéro déforestation en Amazonie à horizon 2030, annoncé cet été. Ce plan s’accompagnerait de la reconversion d’environ 40 millions d’hectares rendus impropres à l’agriculture et dégradés par l’agrobusiness et l’élevage. Il s’appuierait également sur un système de traçage des produits de la forêt, de l’élevage et de l’agriculture issus de l’Amazonie. En d’autres termes, le programme a pour objectif d’augmenter la surface agricole sans déforestation, en restaurant puis réexploitant des terres initialement dégradées. Pour assurer cette expansion agricole, le Brésil souhaite se reposer sur les avancées de la génétique et l’ingénierie, sans préciser les conditions d’évolution du modèle agricole responsable de la dégradation initiale de ces terres.

Depuis sa prise de fonction, Lula semble se donner les moyens de ses ambitions avec une baisse record de 42% de la déforestation en Amazonie entre janvier et juillet 2023[4]. En revanche, le Cerrado – savane tropicale brésilienne – est fortement menacée par la déforestation, due en grande partie aux activités agricoles. Cette région bénéficie de peu de mesures de protection[5].

Afin d’assurer la mise en place de ce programme, le gouvernement brésilien projette d’investir jusqu’à 120 milliards de dollars en 10 ans. Assumant sa responsabilité dans l’équilibre climatique mondial, le Brésil souhaite voir les autres pays amazoniens le rejoindre sur cet objectif zéro déforestation. En parallèle, il a également proposé la création d’un fonds international pour la préservation des forêts tropicales dans 80 pays avec un mécanisme de paiement annuel basé sur le nombre d’hectares restaurés ou non déforestés. Les pays devraient alors garantir une baisse ou a minima une stabilisation du taux annuel de déforestation pour en bénéficier. Le fonds pourrait être alimenté par des fonds d’investissement étrangers et d’autres formes de financement telles que la contribution de l’industrie pétrolière, pour un objectif initial de 250 milliards de dollars US.

La COP30 qui se déroulera au Brésil sera l’occasion de réaliser un premier bilan du programme.

L’Accord de la COP28 : « transitionner hors des énergies fossiles »

Bien que l’OPEP ait appelé ces membres à refuser tout accord ciblant les combustibles fossiles, que la COP28 soit présidée par le directeur général d’un grand groupe pétrolier et que le premier texte proposé par les Emirats arabes unis ait été jugé décevant, les négociations se sont prolongées pour arriver à un accord mentionnant pour la première fois les énergies fossiles. Le texte final, signé par 200 pays le 13 décembre 2023, appelle plus précisément à « transitionner hors des énergies fossiles » pour « atteindre la neutralité carbone en 2050 ». Il s’inscrit ainsi dans les objectifs de limitation du réchauffement planétaire de l’Accord de Paris et suit les préconisations scientifiques.

Cependant, l’Accord de la COP28 doit être suivi de mesures fortes – dont une adoption massive des énergies renouvelables – pour garantir que cet engagement ne restera pas vain. Plusieurs questions restent en suspens : quelle sera la mobilisation des Etats et du secteur privé ? quelle trajectoire de transition en particulier pour les pays en développement dont la consommation d’énergie va croitre et qui restent fortement dépendants des énergies fossiles ? Il s’agit d’un défi important pour les systèmes alimentaires qui devront s’engager dans une transition vers des modèles plus neutres en carbone de manière « juste et équitable » – comme le précise le texte – c’est-à-dire prenant en compte les moyens techniques et financiers à disposition de chaque pays pour sortir des énergies fossiles.

Conclusion

Cette COP28 axée sur les énergies fossiles aura tout de même laissée une place inédite à l’agriculture. Bien que les engagements concernant ce sujet restent peu contraignants et planifiés, et ne garantissent donc pas leur concrétisation, il s’agit d’un premier pas encourageant vers la transformation de l’agriculture. Les discussions, négociations et annonces ont fait ressortir le rôle stratégique des systèmes alimentaires pour assurer atténuation et adaptation, mais l’agriculture manque encore cruellement de financements pour assurer sa transition – seuls 4% des financements climatiques lui sont aujourd’hui consacrés[6].

L’accord final pourrait empêcher le scénario du pire, en limitant les émissions de gaz à effet de serre et donc les impacts du changement climatique. Mais cela reste insuffisant et nécessitera de soutenir l’adaptation des systèmes agricoles, fortement vulnérables à chaque degré supplémentaire de réchauffement. Le défi du financement reste donc de taille et nécessitera la mobilisation de tous les acteurs et particulièrement le secteur privé, largement mis en avant lors de cette COP[7].

Précila Rambhunjun, responsable d’études au sein de la Fondation FARM


[1] https://www.cop28.com/en/

[2] Selon l’étude de Markandya et González-Eguino : https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-72026-5_14

[3] https://assets-global.website-files.com/605869242b205050a0579e87/6462710b127e29f1b1e74ee7_The_Loss_and_Damage_Finance_Landscape_HBF_L%26DC_15052023.pdf

[4] Selon la ministre brésilienne de l’Environnement Marina Silva : https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/bresil-la-deforestation-recule-1978310

[5] https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/preserver-le-cerrado

[6] D’après Maximo Torero, économiste en chef de la FAO : https://news.un.org/fr/story/2023/12/1141492

[7] Des promesses de financements en faveur de l’agriculture ont été faites tout au long de la COP28 et particulièrement lors de la journée consacrée. Plusieurs initiatives ont été annoncées dans l’objectif de financer la transformation des systèmes alimentaires, avec des engagements des acteurs privés. Pour plus d’informations : https://prod-cd-cdn.azureedge.net/-/media/Project/COP28/Dec-10.pdf?rev=081a819a524e47189c3730d82ea57b3d


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