La filière palmier à huile en Côte d’Ivoire : un condensé des enjeux du développement durable

Publié le 24 février 2020
par Maxime Cumunel, adjoint au directeur de FARM
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La présente note s’inscrit dans le contexte plus large de l’intervention de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM) sur les enjeux de la filière ivoirienne du palmier à huile. A l’issue, notamment, d’un voyage d’étude de l’interprofession ivoirienne en France en 2018 et d’un débat organisé lors du Salon international de l’agriculture de Paris en février 2019, FARM a réalisé une mission en Côte d’Ivoire en mai 2019, comprenant à la fois des rencontres avec les acteurs de la filière et un atelier de réflexion prospective, visant à élaborer, de manière concertée, des pistes d’action pour relever les multiples défis posés au secteur. Cette note en récapitule les principales conclusions.

 

1 – Vu d’Europe : une production au cœur de la lutte contre la déforestation


Les politiques européennes de lutte contre la déforestation importée s’articulent autour des réticences manifestées à l’égard de certaines productions agricoles, dont l’huile de palme, qui contribuent à la réduction des forêts tropicales. De fait, l’huile de palme est, à l’échelle mondiale, l’une de celles dont la durabilité environnementale est la plus discutée.

Le débat tend à se polariser sur l’huile importée des pays d’Asie du Sud-est. Pourtant, à l’échelle de la Côte d’Ivoire et, plus largement, de l’Afrique de l’Ouest, la problématique diffère quelque peu. D’abord, la très grande majorité des productions d’huile de palme africaines ne sont pas exportées en Europe mais restent consommées, presque exclusivement pour l’alimentation, dans la sous-région. La question ne se pose donc pas prioritairement sous l’angle de la déforestation importée, mais relève avant tout de préoccupations locales, sachant que le sujet est loin d’être anecdotique puisque les trois quarts de la forêt ivoirienne ont disparu depuis les années 1980 et que le déboisement, bien qu’en baisse, se poursuit à un rythme proche de 3 % par an[1]. Pour autant, ce constat ne réduit en rien la légitimité des bailleurs de fonds à soutenir la lutte contre la déforestation en Afrique. Outre que les forêts tropicales contribuent à l’atténuation du changement climatique global, l’huile de palme offre d’énormes atouts, liés à son exceptionnelle productivité par hectare[2], qui permet de contenir l’expansion des surfaces cultivées et d’accroître les revenus des ruraux.

Enfin, il convient de préciser, et c’est un paradoxe, qu’en Côte d’Ivoire la production d’huile de palme contribue moins à la déforestation que celles d’hévéa et de cacao, qui font pourtant l’objet de davantage de certifications environnementales et sont exportées en masse vers l’Europe.

2 – Une filière majeure dans l’économie ivoirienne, avec un fort potentiel de croissance

La filière palme occupe une place cruciale dans les économies ouest-africaines, pour deux raisons. D’abord, et c’est d’autant plus vrai en Côte d’Ivoire, parce que l’huile de palme constitue l’un des produits essentiels du panier de la ménagère et que la hausse de son prix constitue un facteur potentiel de déstabilisation sociale.

Par ailleurs, la quasi-intégralité des régimes de palme sont transformés localement, par une filière bien structurée qui fait vivre directement ou indirectement, dans ce pays, près de deux millions de personnes, soit 10 % de la population, et exporte 45 % de sa production (en 2017) dans la sous-région. Au total, selon certaines estimations, le secteur de l’huile de palme fournirait environ 2 % du produit intérieur brut de la Côte d’Ivoire.

Cette filière dispose d’un atout considérable en raison de la forte augmentation prévue des consommations nationale et sous-régionale d’huile de palme, principalement pour l’alimentation, puisque ses autres usages, notamment cosmétiques, sont encore balbutiants.

Dans les principaux pays consommateurs d’Afrique subsaharienne, la demande devrait augmenter de près de 50 % à l’horizon 2030, par rapport à 2017, et ne pourra pas être satisfaite complètement par les productions locales. La Côte d’Ivoire bénéficie dès lors d’un potentiel commercial majeur, en ciblant une clientèle qui s’approvisionne de plus en plus auprès des pays asiatiques : le Bénin, par exemple, a importé pour près d’un demi-milliard de dollars d’huile de palme en 2017[3].

Réaliser ce potentiel implique toutefois d’accroître fortement la productivité des petits planteurs, qui est aujourd’hui de l’ordre de 4,5 tonnes de régimes de fruits par hectare selon les estimations officielles – probablement autour de 7 t/ha en comptabilisant autoconsommation et marché informel -, contre près de 22 à 25 t/ha dans les plantations agroindustrielles. De l’amélioration des rendements dépendent également la réduction de la pauvreté rurale et l’amélioration de la compétitivité de la production ivoirienne face aux huiles importées,  donc la capacité du secteur à créer de l’emploi, défi majeur posé à l’Afrique subsaharienne en raison de sa croissance démographique[4]. L’accroissement de la productivité peut aussi avoir des retombées positives pour l’environnement, via la limitation des surfaces cultivées, à condition cependant de s’accompagner de strictes réglementations publiques visant à contrôler la déforestation.

3 – Une filière à l’œuvre face aux défis

La filière ivoirienne du palmier à huile est fonctionnelle et bien structurée. Elle repose sur la complémentarité des productions industrielles et des plantations villageoises, à des degrés selon les entreprises. Dans le cadre d’une contractualisation efficace, c’est cette complémentarité qui permet la performance des industriels et, ainsi, de la filière dans son ensemble.

L’Association interprofessionnelle du palmier à huile (AIPH) en constitue la cheville ouvrière. Elle regroupe de grandes sociétés industrielles, qui travaillent avec environ 40 000 petits planteurs, encadrés par des coopératives reconnues par l’Etat et très actives en matière de collecte, formation et entretien des pistes. Ces sociétés emploient plus de 21 000 personnes dans la première et la deuxième transformation. L’AIPH favorise le dialogue entre tous les acteurs de la filière, afin de mieux coordonner ses différents maillons. Elle intervient également dans la fixation des prix payés aux producteurs. Soulignons qu’une telle structuration interprofessionnelle est exceptionnelle en Afrique de l’Ouest, a fortiori pour une production destinée aux marchés locaux et non destinée à être exportée vers les pays à haut revenu.

Si cette dynamique est reconnue par les acteurs, de nombreuses failles organisationnelles obèrent le potentiel de croissance de la filière à court terme.

Au regard des enjeux de croissance des marchés, la filière doit réaliser une transformation systémique, en vue d’améliorer ses performances économiques, sociales et environnementales. Cette transformation passe par un accompagnement des petits planteurs pour les inciter à changer de pratiques. Or, si tous les acteurs rencontrés semblent conscients de ces enjeux, ils n’en mesurent pas l’acuité avec la même urgence ou la même intensité. La filière doit donc accélérer sa mue, au-delà des nombreuses initiatives déjà mises en œuvre, qui constituent des avancées vers une plus grande durabilité de la filière.

Les industriels les plus anciens du secteur proposent en effet, parfois en collaboration avec des bailleurs et souvent avec l’appui d’ONG, diverses actions en matière de formation des producteurs, ciblées sur l’amélioration de leurs performances techniques ou économiques, sans oublier l’intégration progressive de la certification environnementale et des enjeux humains relatifs notamment au travail des enfants.

Trois types d’initiatives sont généralement menées de front : l’accroissement de la productivité des planteurs, via une modification des itinéraires techniques et l’utilisation de matériel végétal amélioré ; la formation et la sensibilisation des producteurs et de leurs familles au problème de la déforestation, au regard notamment du changement climatique ; enfin, la distribution de plants d’arbres, en particulier pour le bornage des plantations villageoises, souvent mal délimitées.

4 – Mais une filière mise à rude épreuve

La filière ivoirienne du palmier à huile est mise à rude épreuve par une concurrence accrue et la forte baisse des prix mondiaux des huiles végétales enregistrée ces dernières années.

Le faible niveau des prix, qui ont été divisés par deux au regard de leur pic historique, menace l’équilibre économique de la filière. A court terme, celle-ci fait le dos rond, grâce à un mécanisme interprofessionnel de lissage des prix assumé par les industriels. Mais la viabilité des plantations villageoises et des coopératives est remise en question, car beaucoup travaillent à perte.

Cette crise est renforcée par une concurrence accrue sur le marché ivoirien. Depuis une dizaine d’années, celui-ci a vu l’implantation de nouveaux acteurs industriels, qui ne sont pas tous engagés dans l’interprofession.

L’avivement de la concurrence se traduit également par des prix moins rémunérateurs pour les industriels, alors même que les huiles importées d’Europe bénéficient d’une meilleure image auprès des consommateurs haut de gamme, tandis que les produits à haute valeur ajoutée sont très peu visés par les industriels ivoiriens.

La déstructuration de la filière provoque une explosion du secteur informel, lequel absorbe jusqu’à la moitié de la production dans certaines régions. En dehors de toute considération environnementale ou sanitaire (concernant notamment les huiles raffinées dans des ateliers artisanaux), cette crise a de sérieuses conséquences tant sur les coopératives que sur le budget de l’Etat, puisque l’impôt n’est pas prélevé sur la collecte informelle, tandis que les planteurs se privent d’une partie significative de la marge.

Cette dynamique est d’autant plus forte que la plupart des producteurs cultivent également l’hévéa, en sus du cacao et des cultures vivrières (manioc, banane plantain…), et que l’hévéa connaît une crise comparable à celle de l’huile de palme. Le recul de la culture du palmier au profit du cacao, s’il était avéré, serait préoccupant.

5 – Les voies pour sortir de la crise

L’avenir de la filière palme ivoirienne passe par la conquête du marché ouest-africain et des engagements accrus en matière de durabilité économique, sociale et environnementale.

Une des clés de sortie de crise, selon les planteurs, repose sur l’ajustement du mécanisme de fixation des prix pour tenir compte d’une teneur des régimes en huile supérieure, selon eux, d’un point environ à celle prise en compte actuellement.

L’amélioration des performances économiques et la réduction de la collecte informelle sont des conditions sine qua non d’une plus grande durabilité des filières agricoles. Dans cette perspective, la filière ivoirienne doit de toute urgence résoudre la question du partage de la valeur avec les petits planteurs villageois et, pour ce faire, mettre un terme à la dynamique de la concurrence informelle exercée par les « livreurs » vis-à-vis des coopératives. C’est l’une des missions attribuées par l’Etat ivoirien au conseil hévéa-palmier à huile, récemment créé, au risque de provoquer des interférences, voire de discréditer l’interprofession.

L’Etat pourrait, à titre exceptionnel, apporter sa pierre à l’édifice en réduisant temporairement les prélèvements fiscaux opérés sur les producteurs, pour les encourager à écouler une part croissante de leur production dans le circuit formel.

De nombreuses réponses techniques sont également à envisager. Il semble ainsi contreproductif que, dans les mêmes régions, les mêmes producteurs, lorsqu’ils cultivent de l’hévéa et du palmier à huile, traitent, pour chacune de ces spéculations, avec des coopératives différentes. Un regroupement de ces structures, s’il était conduit avec discernement, permettrait des économies d’échelle et favoriserait une plus grande efficacité des services rendus aux producteurs en matière d’encadrement, de collecte, de formation ou de sensibilisation aux enjeux environnementaux.

En définitive, il serait regrettable de contribuer à affaiblir une filière consciente du chemin à accomplir mais qui peine à se doter des moyens nécessaires pour le faire. C’est pourquoi, du côté européen, il conviendrait de soutenir l’amélioration de la durabilité de la filière palme, qui peut contribuer à relever les défis majeurs posés à l’Afrique subsaharienne concernant la réduction de la pauvreté, la création d’emplois et la protection de l’environnement.

Deux clés majeures du changement sont une contractualisation plus étroite entre petits planteurs et entreprises de transformation, permettant d’améliorer la coordination entre les acteurs de la filière, et le développement de la certification, garantissant une meilleure protection de l’environnement, conjointement avec la mise en œuvre d’une politique forestière beaucoup plus efficace. Mais ces actions sont coûteuses et souvent délicates à mettre en œuvre en raison des particularités du contexte africain. Elles doivent être accompagnées techniquement et financièrement par les bailleurs internationaux.

 

Télécharger la note complète ici

 

[1] Source : FAO et Secrétariat exécutif permanent REDD +, 2017, « Données forestières de base pour la REDD+ en Côte-d’Ivoire, cartographie de la dynamique forestière de 1986 à 2015 », http://www.fao.org/3/a-i8047f.pdf

[2] Le rendement en huile par hectare est, en moyenne mondiale, cinq à dix fois plus élevé pour le palmier que pour les autres oléagineux.

[3] Il est vraisemblable qu’une part significative de ces importations est revendue, probablement après reconditionnement, dans les pays voisins.

[4] Selon l’Organisation des Nations unies, la population des douze pays d’Afrique subsaharienne répertoriés dans la base de données internationale du département américain de l’Agriculture devrait augmenter de 395 millions de personnes, soit environ 40 %, entre 2017 et 2030 (voir Annexe 2 de la Note).

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